« Bouffer du poulet » est un sport national dans notre pays, écrivais-je il y a quatre ans dans mon premier ouvrage aujourd’hui épuisé, France Intox. Ce que je voulais exprimer par cette formule un peu imagée, c’est la dénonciation d’un sinistre phénomène : la haine de l’institution policière.

 

Bien entendu, ladite institution ne saurait être mise à l’abri de la critique. Philippe Madelin, un journaliste d’investigation rencontré durant la préparation de ma thèse et récemment décédé, avait publié des enquêtes fort intéressantes : La Galaxie terroriste (Paris, Plon, 1986) et La Guerre des Polices (Paris, Albin Michel, 1989).

 

Cet ancien grand reporter de TF1 n’hésitait pas à jeter un regard critique sur les méthodes policières, sans pour autant tomber dans le pilonnage anti-flics ; d’ailleurs, le premier de ces deux ouvrages était dédié (entre autres) à un inspecteur divisionnaire mort accidentellement en mission, Gérard Marlet. (1)

Tout le monde ne s’embarrasse pas de ces subtilités, tel Maurice Rajsfus, qui a consacré plusieurs ouvrages à la dénonciation des agissements de la police française. Outre le fait qu’il a une fâcheuse tendance à confondre système et bavure, l’historien livre un raisonnement qui laisse songeur : de la IIIe République à nos jours, en passant l’Occupation, l’institution demeure nuisible dans son essence.

 

 

« L’analyse de cet archiviste des turpitudes de la police est […] erronée, tendancieuse, fantasmatique. » a noté le journaliste Frédéric Charpier en faisant référence à un de ses ouvrages. (2) On ne saurait mieux dire. Libre à Maurice Rajsfus de vouloir victimiser les délinquants et autres criminels ayant eu maille à partir avec la police, mais cela se passera sans moi. (3)

 

 

 

Et puis il y a ceux qui poussent le bouchon un peu plus loin : l’appel au meurtre. Pur et simple. Le dessinateur Siné complètement ivre qui, entre deux diatribes antisémites, déblatérait à l’antenne de la radio Carbone 14 une nuit d’août 1982 : « Moi j’estime que si un flic se fait descendre un par un à un arrêt d’autobus, alors qu’il a fini cette espère de saloperie de métier qu’il fait, si on le flingue, c’est très bien. », les (trop) nombreux émules français du rappeur américain Ice-T qui chantait en 1992 : « Tueur de flics… Je nique la brutalité policière… Tueur de flics… Je sais que ta famille souffre… Je te nique… Crève, crève, crève, porc, crève. » La liste est longue, très longue.

 

 

Liberté d’expression, me dira t-on. Soit. Hélas, pour un certain nombre de délinquants et de criminels, les mots ne suffisent pas. Et nous arrivons là au stade ultime de la flicophobie : les coups, les blessures, le meurtre. C’est ce que est arrivé au brigadier-chef Jean-Serge Nérin, victime de tueurs de l’organisation séparatiste basque ETA lors d’une fusillade survenue à Dammarie-les-Lys (Seine-et-Marne) le 16 mars dernier. C’est ce que arrive bien trop souvent dans les zones de non-droit, qu’on appelle pudiquement les banlieues « sensibles ».

 

 

En achevant cet article, j’ai une pensée pour Saïd Bourarach, le maître-chien mort noyé le 30 mars au soir dans le canal de l’Ourcq, à Bobigny (Seine-Saint-Denis). Crime raciste – les quatre suspects sont juifs, lui était d’origine marocaine – comme le pensent certains musulmans et militants de la cause palestinienne ? C’est possible, et il faut espérer que l’enquête nous en dira davantage sur le déroulement du drame. Mais cet agent cynophile n’est-il pas, indirectement, une victime de la flicophobie ?

 

 

La haine de la police, c’est la haine de l’ordre, de l’autorité. Un maître-chien appartenant à une société privée est, à l’instar d’un policier, chargé d’assurer l’ordre, la sécurité. Or, ne l’oublions pas, l’agent et sa chienne Diana ont été attaqués pour un seul motif, le refus d’accès à un magasin de bricolage après l’heure de fermeture. En clair, le malheureux Saïd Bourarach est mort pour avoir fait son travail. Comme le brigadier-chef Nérin.

 

Ce qui suscite une certaine inquiétude, c’est la petite musique qui se fait entendre ces jours-ci : l’ETA qui rejette la responsabilité de la fusillade du 16 mars sur la police, un des agresseurs du maître-chien qui lui prête des propos antisémites. Des preuves ? Aucune, mais l’objectif est clair : insinuer que les victimes n’étaient finalement pas si innocentes…

 

 

Il est plus que temps d’en finir avec la flicophobie et ses avatars qui sévissent dans notre pays.

 

 

 

(1) La Galaxie terroriste, Paris, Plon, 1986, p. 7. Philippe Madelin s’était également intéressé aux services secrets français ; voir son livre Dans le secret des services La France malade de ses espions (Paris, Denoël, 2007), adaptation de sa thèse soutenue à l’Université d’Evry (Essonne) en juin 2005 : Pertinence de la rivalité entre les services de renseignement. Outre le témoignage précieux qu’il m’avait apporté en septembre 2003 lorsque je préparais mon doctorat, Philippe avait eu la gentillesse de signaler mon dernier ouvrage sur son blog, bien que nos opinions politiques étaient très divergentes. Qu’il en soit à nouveau remercié.

 

 

(2) Au cœur de la PJ Enquête sur la police scientifique, Paris, Flammarion, 1997, p. 283. Il est vrai qu’entre Maurice Rajsfus et la police française le passif est lourd (arrêtés lors de la rafle du Vel’ d’Hiv’, ses parents ont péri en déportation), mais cela ne doit pas nous obliger à approuver ses outrances.

            Exemple de simplification : quand Marcel Hasquenoph, ancien inspecteur des Renseignements Généraux entre 1942 et 1945, écrit que « en 1944, quarante fois plus de Français que d’Allemands travaillaient pour la police allemande. » (La Gestapo en France, Paris, éditions de Vecchi, 1975, p. 8-9), l’historien dit que cela correspond à « la quasi-totalité de l’effectif policier français » (La Police de Vichy Les forces de l’ordre au service de la Gestapo 1940/1944, Paris, Le Cherche Midi, 1995, p. 37).

            Or, Marcel Hasquenoph évoquait les collaborateurs de la Gestapo qu’ils soient policiers, miliciens, truands ou autres, pas la police française en tant que telle. Décédé en 1977, il ne pouvait guère contester cette sollicitation évidente de son texte.

 

 

 

(3) Dans son méchant ouvrage La police et la peine de mort 1977-2001 : 196 morts (Paris, L’Esprit frappeur, 2002) il cherche notamment à nous faire pleurer sur l’assassinat du truand gauchiste Pierre Goldman. Pour lui, c’était un « militant » (p. 22) : pas un mot, bien sûr, sur son implication dans l’assassinat des pharmaciennes du boulevard Richard Lenoir le 19 décembre 1969.