Grosses commissions : les tam-tams et mallettes de Péan

Tiens, je vais faire comme Nicolas Sarkozy qui ne voyait pas l’utilité d’espionner les journalistes et attendait de lire la presse du lendemain. Donc, je ne vais pas me précipiter, ce samedi, au kiosque, pour acheter Marianne et consulter les bonnes feuilles de La République des mallettes, de Pierre Péan, chez Fayard. Mallettes et rétrocommissions, et même tam-tams bourrés de coupures, chez Marianne font écho, avec Alexandre Djouhri, au dossier Ziad Takieddine de Mediapart. Pas sûr, finalement, que cela, mette si mal à l’aise la droite « chiraquienne » ou « sarkozyste ».

Tout (surtout Guérini, DSK, Tristane Banon) et un peu n’importe quoi « embarrasse » le PS, pour Le Figaro. Un florilège de titres des unes du Fig’ a été compilé par Le Canard enchaîné, qui suggère aussi des variantes : « Le PS incommodé », « embourbé », « empêtré ».
En face, ce seraient les multiples affaires de financements cachés des campagnes électorales, d’écoutes clandestines, de marchés aussi truqués qu’à Marseille, qui « affoleraient » l’Élysée, l’UMP, la droite.
C’est parfois à se demander si Le Figaro n’a pas pour objectif de mithridatiser l’électorat socialiste. Quant aux affaires supposées empoisonner la droite, qu’on se rassure, l’UMP détient l’antidote. Qui s’intéresse encore au Woerthgate ? Ou au procès in absentia de Jacques Chirac ? L’électorat de droite n’a qu’un crédo : mon pognon, mes exonérations d’impôts, mon évasion fiscale tolérée. Le reste, pfittt, il fait pschitt. La droite française est un peu comme les Libyens pas trop négligés par Kadhafi, soit jusqu’à la dernière décennie, la majorité…

Le clan Kadhafi pouvait bien se goinfrer à s’en faire éclater la panse tant que les miettes gardaient la taille de boulettes rebondies (en Libye, plutôt avec les pâtes que le couscous).

À chacun les siens

On ne peut pas trop accuser Marianne de complaisance envers la clique élyséenne actuelle pour mieux enfoncer la précédente. Ni vraiment Mediapart de ne point trop égratigner ses sources chiraquiennes pour mieux enfoncer Sarkozy et consorts. Mais c’est parfois farce.

Il fut un temps où Edwy Plenel (Le Monde, Mediapart) et Pierre Péan (plutôt des hebdos) s’affichaient ensemble, dans des festivals (celui, angevin, du Scoop), lors de débats, sur des tribunes, dans les écoles de journalisme. Depuis, Péan n’a pas trop fait preuve de confraternité exagérée à l’égard de Plenel, et la circulation en catimini des infos s’est tarie entre les deux.

Or donc, cela peut se concevoir aussi du fait que Marianne dispose de davantage d’abonnés et de lecteurs que Mediapart, Fayard a réservé les bonnes feuilles de La République des mallettes – enquête sur la principauté française de non-droit, à l’hebdomadaire « centro-radsoc » et non au site « radsoc-centriste » de Plenel. J’admets, cette labellisation est abusive, mais elle souligne que, toutes choses étant égales par ailleurs, Fayard aurait fort bien pu ne pas accorder d’exclusivité à l’un plutôt qu’à l’autre, leurs deux lectorats étant également réceptifs.

Il est aussi quelque peu abusif, de la part de Marianne, de présenter l’intermédiaire Alexandre Djouhri tel un « inconnu du grand public » et « l’un des personnages les plus mystérieux de la France d’aujourd’hui… ». Il n’est pas en effet si mystérieux pour les lectorats de Mediapart et d’autres qui voient en lui le pendant chiraquien de Ziad Takieddine. Soit, à tort ou à raison (eh, précaution d’usage) un pourvoyeur de rétrocommissions, un habitué des paradis fiscaux (là, le conditionnel ne s’impose plus), &c.

Ces intermédiaires ne travaillent plus comme ceux « qui apportaient à Dominique de Villepin (…) des liasses de billets dissimulés dans des djembés (gros tam-tams), » rapporte Marianne. Je verrais la suite demain, dans la presse. Nul besoin de consulter les fadettes (factures détaillées) de Claude Durand (Fayard), Patrick Ouart (ex-conseiller Justice de Sarkozy), Philippe Bilger (blogueur associé de Marianne2), ou Régis Soubrouillard (Marianne).

Rien d’illégal

Au fait, vous avez remarqué que Claude Guéant a renoncé à poursuivre Mediapart en diffamation ?
Et Kouchner, il en est où de sa plainte contre Pierre Péan ? C’était en février 2009 et Bernard-Henri Lévy s’exclamait : « Y’en a marre de ces petits procès, de ces petites saloperies, de ces nains… ».
Ah, non, il ne s’agissait pas de Guéant, Woerth, Morano, et autres aficionados de la plainte pour injures ou en diffamation (ainsi d’Hervé Séveno, proche de Villepin, d’Henri Proglio, de Djouhri), mais de Pierre Péan.
Lequel prenait soin alors de déclarer sur France Info qu’il ne saurait reprocher quoi que ce soit d’illégal à Kouchner. Là, avec Dominique de Villepin, il récidive pour Le Point et Reuters : l’ancien Premier ministre ne saurait être accusé de corruption puisqu’on ne connaît pas « l’utilisation qu’il a pu faire de la vingtaine de millions de dollars, estimation probable, qu’il a reçue de chefs d’États entre 1992 et 2005. ».
C’est en tout cas confortable s’il ne s’agissait que d’écouter des journalistes, ce qui n’est pas (déjà ?) reproché à Villepin.

Finançait-il déjà, en sous-main, la rébellion en Côte d’Ivoire pour renverser Laurent Gbagbo, ou la « neutralisation » du couple Rose Doudou et Robert Guéï ? Sans doute pas.

Rien d’illégal non plus de la part de Péan lorsqu’il désigne Dafroza et Alain Gauthier, du Collectif des parties civiles pour le Rwanda, en tant que « courroies de transmission du pouvoir rwandais » (histoire de soigner ses informateurs dans les services ?).

C’est peut-être de source EADS que Péan aurait appris que Djourhi aurait reçu, sur ordre de Guéant, 12,8 millions d’euros d’avance sur un contrat de vente d’Airbus à la Libye de Kadhafi. À moins qu’il ne s’agisse d’une fuite de la part d’adjoints aux directeurs de tels ou tels services qui lorgneraient une promotion au cas où la fin de règne tournerait à la défaite électorale.

Péan revient aussi sur l’affaire des infirmières bulgares : « Ce que des sources m’ont confirmé, c’est que l’argent qui est arrivé du Qatar dans la foulée, pour des montants inconnus et dans des conditions imprécises, a généré des commissions indues versées par la France. On me cite un chiffre de 30 millions d’euros. Celui qui a suggéré l’intervention de Cécilia et qui a monté le coup avec le libyen Béchir Salah, le directeur de cabinet de Kadhafi, c’est Alexandre Djouhri… ».

Pour sa part, Arrêt sur images relève que la teneur du livre de Péan était déjà connue de certains intéressés. « Une enquête de Paris Match sur celui “qui symbolise les réseaux occultes du pouvoir” avait été annulée, à la demande du désormais célèbre Ramzi Khiroun, conseiller en com’ de Dominique Strauss-Kahn, mais aussi porte-parole d’Arnaud Lagardère et membre du comité exécutif du groupe Lagardère, qui détient Match, » rappelle Dan Israel. Rien d’illégal non plus, juste une interprétation « morale » d’opportunité, pour la préservation des intérêts nationaux transcendant la liberté de s’informer.

Pas de fuites ?

Claude Durand affirme que ceux qui traitent par avance l’enquête de Péan de tissu d’affabulations n’ont pas pu bénéficier de fuites sur les informations contenues dans le livre. Ah bon ? Si les naïfs volaient, ils seraient, comme Michel Drucker et Michel Sardou, et à présent BHL, « colonels citoyens de l’Armée de l’Air ». L’enquête de Péan sur « Monsieur Alexandre » (Ahmed Djouhri) n’avait guère besoin d’être publiée pour que ceux devant savoir sachent de quoi il en retournait. L’ex-associé d’Anthony Delon, proche de Bernard Squarcini, Serge Dassault, Antoine Frérot (Véolia), ou Patrick Kron (Alsthom), qui se présentait au Gabon comme un partenaire de la DGSE, avait été « cadré » par Patrick Ouart ou Anne Méaux (collaborateurs élyséens), et les révélations étaient prévisibles.

Claude Durand a raison : le verbatim, les bonnes feuilles, n’ont sans doute pas fuité, si ce n’est en direction du Point, en version expurgée de ce dont bénéficie Marianne. Il relève que les détracteurs de Péan « ne qualifient pas l’enquête de diffamatoire, ne menacent pas de procès. Tout simplement parce qu’ils savent que le travail de Pierre Péan est sérieux. ». Il ajoute qu’il y avait « un vrai risque d’intimidation des personnes susceptibles de dénoncer l’action d’Alexandre Djouhri, » si les intéressés au premier chef (Djouhri lui-même, de Villepin, mais sans doute aussi Claude Guéant) avaient été mis trop tôt au parfum. Ils l’étaient plus ou moins assurément.

Une telle enquête s’effectue selon la méthode de la spirale ou des pelures et couches du bulbe d’oignon. On commence par la périphérie pour se rapprocher du centre. Selon les cas, ayant accumulé les munitions auprès de proches des éléments centraux, on contacte ou non ces derniers, pour qu’ils en déballent un peu davantage, réfutent de possibles erreurs factuelles de détail, ou pour recueillir leurs dénégations. La riposte inverse peut s’avérer contreproductive : contacter par avance le centre opposé, l’enquêteur principal, c’est plus ou moins admettre qu’on le prend au sérieux. L’ignorer permet d’entonner le grand air de la surprise outrée et de l’indignation. Exemple, la riposte de Djouhri dans Le Point : « Pierre Péant colporte, en leur donnant une représentation scandaleuse, des ragots déjà publiés. ». L’éparpillé revêt une autre portée s’il est condensé et aggloméré.

Mediapart, grande boudeuse ?

Mediapart, vingt-huitième au classement Come4News (d’après les indices de fréquentation d’Alexa) des sites d’information français les plus consultés, devant Marianne2 (trentième place, devançant Come4News de dix points), mais ne disposant pas de support papier, publie son seizième volet de l’affaire Takieddine. Dans une relative indifférence « confraternelle ».

Et comme par hasard, Mediapart ne s’empresse pas de faire état du livre de Péan. C’est un peu comme pour le « procès de Lyon » de Denis Robert (le 13 septembre), pas trop déjà popularisé par Mediapart (cela s’explique techniquement jusqu’à présent). Denis Robert et Edwy Plenel ne sont plus tout à fait en froid, mais à chacun ses sources, ses réseaux.

Slim Mazni, de Lyon Capitale, a interrogé Denis Robert, qui glisse au passage, que, oui, il réclame à Clearstream trois millions d’euros : « C’est l’avocat de Clearstream qui s’est empressé de donner cette information à Mediapart, croyant sans doute que cela me gênerait. Mais pas du tout. ».

Lequel Denis Robert se révèle charitable. Dans l’affaire des paradis fiscaux, avec Clearstream pour charnière, il amnistie presque : « Villepin, Sarkozy et de nombreux politiques, magistrats, policiers, espions, ont passé cinq ou six ans à regarder le doigt sans voir la lune. ». Tiens, pourquoi donc ? Valait-il mieux regarder son doigt ou détourner le regard ? « Beaucoup de gens n’ont pas trop envie de se poser les vraies questions », ajoute Denis en pointant du doigt incidemment « la presse financière et les rubricards Finance des médias. ». La médialogie le retiendra.

Je m’intéresserai sans doute aux affaires Djouhri et Takieddine sous l’angle des rapports avec les paradis fiscaux. C’est sans doute là que gît, bien enfoui, l’essentiel. Cela peut encore un peu attendre. Djouhri a vraisemblablement raison : la plupart de ce que ficèle Péant a sans doute été déjà publié.

Peut-être même dans Mediapart, qui pointait le rôle de Germain Djouhri, fils de son père Ahmed-Alexandre, gendre de Serguei Chemezov, sous la plume de Rimbus, et se livrait à une sorte de « round-up » de sa revue de presse. C’est en accès libre. Allez voir. Cherchez aussi « Yazid Sabeg ».

Ah oui, au fait, l’affaire du livre de Péan pourrait bien « embarrasser » Le Figaro. Sur le mode grossesse nerveuse avortée prématurément. Lequel Figaro annonce de « nouvelles thématiques “verticales” consacrées à des centres d’intérêt ». Ce sera plutôt le golf, le vin, les ventes aux enchères, le nautisme. Pas vraiment les paradis fiscaux. L’« actionnaire industriel et pérenne » (Dassault, Serge) du Figaro fait de plus en plus penser à son père, Marcel, fondateur de Jour de France, hebdomadaire de l’actualité heureuse.

Le site du Figaro est le troisième de notre classementC4N (derrière ceux de L’Équipe et du Monde). Au lieu de se « tirer la bourre », Mediapart, Marianne, quelques autres (dont par exemple Rue89 ou même le site du nouveau Siné Mensuel), gagneraient peut-être à faire fi de quelques bisbilles. Peut-être aussi conviendrait-il de suivre l’exemple de Libération, qui vient de créer un blogue distinct pour sa rubrique « Désintox », selon un mode collaboratif avec son lectorat.
Exhortation de Rave sur ce blogue : « soyez impartiaux et ne faites aucun prisonnier, tous doivent être au même niveau… ». Péan peut-être, aussi, au même niveau, y compris sur Mediapart. Quitte à remettre en cause ses affirmations pas trop étayées : après tout, il n’y a pas de mauvaise publicité du moment que le nom est bien orthographié.

Auteur/autrice : Jef Tombeur

Longtemps "jack of all trades", toujours grand voyageur. Réside principalement à Paris (Xe), fréquemment ailleurs (à présent, en Europe seulement). A pratiqué le journalisme plus de sept lustres (toutes périodicités, tous postes en presse écrite), la traduction (ang.>fr. ; presse, littérature, docs techs), le transport routier (intl. et France), l'enseignement (typo, PAO, journalisme)... Congru en typo, féru d'orthotypographie. Blague favorite : – et on t'a dit que c'était drôle ? Eh bien, on t'aura menti !

2 réflexions sur « Grosses commissions : les tam-tams et mallettes de Péan »

  1. Tellement vrai, cet article.

    Pendant que l’on endort notre imbecile heureux hexagonal avec des « news » plus ou moins saturées sur les primaires socialistes, l’inclassable Marine ou l’inepuisable affaire DSK, nos dirigeants peuvent faire ce qu’ils veulent; jamais il n’y a eu autant de magouilles, toutes impunies; il fait bon etre au pouvoir de nos jours: Gueant veille

    Guerini sera un super bouc emissaire mais Gaudin, plus racaille ou Pasqua seront tjrs amnistiés (ravi pour Guerini quand meme)

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