C’est un recueil de nouvelles issues du recueil Carbowaterstoemp. Comme le nom l’indique, c’est d’un Belge et c’est belge, deux fois, donc. Je sais, c’est facile ! J’ai toujours résolument su faire face à la facilité. Je m’effraie de mon égoïsme et de ma mauvaise foi, mais je me soigne. Sinon j’aurais gardé pour moi seul cet Assortiment pour une vie meilleure, paru au Diable Vauvert, ou alors j’aurais écrit que, oui, bof, pas fameux. Histoire que vous ne l’achetiez pas et que nous soyons moins nombreux à rire sous cape des franches rigolades que nous procure Thomas Gunzig (un bon zigue, et un gros calibre littéraire, voir remarque supra).


Cela commence plutôt gris, comme le petit gris, avec un bout de carotte dedans pour garder un peu frais, cet Assortiment. À la Michel Doury, si j’oserais (tel le roseau penchant). Soit dans le genre pince-sans-rire et faussement terne, étal, clinique, banal, mais carrément décalé. Michel Doury était un grand romancier, et un voisin (enfin, un voisin méridional, des Ardennes françaises), de Gunzig, et il est donc aisé de les faire littérairement voisiner. Si Thomas Gunzig était mon cousin, je lui donnerai de bonnes grosses bourrades du coude en m’esclaffant « ah, le c… ! ». Car il est à l’irénisme (ici tolérance des erreurs de parcours et des écarts de conduite) ce que Doury était au jansénisme en littérature : devinez pourquoi… Vous pouvez chercher longtemps parce que, personnellement, je n’en sais rien, vu que c’était juste un prétexte pour saluer au passage ma cousine Irène, l’Aragon, la Castille, les citrons, la vanille, tout cela.

 

Or donc, l’Assortiment débute par la nouvelle « Amuse-bouches et pâté de lièvre ». Le crime gratuit se mijote très longtemps, en bien plus longtemps qu’un Gide n’en mit à s’avoiner au Vatican, et la preuve, c’est l’histoire de l’assassin de Gunzig. Lequel choisit pour victime « quelqu’un de totalement quelconque », comme un personnage de Doury, quoi ! Quoique… Vous avez remarqué que Truman Capote affectionnait les allitérations (surtout dans Prières exaucées) et que j’aime lier de « quoique… » mes transitions. Évidemment que les personnages de Doury ne sont pas quelconques, puisqu’ils sont de Doury. Et pour l’assassin de Gunzig, comme pour sa victime, la même remarque s’impose. Couac ! Car il y en a un, voire plusieurs, dans les mécaniques narratives des narrateurs de Gunzig, mais ils sont voulus, donc : couac quoique… L’assassin ne veut pas tomber dans l’exaltation fatale aux criminels en série, listés page 19, depuis le boucher de Hanovre jusqu’à Woodfield, Randall (j’aime couaquer, mais je suis un bon citoyen, respectueux de la loi et de l’ordre alphabétiques, alors que Gunzig est un dangereux libertaire de ce point de vue ; je vous fais aussi incidemment remarquer que, contrairement à d’autres livres que je chronique, de celui-ci, je n’ai pas lu que la page 19). Il y a du Musil dans les qualités de l’assassin de Gunzig, mais je ne vous en dirai pas plus pourquoi que je vous dévoilerai la faim de Marc, la victime, ou la liste des pistolets automatiques de la page 24. Car après un tel suspense, je vous laisse sur la vôtre. Juste un indice : l’autopsie de Marc n’a pas été faite et on ne saura jamais ce qu’il avait vraiment dans le ventre. En tout cas, à chaque Sainte-Catherine, faites-vous une raie à sa mémoire et lissez bien (par exemple en trempant votre peigne dans les restes d’une raie au camembert façon, naguère, Le Palais Lafayette, restau proche de la rue parisienne homonyme). Cela n’a rien à voir ? Oh que si ! Mais il vous faudra lire pour comprendre.

 

Notez au passage que si les titres des ouvrages, essais, recueils, de Gunzig sont aux petits oignons, ses intitulés de nouvelles sont des cors, qu’écris-je, des cris ! Ainsi de « sous le signe du Chorizo » (avec une C capitale). C’est l’histoire d’une tendre jouvencelle, Caroline Lemayeux (cherchez ce nom sur l’Internet, pas dans l’annuaire, car Lemieux, Caroline, est l’ennemie de Dubien, Caroline, un nom que j’ai choisi au hasard sur Facebook). Là encore, les noms des compositeurs qu’elle interprète au piano (diverses pages) ne sont pas dans l’ordre : un tic d’écrivain, sans doute.

 

Petite remarque incise. Gunzig a été longtemps libraire, entre autres, moi faits-diversier, entre autres. Et pourtant, question crimes, il s’y connaît. C’est un connaisseur qui vous l’écrit. Aurait-il aussi été Grand Tambourinaire au Burundi ? Pas sûr. Plutôt triangle dans un orchestre symphonique pour nous narrer le trépas et la froide rigueur cadavérique du chien Jojo à un rythme qui évoque le bruit de l’œuf dur sous le crâne de l’homme restant sur sa fin prochaine. Perdu de réputation, fini, le proprio du toutou, à jamais rikiki, le maître du Youki (sauf qu’il s’appelle Jojo : a-t-on idée de nommer ainsi un meilleur ami de l’homme !). Bref, cela refroidit. Suit une histoire écossaise, mais à l’inverse, soit une chaude histoire, de piscine (celle des services secrets autrichiens) et non de douche prise à trois pour économiser l’eau recyclée du Danube. C’est une histoire bleue. Mais on n’a pas le temps d’avoir peur car il faut que cela saute. Avec Chantal (elle n’a qu’un prénom), dans ce « petit hôtel de l’impasse » berlinoise, il faut que cela se refasse. Je n’ai pas trop compris pourquoi ces deux histoires étaient si proches l’une de l’autre : la Prusse n’est pas si proche du Tyrol, que je sache. C’est peut-être pour le contraste : les personnages, eux, sont « à l’ouest », comme on dit familièrement.

 

« Allo Mars ? Ici le Terrien Gilbert “Cannonball” Montreynaud ! De Barvaux-sur-Semois…». J’ai connu une Montreynaud, mais aucune Gilberte. Alors cela m’étonnerait qu’une Gilberte Montreynaud soit championne de fléchettes finlandaises. Un Gilbert, possible. Cependant, j’ai un doute. Où va-t-il chercher tout cela, Gunzig ? Des patronymes pareils… De sports tels… Il est vrai que lorsqu’on se nomme Zigune en verlan… Ne pas prononcer à la portugaise, ce serait diminutif, heu, péjoratif. Quoique… Après tout, un type qui écrit « la fléchette est une impasse » à propos de la finlandaise après avoir situé un hôtel berlinois dans un cul-de-sac est un obsédé qui ne mérite guère mieux. Encore un impair de ce genre, et je passe à un autre bouquin, finalement. Nonobstant… (ma variante du « quoique » lorsque je réfléchis au moins de l’être et au plus du néant). Car enfin, un homme qui campe ainsi deux envoyés spéciaux de L’Écho de la Sémois au pays de Nosferatu (ou pas loin en amont) appréciant le manhot local (une spécialité culinaire) et refusant d’en donner la recette à leur lectorat ne peut être totalement mauvais. Déjà, le sacrifice du Jojo en était une indication.

 

Allez, une fois (le « quoique » outre-quiévrain), foin d’exotisme à bon compte d’auteur de romans de gare, revenons à la capitale, à Bruxelles, auprès d’Anthrax et de Zoé, une nouvelle qui ne peut qu’évoquer le regretté Boris Vian et l’écume de la nuit sur les babines d’un mistigri faisant la chattemite. Cette fois, Gunzig nous entraîne dans les bas-fonds et les mystères brusselants des atrocités irrésolues. C’est une histoire d’amour, enfin ! Suit une autre. Quelque peu trioliste. C’est pour soigner les enchaînements puisque nous retrouvons aussi trois personnages, Philippe, Marcel et Bertrand, dans l’histoire suivante. Une histoire plus naturaliste que naturiste mais dans un décor tout aussi sylvestre que la précédente. Et quelque peu anthropophage. Les voies sans issue, la chair humaine : si j’étais chroniqueur littéraire à Psychologies, je ne vous dis pas… Un cas passionnant de pervers polymorphe, ce Gunzig. Tiens, si c’était moi qui l’avais découvert, j’irais bien demander une petite augmentation, moi. Mais en tant que chroniquer pour C4N je vous convie, pour le même prix (22 euros pour 504 pages, ISBN 978-2-84626-204-0), à la découverte des grottes de Tsikilirodos (après les bas-fonds du Bruxelles des gouapes, les grottes, comme c’est bizarre, et puis, après une histoire d’invertis, un récit rupestre chez les Grecs, il ne se refuse rien, Gunzig, ce doit être un homme facile…). L’originalité des personnages de Gunzig, dont Michelle, dont il écrit qu’il s’agit d’une Française parlant le français (page 167), une rareté de nos jours, le hisse au rang des Alexandre Dumas à la manœuvre avec les onomatopées castillanes. C’est dire ! Couac-couac, cancana-t-il en dindonnant du croupion…

 

Bon, il y en a 504 pages comme cela, j’en suis à peine à la page 200, et on n’est pas sur le site du magazine Psychologies, ici, hein ! Je m’en tiendrais là avec la suivante, intitulée « Le Beurre salé ». Encore une histoire de trio. Pas du tout du genre Dernier Tango à Plougastel-Daoula ou Coupe-toi les ongles et tire-toi avec l’oseille. Du point de vue de la morale, c’est immaculé et Marie reste sauve et peut se retirer avec dignité. Je la recommande pour les après-midi patronage qui suivent le catéchisme, histoire de montrer qu’il reste une jeunesse saine, pétrie de respect humain, qui ne badine pas avec la pureté des ectoplasmes. Bon, c’était la dernière. Quoique

Non, non, non. Je ne vous narrerai rien des autres nouvelles. D’ailleurs, ensuite, cela fait encore plus désordre. « L’Eau salée » ne suit pas le « Beurre », « La Gastronomie hospitalière » est séparée des « Épisodes cliniques » par des « Figures du transfert ». Bon, il faut donner le flanc à la critique de la critique, et balancer un truc qui permet à l’auteur de lancer dédaigneusement : « et en plus, ils font semblant de lire, mais ils ne savent même pas faire un coupé-collé intelligent !* ». La nouvelle « Viande d’objet » jouxte bien « L’héroïsme au temps de la grippe aviaire » mais les rapports avec les anthropophagies sont ténus. D’ailleurs, « Point Org », qui se termine par « il s’était abandonné à la vague suivante, une énorme vague de désespoir qui l’avait poussé vers un sommeil charpenté de rêves salés » ne fait guère allusion aux thèmes récurrents de l’auteur, et d’ailleurs, cette histoire finit en eau de boudin. Ah ben, non, la phrase d’avant, c’est là fin de « L’Eau salée », celle de « Point Org », c’est : « Après, flottant dans l’absolu bien-être qui suit les grands moments de sexe partagé, une pensée parasite s’est mise à flotter au-dessus de l’horizon de ma conscience : mon ordinateur, qu’est-ce j’allais bien pouvoir en faire ? ». C’est deux chutes sont d’ailleurs interchangeables. Néanmoins…

 

Là, c’est une simple vacherie de ma part. Histoire de faire « objectif », ou « qui aime bien châtie bien ». Et puis, c’est follement facile d’être vache, tandis que laudateur de bout en bout, cela ne fatigue pas que la lectrice de Carpentras et le veuf de Bezons. Le chroniqueur aussi s’épuise. Et si je concluais que je n’avais pas autant ri depuis la dernière livraison des histoires courtes de Tom Corraghessan Boyle (chez Grasset, la plupart du temps, mais avec un fort différé par rapport à la production d’origine, chez Viking, en anglais) ? Phrase longue pour faire court, et chronique « de contrastes », genre terre à terre, factuel. Je ne peux vous en dire plus, j’ai piscine. Et la grippe porcine. Mais quand même…

 

Si vous vous dispensez de lire le bouquin, tentez de retenir à son sujet l’anecdote qui suit… Cette compilation au Diable Vauvert doit beaucoup au fait que l’éditeur initial de Carbowaterstoemp est beau joueur ou bon vrombruisseur™, voire les deux à la fois. Il s’agit de Luc Pires, qui a disputé les droits avec l’auteur dans un box thaïlandais à la Foire de Bruxelles. Cela s’est joué aux points et aux poings, deux fois. Quand on sait qu’après Situation instable penchant vers le mois d’août, son premier recueil d’histoires courtes, en 1993, Gunzig a publié plus d’une douzaine de titres, dont 10 000 litres d’horreur pure : modeste contribution à une sous-culture, on se dit qu’on risque d’entendre causer de lui dans les dîners en ville. Placez l’anecdote avant que les Dugommier, vos hôtes liégeois, ne vous l’ôtent de la bouche. Et devant leur air déconfit, ne pouffez pas dans le vol-au-vent. Vous risquez d’en avoir plein le jabot de chemisier ou la cravate. Avec la propreté, Monsieur, en Belgique, on ne rigole pas, et trois fois plutôt qu’une !

 

* Figures du transfert : épisodes cliniques, paru au Grand Miroir, Bruxelles, 2002, est un recueil de nouvelles devant son titre à l’une d’entre elles.