Giraudeau, Fignon, Douglas et quelques autres…

 

 

Le monde est divisé en deux, celui des bien-portants et celui des malades. Encore que celui des bien-portants, selon Jules Romains, soit constitué de malades qui s’ignorent. Mais l’heure n’est pas à l’humour.

A l’occasion de la disparition d’un grand acteur et d’un grand cycliste, il faut remarquer que les medias n’hésitent plus à utiliser le terrifiant mot cancer. Il y a encore peu la convenance imposait « les suites d’une longue maladie ».

De plus les trois précités ont estimé de leur devoir d’en faire état, de l’écrire, de le dire haut et fort à la télévision. Pour que d’autres, tous les inconnus de cette grande famille, profitent de cette annonce officielle.

Le tabou qui entoure la crainte de la mort était vaincu par cet aveu. Ils n’étaient plus les pestiférés comme le sont encore des sidéens. Ils n’avaient plus besoin des signes muets de reconnaissance des membres d’une tribu infréquentable. Les cheveux tombaient mais les masques aussi. L. Fignon (avec le concours de France Télévisions et d’Europe1) a porté le coup de grâce au silence dans lequel le mot cancer doit être enveloppé en commentant le dernier Tour de France. Sa dysphonie atteint des millions de Français plutôt surpris de son effort, de son naturel. Certains prirent cette licence pour un excès insupportable dont on aurait pu faire l’économie. Mais dans ce monde-là, du combat contre le dragon, ces politesses n’ont plus cours. Autant que la bataille soit aussi patente que celle des coureurs grimpant les cols. D’autant qu’après l’avoir annoncé un an plus tôt, L. Fignon était dispensé d’en faire état. Cela faisait partie de son dernier Tour et de sa survie. D’aucuns auraient pensé qu’il se retirât dans quelque discret mouroir, mais il était déjà sur les Champs Elyséens au terme de la course, avec les coureurs et le public.

Quelle indécence, a-t-on pu entendre incidemment de la part de ceux que la peur habite toujours. Ce sentiment est bien naturel même s’il doit être dépassé par le goût de la vérité.

Il est probable que les nombreux lecteurs de B Giraudeau ont apprécié ses écrits pour apaiser leurs inquiétudes et non pas par voyeurisme.

Oh ! Ces deux disparus n’ont pas fait progresser l’oncologie, mais ils ont fait beaucoup pour tous et pour la médecine aussi, tant ils ont montré la puissance du vivant contre la hargne griffue des dragons. On pouvait voir un cancéreux en dehors de son pavillon. Quel progrès ! Quel bienfait pour ceux qui ont dû restreindre leur vie, et surtout pour les entourages souvent si effrayés qu’ils condamnent leur pestiféré à une condescendante solitude aussi bien qu’un trop plein de sollicitudes. Ils ont montré qu’il avait décidé que cette maladie n’est pas mortelle et qu’en y croyant, médecine aidant, on gagnerait le combat. Si ce n’est aujourd’hui ce sera demain.

Faire comprendre cet art de vivre aux bien-portants, sans triomphe mais ils n’entendront pas le démenti final, est rendre lucide pour tous le refus du tabou d’un autre âge.

 

En ce temps où l’avoir domine, ils démontrent la puissance de l’être. N’est-ce pas réconfortant ?

C’était, par un beau jour de scan, l’hommage à l’humain.

 

P S. Je ne saurais trop encourager le lecteur intéressé à écouter en podcast l’interview d’A. Duperrey sur France2