Un beau livre-album cartonné, de 240 pages, format bible, est arrivé chez moi sans crier gare. Expéditeur, la maison d’édition Édition populaire, dont j’avais chroniqué déjà quelques publications. Titre : Grems. Quoi cela ? En tout cas c’est plein de photos de graffs, de repros d’affiches, de flyers, et il y a une discographie, un lexique, et quelques rares textes plutôt sybillins…


Ce n’est pas trop ma culture, les graffitis, même si j’ai publié auparavant quelques graffeurs et s’il m’arrive d’aller à la galerie de Magda Danysz. Et quant au rap, depuis la tournée mondiale de la Fnac avec Francis Bueb à l’intendance (circa fin des années 1970), et les débuts de Radio Nova, c’est plutôt loin derrière moi. J’en suis resté à Futura 2000, je crois. Lequel FuturaDosMil est plus ou moins devenu photographe, et sans doute encore galeriste. C’est dire à quel point je ne suis pas du tout qualifié pour chroniquer ce bouquin. Je crois que Dran, d’Édition populaire, m’envoie ses bouquins parce qu’il le sait pertinemment et qu’il pense que je vais trouver un angle insolite, qui le changera des habituels commentaires « dans la note » que ses bouquins suscitent. Là, je cale.
grems_deux.png L’autre soir, je remontais le faubourg Saint-Denis et je tombe sur quatre jeunes gens en tenue de descente aux catacombes ou d’expédition sur les toits de Paris. Ils graffaient subrepticement les rideaux de fer et les façades des magasins du coin. Sympathique équipe à laquelle j’ai suggéré plutôt d’orner les vitres de Chez Jeannette, le bar bien connu du coin de la rue d’Enghien, tout proche du siège du Book, le répertoire des agences et photographes branchouilles. Et pourquoi pas les boiseries de la brasserie Chez Julien, guère lointaine ? Or, j’admets, il faut bien qu’ils se fassent la main quelque part, si possible sans être reconnus de leurs voisins du huitième ou du dix-septième chic. J’ai été raconter cela à l’équivalent du bar de l’hôtel des Trois Faisans, fréquenté surtout par des ouvriers du bâtiment, des chômistes et des intermittents de secteurs divers, et mes interlocuteurs se sont contentés de hausser complaisamment les épaules : même pas la moindre considération sur la disparition de cette autre forme d’art populaire urbain, le graffiti dans les toilettes. Même plus le moindre numéro de téléphone ou le plus anodin pénis pénétrant une vulve béante dans les lieux d’aisance des bistrots du quartier. Killroy passerait par chez nous zôtres qu’on ne saurait même plus s’il a été furet dans notre Bois Joli. C’était mieux avant…

 

C’est aussi mieux après. Après que Grems ait fréquenté les Beaux-Arts de Bordeaux en compagnie du prolixe typographe Jack Usine que je salue amicalement au passage. Le bouquin est d’ailleurs composé en Audimat de la Smeltery. C’est une graticielle que je vous recommande. Au feuilletage, j’avais d’abord cru que Grems était un collectif. En fait, l’une des rares pages de texte, vers les trois-quarts du bouquin, m’a détrompé. Voir plus loin la genèse du second album de Grems, Sea, Sex and Grems, et tentez aussi de me dire (en commentaire par exemple), si les textes sont d’Emma Chicocot ou d’un autre auteur : je n’ai pas compris qui a rédigé l’intro et la conclusion. Les photos sont de plein de gens crédités et de Tony Truand. Là, à l’image du nom de radio Alain Star, je subodore le pseudonyme. Aurais-je tort ?

 

Bref, c’est un livre de jolies images, avec tout plein de photos de flops (« lettrages ronds et débiles » selon le lexique), des reproductions de créations pour un peu tout, dont la réclame (affiches diverses, pour la Ratp, entreprise un peu maso sur les bords), ou les montres Swatch. Pour la campagne Toyota de Saatchi & Saatchi, j’ai été piquer le visuel sur le site.  Il y a aussi des images de maillots de corps à manches courtes qui peuvent faciliter votre présence backstage dans certains concerts, mais c’est sans garantie. Autant créer vos propres visuels à cette seule fin. J’aurais bien aimé vous reproduire la double page de Va-t-en, Vatican, très « à présent, sors de ce corps ! », mais mon numériseur n’aurait pu éliminer la courbure et je n’aime pas les coquilles à ce point elliptiques qui m’apostrophent quelque part (sans nonobstant bouger l’autre).

 

Arrivé à ce stade de tirage à la ligne, je me suis dit qu’il serait bon de donner un coup de pouce à ce bouquin, qui m’a bien plu, mais sans fort enthousiasme, et qui le mérite. Tiens, pourquoi ne pas trouver un angle polémique, histoire de faire râler ou glousser dans les chaumières ? Par exemple en numérisant à la dégueu le Jalousie, Hypocrisie, Mesquinerie ? Ce ne serait pas de la même eau que le fameux Nique la France, « chanson haineuse, qui prépare la guerre civile », comme l’estime Riposte laïque ? Un titre du groupe Zone d’expression populaire avec Saïdou Dias, Busta Robert et MC Jean-Pierre ? « L’ensemble est abject et l’on est sidéré qu’une telle abjection ait pu être mise en chanson et largement diffusée, » considère Cyrano, l’éditorialiste de Riposte laïque. Cyrano se livre à une analyse sémiotico-stylistico-linguistique des paroles et du clip et conclut : « Il y a de la déclaration de guerre dans cette chanson : une guerre avec ses combattants (ces brûleurs d’écoles et de drapeaux tricolores), ses idéologues bellicistes, ses héros et ses hérauts. ». Bah, comme on dit dans mon bar de l’hôtel des Trois Faisans à moi, « ça leur passera ». Brokabilly, le quatrième album solo de Grems le manifestera-t-il ? Je n’ose écrire que le suspense est intenable. Bonifiera, bonifiera pas ? Allez savoir… Espérons en tout cas que Grems poursuivra dans le graphisme et que cet ouvrage ne restera pas le premier et dernier.

 

Grems, Édition populaire, EAN 9782917409022, 240 p., 22 euros