La presse britannique dite « de qualité » a – à la notable exception du Financial Times, qui ne repiquait, sauf erreur, que des dépêches – diversement, parfois de manière opposée, relaté la situation d’Haïti supposée envahi par les sauveteurs, samedi 19 janvier 2009 au soir. Mais le ton général est donné par l’envoyé spécial de BBC News : « Quand vous promettez à un pays que vous allez l’aider, l’aide doit arriver (…)  À l’école d’infirmières (…) la nuit est tombée, et les secours ont plié bagages. Pas d’éclairage, ont-ils dit (…) Donc, cette nuit, sous les débris, nous savons qu’il y a au moins une survivante, peut-être davantage. Et personne ne leur vient à l’aide… ». Toutefois, la distribution coordonnée de vivres aurait commencé dans la nuit de samedi à dimanche matin… C’est peut-être trop tard pour des blessés et des enfants malnutris, mais le dispositif est respecté…


Une revue de presse exhaustive de la presse britannique n’est guère possible et trompeuse si on s’en tient aux unes : la communauté haïtienne, francophone en majorité, n’est guère nombreuse au Royaume-Uni. Bien sûr, les quatre titres les plus connus de la communauté internationale pour leur sérieux ont fait état d’un sauvetage d’une petite fille par des pompiers britanniques, Mia Charlotte, 2 ans, ensevelie à proximité des corps d’autres enfants. Mais si les suites des appels à la générosité ont été partout signalées, les titres ayant des envoyés spéciaux sur place sont tous très critiques.

En revanche, la politique et la ligne éditoriale conservatrice semble l’avoir emporté sur le compte rendu sur place dans le Daily Telegraph, du moins tout au long de la journée. Après minuit, les envoyés spéciaux en Haïti ont repris la « tête » de la page d’accueil. Ils axaient leur papier sur les violences, les tirs, les tués et blessés par balles mais rendaient au passage hommage à leur confrère de CNN, un chirurgien devenu journaliste, qui a passé la nuit de vendredi dans un hôpital de fortune, transformant son équipe de reportage et leurs gardes armés en infirmiers. Il relevait à l’improviste des médecins et infirmiers belges sommés par des « conseillers en sécurité »de se retirer pour la nuit et de délaisser leurs patients, grièvement atteints ou amputés sans anesthésiques.
Toute la journée, le Daily Telegraph faisait la part belle à son correspondant à Bruxelles, Christopher Booker, qui développait la thèse récurrente de l’incapacité de l’Union européenne à réagir en superpuissance. Et Christopher Booker de vanter l’efficacité de la logistique étasunienne face à la tiédeur timorée de la Commission détaillant de dérisoires efforts des pays membres. Évidemment, l’atmosphère d’une salle de presse à Bruxelles ne porte guère au lyrisme. Mais Christopher Booker a fait du zèle, tandis que d’autres envoyés spéciaux délaissent à l’occasion leurs missions de reportage pour venir aussi en aide aux victimes ou au moins se départir à leur faveur d’un « superflu » qui pourra s’avérer pour eux aussi nécessaire si on les maintient sur place…  

Le contrepoint de l’angle « politique » adopté par le Telegraph est donné avec une égale virulence par The Independent. « Les États-Unis renient leurs promesses à Haïti – de nouveau… » titre Patrick Cockburn qui dresse un parallèle entre l’administration Obama-Clinton et celle de G.W. Bush face à l’ouragan Katrina dévastant la Louisiane et la Nouvelle-Orléans en 2005. Cockburn avait déjà couvert tant Haïti que la Nouvelle-Orléans tout aussi démunie et théâtre de pillages que Port-au-Prince. Le verbe to fail a plusieurs acceptions, mais c’est bien ce dont il est question : on promet d’aider et on envoie des troupes.
Les promesses de G.W. Bush sont mises en regard de ce qui s’est vraiment produit à Haïti et de ce qui continue à être observé en Iraq ou en Afghanistan. « Le gaspillage est phénoménal (Ndlr. en Afghanistan), » rapporte un ancien directeur de la Banque mondiale cité par Cockburn qui enfonce le clou du « pillage dû en grande partie aux entreprises privées » et mentionne les salaires (250 000 à 50 000 USD l’an) des « consultants étrangers ». Cockburn se fait l’écho d’une amère galéjade rapportée par maints observateurs qui considèrent comme les Haïtiens que lorsqu’un ministre haïtien empoche 15 % de commission c’est de la corruption tandis que « lorsqu’une ONG ou une institution caritative prend 50 %, il s’agit de “frais généraux” » quelque peu généreux.
The Independent incite aussi à consulter le flux Twitter de Guy Adams, où d’autres correspondants, dont des Haïtiens, ne mâchent pas leurs mots. L’un signale qu’on distribue à boire dans « des sachets en plastique de vente de poissons rouges sur une fête foraine », l’autre relève que l’Associated Press a donné la parole à un parachutiste américain qui ne distribuera pas d’aide avant 48 heures car il n’est pas question de le faire « de manière désordonnée ». Les déclarations de Bill Clinton et de Joe Biden (le vice-président) sont confrontées à la réalité observée et passent pour du bluff. Si parfois des hélicoptères larguent de maigres colis, on craint que leur passage au-dessus des ruines provoque des vibrations et des effondrements.

 

Si The Independent est considéré plus centre-droit que The Guardian, classé au centre-gauche, les envoyés spéciaux partagent les mêmes impressions et les expriment sur le même ton. Barrack Obama n’a plus la cote auprès de très nombreux Haïtiens qui ne voient rien venir, si ce ne sont des journalistes, à leur contact. Ed Pilkington, pour le Guardian, relève certes que la mort n’a pas fait de différence entre les riches et les pauvres, mais sans trop insister que certains survivants – ceux de l’hôtel Montana – sont restés un peu plus égaux que d’autres. Le journaliste du Times, Tony Allen-Hills, n’a pas cette retenue. C’est sans ambages qu’il dresse un parallèle entre ce qu’il constate un peu partout dans une « future Pompéi antillaise » et l’hôtel Montana, qui abritait des suites ministérielles, « où se réunissaient les ONG »,  dont le sort des dépouilles et des survivants a bénéficié d’une toute particulière attention. Des soldats équatoriens et philippins avaient dressé un cordon de sécurité pour faciliter la tâche « des secouristes d’une demi-douzaine de pays qui se relayaient pour sonder les ruines ».
Selon les témoignages recueillis par Tony Allen-Hills, c’est « 200 000 morts ou davantage » qui doivent être finalement envisagées. Mais Ed Pilkington a aussi soigné la chute de son papier et il remarque que « le carnage a été sélectif, en réalité ». C’est une description de la pimpante ambassade des États-Unis d’Amérique « sans la moindre entaille sur ses murs de fin granite » qui clôt le compte-rendu : « pas un brin d’herbe n’est de travers sur la pelouse en façade ; même les tremblements de terre ont des adversaires qui leur en remontrent. ». On pourrait même traduire ce « meet their match », dans le contexte, par « aussi redoutables ».
C’est d’ailleurs bien ce que véhiculent certains éclairages contextuels de la presse internationale. Près d’un quart de siècle de gestion « protectrice » par les États-Unis n’ont pas amenés que des Lyautey en Haïti. Si la France avait dépecé Haïti, puis favorisé Papa Doc, la relève a été assurée de magistrale façon, relèvent certains éditorialistes de la presse internationale, pour une fois alignés de fait sur les thèses du Monde diplomatique.

 

Évidemment, le Daily Mail n’a pu s’empêcher de faire un encadré sur la personnalité de l’ambassadeur britannique pour Haïti et la République dominicaine, Steven Fisher, donnant le nom de sa maîtresse hongroise, lui attribuant deux autres conquêtes diplomatiques (une Tchèque à Singapour, une Finnoise au Venezuela). Le Sun, qui n’avait pas trouvé à temps une fillette de deux ans déterrée par des sauveteurs britanniques s’est rattrapé avec un petit garçon du même âge délivré par des équipes belge et espagnole.

 

Fidèle à ses habitudes, le Sun donne la parole à un colonel de l’armée de l’air américaine qui, exaspéré, narre comment un avion charter a bloqué toute une journée un bout de piste parce que « le pilote expliquait que le président français lui avait dit de ne décoller que lorsque l’appareil serait plein de réfugiés… ». Si Nicolas Sarközy donne directement ses directives aux pilotes, il mérite bien son sobriquet d’ « omniprésident »
News of the World a « coiffé » The Sun (en jeune âge) avec Winnie, 16 mois, retirée des grabats après y être restée « 68 HOURS » (en capitales dans le texte). C’est l’interprète dominicain d’une équipe de la télévision australienne qui est crédité pour ce sauvetage. Il semble que les orphelinats, qui « abrit(ai)ent » notamment des enfants en attente d’adoption par des parents européens, aient été l’objet de consignes particulières.
Le Sunday Mirror conclut sur une note alarmiste, citant le rapper Wyclef Jean, d’origine haïtienne : « Haïti va connaître une guerre civile si nous n’agissons pas. ».

 

Plus tard dans la nuit de samedi à dimanche, l’attention de la BBC s’est portée sur la localité de Leogane, une ville située à 18 km à l’ouest de la capitale, dont 90 % des immeubles, habitations et bâtiments seraient détruits et qui compterait déjà de 5 000 à 10 000 morts estimés.  

 

De son côté, le Dayton Daily News (Ohio) a fait état de la mise en attente d’une équipe de 80 sauveteurs locaux qui devaient monter à bord de deux C-17 militaires « en raison d’un manque d’intendance à Haïti ». Les avions ont été déchargés et réaffectés à d’autres missions, un nouveau départ étant programmé plus tard, ce dimanche. Pour le Houston & Texas News, il en était de même pour la Texas Task Force 1, en attente d’un transport aérien et « personne ne sait quand, ou si, l’équipe sera finalement sur le départ. ».
Une équipe israélienne a pris désormais, dans la nuit de vendredi à samedi, la direction des opérations de secours au siège de l’Onu à Port-au-Prince, signalait Ynetnews depuis Jérusalem et son reporter, Nahum Barnea, depuis Haïti, considérait qu’Israël devait se donner les moyens de pouvoir faire face à de telles catastrophes. C’est peut-être l’équipe israélienne, conjointement avec la chinoise, et d’autres, qui a pu dégager les corps des huit policiers (sept hommes, une femme, He Zhihong, 35 ans) chinois ensevelis dans les décombres du siège de l’Onu. Xinhua (Chine Nouvelle) a confirmé que la dernière dépouille avait été dégagée à 03:56 ce 17 janvier. C’est aussi une équipe israélienne qui a pu dégager, indique dimanche le San Francisco Chronicle, pratiquement indemne, le directeur général des Impôts, enseveli dans les bureaux du Trésor public haïtien.

 

Le chef de la sécurité présidentielle a été dégagé du palais présidentiel haïtien par une équipe mexicaine, a annoncé le ministère mexicain des Affaires étrangères. Selon le porte-parole de la Croix Rouge, Simon Schorno, les 72 heures critiques pour retrouver des survivants sont écoulées mais ceux qui sont localisés et peuvent encore communiquer peuvent toujours espérer qu’ils seront dégagés. Selon une dépêche de l’agence Associated Press, reproduite par le quotidien californien Merced Sun-Star, l’eau et l’aide alimentaire aurait commencé à être acheminée vers des points de répartition. Des premières distributions de rations de secours auraient débuté à Cité Soleil, le quartier le plus populeux d’Haïti, et des files regroupant 10 000 personnes, selon l’Associated Press, se seraient formées. Dix camions provenant de la République dominicaine seraient arrivés dans la capitale dimanche… Les distributions de secours à la population survivante peuvent donc commencer… dans l’ordre prévu, semble-t-il, par les autorités internationales.

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Au fait, ce dimanche, The Guardian publie la liste des engagements financiers ou des sommes recueillies. La France ne figure pas dans le tableau. Sans doute Bernard Kouchner attendra-t-il lundi ou mardi pour communiquer des chiffres ?

       

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Country/organisation ISO country code Funding, committed and uncommitted, $  
         
       

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Others   187,952,543

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Private (individuals & organisations)   156,554,393

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United States US 100,150,000

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World Bank (emergency loan)   100,000,000

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Central Emergency Response Fund (CERF)   25,000,000

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Sweden SE 18,181,860

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Brazil BR 15,530,000

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China CN 10,405,286

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United Kingdom GB 10,171,581

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UN & agencies   10,000,000

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Australia AU 8,992,806

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Denmark DK 7,376,543

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Canada CA 5,491,330

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Japan JP 5,327,154

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Norway NO 4,939,341

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Spain ES 4,329,004

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European Commission   4,329,000

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Germany DE 3,463,204

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Netherlands NL 2,886,003

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Switzerland CH 1,941,748
       

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Finland FI 1,803,752

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Italy IT 1,593,145

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Poland PL 1,089,466

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Estonia EE 1,000,000

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Guyana GY 1,000,000

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Indonesia ID 1,000,000

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Morocco MA 1,000,000

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New Zealand NZ 1,000,000

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Luxembourg LU 722,900

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Russian Federation RU 700,000

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Belgium BE 651,876

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Greece GR 290,000

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Czech Republic CZ 288,600

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Inter-American Development Bank   200,000

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South Africa ZA 134,904

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TOTAL   695,496,439

 

Dans un tout autre genre, pour prendre la mesure des enjeux et de ce qui pourrait se tramer, on peut prendre connaissance du point de vue de Brave Patrie , « le vrai journal des vraies valeurs de la France vraie ». Parfois, on peut se demander si on en est si loin…