Hier soir, les députés français ont voté et adopté le projet de loi Création et Internet, qui met en place un système de riposte graduée destiné à lutter contre le téléchargement illégal et à protéger les ayants droits du piratage d'oeuvres culturelles et artistiques. Ce projet, très contesté, amène avec lui un ensemble de pratiques que la Chine pourrait rapidement nous envier. Nous verrons dans un premier point les fondements de cette loi, ce qu'elle entraînera, puis, nous nous intéresserons à sa légitimité, à sa mise en application et à ce qu'en pensent diverses personnalités artistiques.

 
"Internet et Création" coupe l'accès aux pirates

Les débats auront été rudes. La loi Création et Internet est en effet loin d'être anecdotique. Elle entraînera la création d'une Haute Autorité chargée de défendre les droits des artistes, des studios de cinéma ou encore des maisons de disques. Afin de lutter contre le téléchargement illégal, les réseaux P2P seront surveillés, les adresses IP des pirates seront récoltées et un avertissement par mail leur sera envoyé. S'ils persistent, ils recevront une lettre de menaces. S'ils téléchargent encore, leur accès internet sera suspendu.

L'Etat vous impose un logiciel espion !

Récemment, un homme a été reconnu innocent, même si son adresse IP le désignait comme coupable d'un piratage. Il a été démontré que l'adresse IP peut être facilement usurpée et qu'elle ne peut pas servir de preuve irréfutable pour prouver la culpabilité d'une personne. Devant cette décision, une solution simple et radicale a été prise : forcer les internautes à installer un logiciel espion qui sera capable de prouver si oui ou non vous avez téléchargé un fichier en violant les droits d'auteurs. Oui vous avez bien lu ! Un trojan ! Ces mêmes logiciels que vos antivirus détectent comme des dangers. Si vous installez ces logiciels "labellisés" par le Gouvernement, vous pourrez prouver votre innocence, si vous ne le faites pas, vous serez automatiquement dans l'incapacité de vous défendre. A noter que ces solutions seront… Payantes !

Les offres légales seront surréférencées

Bye bye la neutralité du Net. La nouvelle loi imposera désormais aux moteurs de recherches de ne plus classer automatiquement les sites, en utilisant leurs algorithmes, mais au contraire, les Google et autres Yahoo devront mettre en avant les offres de téléchargement légales. On imagine donc que tôt ou tard, les sites comme thepiratebay.org ou les annuaires de torrents, seront poussés vers le bas, voire même qu'ils disparaîtront dans les méandres du filtrage, pour laisser la place aux plateformes des majors. Un rude coup porté à ceux qui défendent bec et ongles la neutralité de la Toile. L'Etat français deviendrait ainsi le premier à décider ce que ses citoyens verront dans les résultats de leurs recherches internet.

Cette loi est-elle réellement légale ?

Devant un tel acharnement, on peut se demander si l'on vit encore en France. Même la Chine n'a pas osé le coup du trojan. Cette loi est-elle légale ? On peut se poser la question alors même que le Parlement Européen a à plusieurs reprises rappelé qu'il été interdit de couper l'accès à internet comme sanction. Le Gouvernement français s'en est sorti par une cabriole digne des juristes les plus vicieux : Il ne coupe pas l'accès à internet, il coupe l'accès à internet à partir du poste qui a servi à télécharger illégalement… Nuance ! Pire encore, savez-vous que cette loi a été votée par… 16 députés ! 16 députés sur les 577 ! Le vote de 16 personnes peut-il représenter la nation entière ? On en doute.

HADOPI : la "désintégration du droit d'auteur"

Daniel Vangarde, producteur, parolier et père d'un des Daft Punk, a récemment envoyé une tribune libre au site PCInpact. Ce site tient régulièrement les internautes au courant des débats concernant HADOPI. Dans cette lettre ouverte, Monsieur Vangarde y explique que loin de défendre les droits d'auteurs, HADOPI les détruit ! En effet, selon lui, l'auteur est seul à décider de la façon dont son oeuvre peut-être diffusée et utilisée, or, la Haute Autorité se substituerait donc à lui et déciderait à sa place, de poursuites concernant ses oeuvres.

Une loi destinée à protéger les majors et non les artistes

On nous affirme souvent que cette loi permettrait de sauver l'industrie du disque et du cinéma, que les pirates sont responsables de tous les maux, bref, les téléchargeurs servent de parfaits boucs-émissaires. Mais le Gouvernement et les Majors ne veulent pas entendre dire que les "pirates" n'auraient de toute façon pas acheté ce single, cet album et qu'ils n'auraient pas été au cinéma si ce film n'était pas sur le réseau. Non, tout comme ils ne veulent pas reconnaître que c'est le système actuel qui est à revoir. Pour preuve, MyMajorCompany, qui a fait connaître le jeune chanteur Grégoire, a facilement démontré qu'un artiste peut être produit avec peu de moyens et sans que les Majors n'interviennent. Car cette loi n'est pas là pour protéger les artistes, mais bel et bien les grands industriels qui vivent en se faisant des marges énormes sur le dos des artistes. Ainsi, sur France 5, Cali disait : "Et je crois que quand on dit que les artistes ne pourront plus travailler… même si je suis chanteur je mets un bémol, nos producteurs de disques se font des marges énormes, et nous, ce que nous récoltons des fruits de nos chansons, c'est quand même très très minime. Après, évidemment, il faut se battre, il ne faut pas télécharger illégalement".

En conclusion, on ne peut qu'être tristement surpris et scandalisé par l'adoption de cette loi, qui fait de la France le pays occidental et moderne le plus répressif concernant les droits d'auteurs. La France donne des leçons à la Chine, mais elle n'a plus rien à lui envier. Il reste encore un espoir en la personne du Conseil Constitutionnel, qui pourrait censurer certains articles de cette loi, voire la vider de sa substance, mais l'avenir semble bien gris…