Appelons-le Monsieur M. Monsieur M est un homme doué, intelligent.

Il a accompli des études en ingénierie et fait aujourd'hui fureur auprès de ses collaborateurs pour ses nombreuses idées, sa créativité, ses concepts au niveau ingénierie du son. Chacune de ses inventions fait l'objet d'un brevet et est employée dans des aéroports, des studios d'enregistrement, des bureaux…

Monsieur M est un homme comblé: 3 enfants, un chien, déjà grand-père à 54 ans. Les petits aléas de la vie l'ont fait séparer de sa femme mais ils ont une entente cordiale et se voient encore pour célébrer ensemble, comme une « vraie » famille, les fêtes.

Monsieur M est un homme respecté de tous.

Mais voilà: Monsieur M est autoritaire. Depuis quelques années cette autorité est exploitée en menaces: quiconque irait à son encontre se verrait envoyer à l'hôpital. En humiliations: critiques et moqueries en public pour des passions qui ne sont pas les siennes. En harcèlement.

Car oui, Monsieur M pratique le harcèlement moral et il adore ça.

Je connais Monsieur M, mais ce n'est pas mon patron. C'est mon père.

 


 

Le harcèlement moral est une réalité qui touche des milliers de personnes. Malheureusement en France, on ne médiatise et on ne sanctionne que du harcèlement moral professionnel.

Mais qu'en est-il du harcèlement moral privé?

 

Il faut d'abord savoir que celui-ci est souvent présent au sein des couples – on parle souvent de femmes battues, bien que les hommes aussi puissent l'être – mais aussi dans les familles.

Le harceleur est alors souvent un parent qui s'en prend psychologiquement à l'un de (ou tous) ses enfants. Prenons le cas de ce cher Monsieur M – après tout c'est celui que je connais le mieux.

 

Brillant, intelligent. Souvent félicité dans son travail. Un ego démesuré. Le voilà qui donne un ordre, une consigne: Garder les frères et soeurs le temps d'une soirée. Celle-ci se passe bien, les petits sont nourris, couchés, la vaisselle est faite, la cuisine rangée. Rien à dire. Mais voilà le lendemain, je suis une incapable majeure: j'ai oublié de descendre les poubelles. Un jour, il a vent que le fils d'une amie a insulté sa mère. Cela ne se fait pas, certes, mais voyez ce qu'il dit à ses jeunes enfants: « que l'un d'entre vous fasse de même et je lui casse un bras. ». Menace jamais exécutée mais dont l'impact auprès de jeunes enfants reste grave. Ce genre de menace a été faite régulièrement.

Ne pas être passionnée, comme lui, de photographie m'a coûté une humiliation publique: je suis illustratrice au jourd'hui, mais pour lui « mes dessins de m* ne vaudraient jamais rien ». Devant toute la famille de sa nouvelle amie.

Je lui réponds, je lui exprime mon désaccord. Me voilà traitée de folle, toujours en public.

Je pars, me prend une chambre à la fac. Je suis libre, enfin c'est ce que je crois. Je suis conviée à venir faire le ménage régulièrement. Je ne peux pas dire non, il me fait peur depuis mon enfance.

Un jour, je rencontre un homme. C'est le bon; je déménage et ne laisse pas l'adresse à Monsieur M. Il veut que je revienne, je lui dis « non », cette fois je ne l'écouterai pas. Il porte plainte contre mon conjoint pour m'avoir « séquestrée, tuée ». La plainte reste sans suite – je suis bien vivante – mais il ne lâche pas l'affaire. Je suis harcelée au téléphone, à la fac, des amis reçoivent même des appels.

Je suis enceinte. Un jour il retrouve mon adresse et vient cogner à la porte.

A la maternité, Monsieur M me rend visite et demande réconciliation. Pour le bien du petit, nous acceptons. Pendant les six mois suivants: mon conjoint est insulté, Monsieur M critique mes choix, ma vie, accuse mon conjoint des pires choses (proxénétisme, drogue etc).

Un jour de nouveau, je dis « non ». Je l'empêche d'entrer chez moi. Il tente d'enfoncer la porte, effrayant alors le bébé qui se met à pleurer. J'appelle alors la police municipale qui, malgré le vacarme, met plus de trente minutes à intervenir. Ils refusent de prendre notre plainte.

Nous avons également porté plainte auprès du procureur: pas de poursuites.

 

Manipulation, insultes, menaces, humiliations, tous les ingrédients du harcèlement moral sont présents mais aucun n'est sanctionné car ce harcèlement moral est réalisé dans le cadre privé.

 

Parfois la justice donne même l'impression de se mettre du côté du harceleur. La police prend souvent les plaintes du harceleur, formulées pour nuire directement à la notoriété de sa victime. Ces plaintes sont pourtant infondées; en revanche les faits doivent obligatoirement être vérifiés par les services de police ou gendarmerie, c'est pourquoi la victime se retrouve convoquée pour rien. Or la victime ne pourra pas porter plainte à son tour car des accusations mensongères ne sont « pas (soit-disant) du ressort de la police ». Les plaintes de la victime restent sans effet car non prises au sérieux.

Aujourd'hui la victime de harcèlement moral privé n'a que du soutien psychologique. L'individu harceleur peut agir en toute impunité.

Or il est avéré d'après Ariane Bilheran sur cigap.org (voir article), que le harcèlement moral d'un parent sur un enfant est à considéré comme maltraitance (dans la mesure où il s'agit de violences morales), voire même comme inceste car le harceleur peut éprouver de la jousissance à faire subir ces violences; on parlera de viol moral.

Or la violence, l'inceste, le viol, sont punis par la Loi. Le harcèlement moral professionnel aussi. En Allemagne, toujours selon Ariane Bilheran, il a fallu attendre un meurtre pour que la législation prenne en compte et sanctionne ce harcèlement. En France, des centaines de personnes en ont déjà été victime, tuées par leur conjoint(e) harceleur, dépressives, suicidaires. Nous sommes comme d'habitude, l'Etat le plus en retard.

 

Aujourd'hui Monsieur M vit tranquillement avec ses 2 enfants restants, et son chien. Il continue à me poursuivre pour faire appliquer ses droits de grand-parents; il a payé avocat et huissier pour retrouver ma nouvelle adresse, il a même fait appel à la préfecture (dans le cadre de la démarche « dans l'intérêt des familles ») pour ça. Son avocat a invoqué l'article 371-4 du Code Civil pour le invoquer le droit de visite et d'hébergement des grand-parents sur leurs petits-enfants (or pour info, en cas de conflit grave comme c'est le cas ici, seul un juge peut décider de faire ou non appliquer ce droit, (cf pratique.fr cliquez ici). Monsieur M ne s'arrêtera pas là.

Mais voilà la différence c'est qu'aujourd'hui il ne me fait plus peur.

 

Les conseils que je saurais donner à d'autres victimes comme moi:

Entourez-vous d'amis, parlez de ce problème. Ne restez jamais seul. Cet individu n'est qu'un être humain comme vous, vous êtes son égal même si c'est votre parent, votre conjoint. Vous n'êtes pas inférieur. Eloignez-vous de cette personne, changez d'air, mais ne lui communiquez pas vos coordonnées. Menez votre vie comme bon vous semble, vous ne lui devez rien.

Vous avez été sa victime, n'ayez pas honte de le dire. Si cela vous semble nécéssaire ou si l'on vous le conseille allez voir un psy, cela peut être libérateur.

Mais surtout, malgré la tentation et même si notre système judiciaire est incapable: ne vous faites-pas justice vous-même car croyez-moi, vous on ne vous loupera pas !

 

Un dernier conseil, même si ce n'est pas dans vos habitudes ou que vous n'avez pas la plume facile, peu importe: écrivez, vos souvenirs, votre mal. Mine de rien, on ne s'en doute pas mais quand c'est fait, ça soulage.{mosimage}{mosimage}