Des mois après le déclenchement du scandale de la viande de cheval, on reste toujours sans nouvelle des suites judiciaires des affaires Covi (enquête en 2007, mise en examen en 2008), Castel Viandes, ou des sanctions visant non pas l’entreprise, mais les personnes ayant manqué à la vigilance s’imposant chez Spanghero. Qu’à cela ne tienne, des affaires de vêtements allergisants prendront le relais…
Benoît Hamon s’est offusqué que la Commission européenne tarde trop à introduire un étiquetage des produits alimentaires carnés mentionnant leur origine et parcours (lieu d’élevage, d’abattage). Rappelons que la traçabilité n’empêche pas la fraude, mais permet simplement par après de mieux la caractériser.
Le magazine Capital a recensé les principaux scandales alimentaires depuis le pain au talc (ou, au Moyen-Âge, aux os moulus) jusqu’aux laits chinois contaminés (2008) en passant par les vins mouillés (1890), les huiles frelatées (1981, Espagne) et les poulets à la dioxine (1999), &c., et la liste n’est pas exhaustive.
Mais dans d’autres secteurs, le cas des implants PIP le rappelle, ce n’est guère mieux. Avec, en France, une singulière mansuétude pour les responsables : il faut sauvegarder l’emploi, certes, mais celui des dirigeants et décideurs semble importer tout autant…
Après ces considérations générales, passons un peu au cas qui a suscité fortement l’émotion récemment : plus d’un millier de morts, une survivante retrouvée 17 jours après l’incendie d’un immeuble abritant (entassant) des ateliers de confection textile.
Une sympathique chroniqueuse de Marianne a titré « Payer 3 € de plus pour un jean, ça nous aurait tués ? ». Cela lui vaut surtout des commentaires ironiques, surtout en raison de sa conclusion : « quand sur l’étiquette ce n’est pas cher, c’est que quelqu’un d’autre en paye le prix ». Car en fait plus c’est cher à l’achat, moins ce l’est départ usine : les plus grandes marques sont mieux à même de négocier des prix bas si elles diffusent largement que les petites, y compris celles vendant bon marché.
Toutes ou presque ont cependant fait prendre le risque aux acheteurs de produits textiles ou en cuir (chaussures) de s’exposer à des conséquences parfois bénignes, mais récurrentes (allergies), ou graves (intoxications, diabètes, &c.). Isabelle Verbaere, du mensuel Ça m’intéresse, a donc constitué un édifiant dossier.
Christine Lambert, de Marianne, aurait certainement gagné à le consulter avant de préconiser des prix alourdis pour le consommateur. Nayla Ajaltouni, du collectif Éthique sur l’étiquette, relève que, pour un pantalon, la main d’œuvre ne représente que d’un à trois pour cent du prix final. Car « les marges de la marque et du détaillant représentent 85 % du prix ». Trois euros de plus, cela – idéalement, mais ne comptez pas trop dessus – vaudrait un, deux, trois centimes (allez, quatre peut-être pour contremaîtres et cadres), au mieux, pour les petites mains. Pas de quoi prendre en charge à leurs frais la rénovation de leurs lieux de travail avant… un certain temps.
Mais, selon une étude britannique, doubler les salaires des ouvrières et ouvriers du Bangladesh n’alourdirait le prix d’un tee-shirt que de deux pence (trois centimes d’euros), soit passer d’une dizaine de centimes d’euros à une vingtaine de l’heure travaillée.
Relevons au passage que l’affaire de Dacca évoque celle de la viande de cheval sur un point au moins. À leur plus grande « stupéfaction », divers « fabricants » (titulaires de marques, prestigieuses ou non, ou de distributeurs, dont Asda, pour n’en citer qu’un) ont découvert que des produits portant leurs étiquettes ont été retrouvés dans les décombres. Tout comme pour les produits alimentaires, les marques s’adressaient à des fournisseurs « de confiance » qui sous-traitaient. Leurs détenteurs « découvrent ». Bon, Adidas, qui vient de lancer un tee-shirt commémoratif de l’attentat de Boston (tout fait vendre) en édition limitée (donc à 26 USD, un poil plus cher que d’autres), n’est sans doute pas touchée : c’est trop récent.
Notez que les grandes marques, les plus connues ou les plus prestigieuses, en tout cas les plus profitables (comme Zara), sont souvent les plus rapaces. Pas forcément les moins vigilantes sur la non-toxicité des produits. Mais voilà : pour le producteur, c’est applique les normes, mais démerdensiezich pour ne pas réduire la marge des marques ou plus grands distributeurs.
« Les produits de substitution coûtent beaucoup plus cher. Résultat : les fournisseurs rognent sur les salaires et les conditions d’hygiène et de sécurité », constate Emmanuelle Lévêque, fondatrice de la marque Origines nomades, qui a longuement enquêté à Dacca. Notez que millionnaires et milliardaires ne sont pas si rares au Bangladesh et que les grands patrons locaux se voient dérouler le tapis rouge quand les grandes marques les invitent à visiter leur siège ou lors de réceptions de grand luxe.
Le secteur du textile et de l’habillement en général utilise le quart de toute la production mondiale de produits chimiques (un kilo par kilo de textile, et 200 litres d’eau, estime Richard Martinetti). Dans certains cas, environ 7 000 molécules sont employées. Or, la peau ne fait pas barrage à toutes les molécules. Des allergies aux tumeurs ou cancers, que les personnes atteintes consultent ou non (la plupart du temps, elles ne le font pas, changent en vain de lessive), cela peut toucher jusqu’à dix pour cent de la population des consommateurs, en tout cas en Europe.
Et puis, comment attribuer la baisse de fertilité aux textiles, sous-vêtements, vêtements ? Ou l’aggravation de l’obésité ? Et pourtant…
Que fait Benoît Hamon ? Ce qu’il peut avec les moyens laissés par son prédécesseur. La Direction de la concurrence ou celle des douanes ne veut pas se prononcer sur la question des contrôles des vêtements. La CGT des Douanes constate que « moins d’un pour cent des conteneurs importés sont ouverts dans les ports français ». Faute d’effectifs, de volonté aussi. Au Havre le dédouanement se fait en six minutes en moyenne et le contrôle physique (qui ne va pas jusqu’à envoyer des échantillons en laboratoire) ne touche que deux pour cent au mieux des marchandises.
Notez que ceux qui manipulent meurent beaucoup plus, sont bien davantage atteints, que les destinataires. Un millier de morts, c’est spectaculaire, d’un seul coup. Des dizaines de milliers, cela se voit moins.
Conclusion d’Isabelle Verbaere : « seule l’exigence, ou la crainte, des consommateurs peut faire évoluer la situation. ». Tenez-vous le pour dit.
Or, la contamination par les pesticides et autres produits chimiques n’intervient pas que durant le processus de fabrication. Au final, les conteneurs sont traités au diméthylfumarate ou au bromure de méthyle provoquant irritations, atteintes neurotoxiques ou des voies respiratoires.
Le problème est aussi qu’un gilet maille jersey en coton biologique de Tanzanie d’Origines nomades va se retrouver à environ cent euros en magasin. Une robe en soie à près de 190 euros (dont 16,4 % de TVA, 2,5 % de droits de douane) rapporte environ 40 euros au fabricant de l’autre bout du monde. Fort bien, mais la ménagère ou le parent d’élèves (mettons de deux) à bas revenus ne peut que très occasionnellement s’offrir de tels produits.
« Curieux comme on réclame la traçabilité de ce qu’on mange, mais pas de ce qu’on porte… », remarque Christine Lambert. Elle a parfaitement raison, l’ennui étant que la plupart n’ont guère les moyens de s’attarder à ce type de considération : le prix prime, je ne consacre que 15 euros pour un jean, le plus simple et le plus résistant possible (ceux de marque ne le sont guère plus que ceux des marchés à ciel ouvert). C’est aussi le premier prix chez Tati. Prix auquel il faut rajouter un lavage (genre long à froid, le gaz revient cher…) pour tenter d’éliminer au moins une partie des traitements nocifs.
Certes, la qualité se paie. Un fabricant américain vient de commercialiser une chemise pour hommes qui peut être portée cent jours d’affilée sans devoir la laver ni la repasser : elle est en laine (dont les fibres peuvent plier 20 000 fois de suite sans se rompre, contrairement à celles du coton, qui ne supporte que 3 200 manipulations), ce qui favorise l’évaporation de la sueur. La laine vient d’Asie, est labellisée CottonSoft (bizarrement), et la coupe et l’assemblage se font dans trois continents, selon les créateurs de la marque Wool&Prince. La marque s’engage à rapiécer ou remplacer les boutons manquants, gratuitement, à vie.
L’ennui : le prix, de 98 USD plus 45 pour l’expédition via USPS partout dans le monde (plus les taxes françaises). En fait, sans doute, n’importe quel tissu en laine fine (18 microns d’épaisseur de la fibre, le mérinos étant un bon choix, mais coûteux) peut sans doute faire l’affaire. À ce prix, autant se trouver un petit tailleur pas cher (si, si, on en trouve, tout comme des coiffeurs à cinq euros la coupe de cheveux pour homme, passage du Prado, à Paris). Mais la presse anglophone internationale n’a pas soulevé la question. Ni ne s’est trop intéressée aux prétendus « secrets » de fabrication de la marque Wool and Price. Ou à la durabilité théorique de telles chemises.
À toute chose, malheur est bon, dit-on. Qualité et durabilité, résistance, possibilité de réparer (si possible soi-même), et bien sûr absence de toxicité ou d’inconvénients sanitaires, nous seront de plus en plus vantées. On nous fera valoir que des draps, vêtements, en fibre de bambou ou de chanvre, sont supérieurs à d’autres, &c. Aussi, comme le fait Peta, que la laine de mérinos doit être boycottée car les moutons souffrent trop pour la produire (trop sensibles aux mouches pondant dans leurs replis, entassés dans des cargos, massacrés au Moyen-Orient…). On nous redira que l’élevage intensif des chèvres à laine de cachemire ruine les sols (notamment en Mongolie, déjà en partie désertifiée).
Mais on continuera sans doute à payer au prix fort la hype, la réclame, le battage… et les pipeules cachetonnés dont les fondations échappent aux impôts. Sans compter le prix des multiples labels concurrents (prochain à venir, le label permaculture, permaculturel, &c., avec tout plein de certificateurs). Toutes et tous « écocitoyens » responsables. Eh bien, cela commence par consommer moins, durable ou pas… Le reste… Quant à l’éventuel doublement des salaires des ouvrières au Bangladesh, soyons sûr d’une chose : ce qui leur sera accordé d’une main sera repris par une autre.