Outre les 10 000 militaires étasuniens, 800 militaires canadiens seront déployés en Haïti. De plus, l’Onu va « redéployer » à Port-au-Prince 5 000 « casques bleus ». Les missions des uns et des autres ne sont pas similaires. Le Canada envoie des soldats et officiers du Génie. Mais d’autres nations renforceront la présence militaro-policière. Comme l’indique le directeur de la protection civile italienne, Guido Bertolaso, « passé le traumatisme initial, la colère de la population découlera du fait que les gens ne trouveront pas le même genre d’aide et d’appui dont on a l’habitude dans d’autres parties du monde… ». Nelson Jobin, ministre brésilien de la Défense, de retour au Brésil, a évoqué « le risque d’émeutes ».


Ce ne sont pas les pillages des « Carrefour » de Carrefour, localité où résidait Pauline Bonaparte, qui a été, comme Jamel, très endommagée par le séisme, qui motivent les inquiétudes du chef de la protection civile italienne et l’envoi massif de renforts militaires en Haïti. C’est bien la perspective d’une insurrection générale, dans un pays désormais sans infrastructure étatique autre que celle que tentent de constituer les grandes nations et l’Onu, qui est redoutée.

Le passé, depuis la mise au pouvoir du « père » Aristide par les États-Unis, et sans doute le ressentiment créé par une présence massive d’ONG n’ayant que très peu apporté aux populations par rapport à ce qu’elles attendaient ou constataient, laisse entrevoir que cette éventualité de révolte généralisée pourrait avoir quelques fondements.

 

Comme lors de toute catastrophe, les secouristes professionnels (pompiers, médecins militaires…) des États intervenant ont pour première priorité les ressortissants de ces pays résidant sur place. Ainsi, les secouristes français ont d’abord été déployés aux abords de l’hôtel Montana, complexe hôtelier et de conférences. De même, les secouristes chinois ont tout d’abord participé aux fouilles du siège de l’Onu : la Chine comptait 120 policiers parmi les forces du Minustah, et d’autres ressortissants, et huit membres chinois du dispositif onusien se trouvaient dans les décombres.

En revanche, les équipes de secouristes chinois ne se sont pas uniquement focalisés sur la communauté chinoise de Port-au-Prince.  Improvisant avec les moyens du bord et ce dont ils disposaient à leur arrivée, les secouristes chinois ont très rapidement commencé à soigner les blessés qui se présentaient à eux. Ils soulignent les besoins urgents en médicaments.

 

« Espérons que, cette fois, on ne verra pas arriver en masse de faux médicaments, » commente Natacha Giafferi-Dombre, ethnologue spécialiste d’Haïti, qui a pu constater par le passé les trafics découlant des arrivées de l’aide sitôt dispersée et revendue par les principaux récipiendaires. Sur les 42 agences de produits pharmaceutiques autorisées avant le séisme, seules 14 ne respectaient pas les contrôles de dédouanement.

 

Les tentatives de retour en Haïti de l’ancien président Aristide, qui compte encore de nombreux affidés, même non suivies d’effet, laissent craindre qu’une agitation « irrationnelle » puisse de nouveau être canalisée par des factions se disputant le futur pouvoir. Le détournement des fonds du programme « post-désastre 2008 » (qui avait fait suite à des ouragans, inondations et glissements de terrains ) avait provoqué la chute du gouvernement haïtien fin octobre dernier. L’histoire de la fresque ornant le plafond du siège genevois des Nations unies – qui avait coûté 23 millions d’USD fin 2008  – a ressurgi dans la presse américaine ces jours derniers mais elle était aussi connue en Haïti. Les Haïtiens se souviennent aussi que l’affluence des populations rurales dans la capitale découle aussi d’une volonté de conformer le pays aux règles du commerce mondiale qui a détruit toute la culture du riz et favorisé les importations (depuis les États-Unis, principalement).

 

Le quotidien canadien The Globe & Mail donnait hier la parole à Cameron Sinclair, de l’ONG Architects for Humanity. Il relevait que les membres des équipes de secours, venus en 4×4 munis de téléphones cellulaires à liaison satellite et parfois des piles de packs d’eau minérale pour leur propre consommation, finissent parfois par se retrouver entre eux, sans réel contact avec la population qui les contemple de loin.

 

Certes, alors que des rescapés volent des câbles électriques dans l’espoir de les revendre pour assurer leur survie, la présence de policiers est nécessaire. Radio Chine Internationale signalait hier : « l’autre difficulté majeure réside dans les télécommunications. Les secouristes chinois devront avoir recours aux installations de communications de l’équipe anti-émeute. ». Mais la présence de policiers et soldats, alors que la population attend davantage de sauveteurs, de médecins, mais aussi d’Haïtiennes et d’Haïtiens disposant de vivres à distribuer, et non d’avoir à faire avec un personnel étranger qui pourra paraître surabondant ici ou là et singulièrement absent ailleurs, peut engendrer aussi des crispations.

 

Les États-Unis, comme la France et d’autres nations, évacuent en priorité leurs ressortissants le désirant. Le nombre des Étasuniens à Haïti est estimé à environ 45 000. Les États-Unis viennent d’accorder un « statut de protection temporaire » (TPS) de 18 mois aux Haïtiens sans papiers pouvant prouver qu’ils étaient déjà présents sur leur territoire à la date du séisme, le 12 janvier, les futurs arrivants risquant l’expulsion. Les Haïtiens vivant légalement en France espèrent pouvoir accueillir des parents restés au pays et ne pouvant y survivre seuls. Une solidarité raisonnée doit s’exercer et l’aide ne doit pas être découragée par ce qui pourrait se produire en Haïti, et qui pourrait être, aussi, la résultante de certaines actions et menées qu’on veut croire révolues.
Le Devoir de Montréal a publié de nouveau une chronique de l’écrivain haïtien Georges Anglade, mort lors du séisme et Courrier International l’a reprise. Sa conclusion résumait son sentiment sur ce qu’il convenait de faire (et de ne pas refaire) après les émeutes de la faim de 2007 et 2008 : « des solutions radicales qui sortent des petits ajustements quotidiens pour contraindre aux changements de fond, aux indispensables ruptures d’orientation. Et puis après ? Nous savons que nous entrons dans une crise totale, capitale. Mais nous n’avons aucune idée de comment ni de quand nous nous en sortirons. Ni dans quel état. ».