Même s’il ne s’agit en aucun cas d’un jeu, j’ai été « beau joueur », laissant une semaine au Front national pour dénoncer la singulière mansuétude dont a bénéficié la Seni, filiale du groupe Semsic, dans son affaire d’emploi massif de sans papiers. Cette société d’entretien et nettoyage de locaux a compté jusqu’au cinquième de son effectif en employés en situation irrégulière. Grâce aux législations nouvelles « adaptées » et au parquet de Créteil, les dirigeants de la Seni se sont vu infliger un an de prison assorti de sursis et… 150 000 euros d’amende (environ 300 euros par infraction).
Le Figaro, dans son édition du 3 juin 2010, reproduisait une dépêche AFP intitulée : « Val-de-Marne, des sans-papiers campent ». Il s’agissait des salariés sans-papiers de la filiale de la Semsic, la Seni, qui, avec l’appui de la CGT, dénonçaient le licenciement de 80 d’entre eux, et réclamaient la régularisation de leur situation administrative. Réaction d’un dénommé « Français Dabord » : « Celà vous choque ? Alors votez convenablement à toutes les prochaines élections ! C’est aussi un peu de votre faute, vous n’avez jamais voulu voter pour le seul parti qui promet un grand ménage, tout simplement parce que l’UMPS vous a toujours culpabilisé de penser aux Français d’abord ! Oui, les Français d’abord, mais avec le Front National et aucun autre parti ! ». Très peu suspect de sympathies cégétistes, un certain « Philomon », aux inclinaisons compassionnelles très limitées (litote) à l’égard des immigrés, répliquait cependant : « réfléchissez un peu : qui fait travailler ces pauvres gens ? Ce sont les patrons voyous. ». Il n’allait pas jusqu’à énoncer que « l’humanisme larmoyant et béat » qu’il dénonçait ne s’exerçait, au Front national qu’au bénéfice de son fonds de commerce, constitué notamment de petits patrons, de commerçants qui ne risqueront jamais un refus de vente à des clandestins. Ceux-là ne sont pas des « voyous » mais des victimes des charges sociales, de la fuite de la clientèle aisée des quartiers mis sous la coupe des promoteurs qui, parfois, financent aussi le FN.
Je me souviens que l’ineffable Pierre Descaves, cacique du FN, avait demandé ma tête à mon employeur à la suite d’une série de reportages sur Sochaux-Montbéliard du temps des aides au retour de Giscard. Les bijoutiers FN qui vendaient des breloques orientales dorées aux immigrés rentrant « au pays » (pas celui de leurs enfants, scolarisés et parfaitement intégrés) baissaient le rideau, les commerçants « de souche » les méprisant ouvertement mais prenant leur argent se lamentaient, on dynamitait des HLM… La « Peuge » (Peugeot) dégraissait aux frais des contribuables. Depuis, Pierre Descaves tente de se revenir dans les petits papiers de Marine Le Pen tout en plaidant pour la réintégration des plus droitiers des dissidents du Front national, de Carl Lang et de son PDF (Parti de la France), ou du PSF (Parti solidaire français). Il n’a pas violemment protesté contre les patrons qui emploient des sans papiers et peuvent désormais arguer légalement qu’ils avaient été trompés par des documents falsifiés, même grossièrement, pour les licencier sans crainte de sanctions… et embaucher au besoin derechef les mêmes, sous de nouvelles fausses identités.
Pourtant, pourtant, dans l’affaire de la Seni, le blogue-notes Chroniques Patriotes (« une résistance parisienne »), de Marie-Christine Arautu (FN) et autres « Jeanne-Marinistes », fin janvier dernier, réclamait véhémentement : « du Parquet de Créteil – qui jugera cette affaire – et de son Procureur, M. Bosc, nous n’attendons qu’une chose : qu’ils frappent, et fort ! ». Oui, mais, depuis, plus rien. Peut-être s’est-on aperçu, y compris dans les sections de base FN, que la Seni, qui employait de 400 à 500 salariés sans papiers sur une majorité d’employés (2 300) issus de l’immigration (peut-être depuis quatre ou cinq générations) ou précédemment régularisés, est une filiale du groupe Samsic. Et qu’elle entretient aussi les locaux de la PAF (Police de l’air et des frontières, voir à ce sujet le livre Omerta dans la police), ou des centres de rétention. Christian Roulleau, patron de Samsic, fait partie des cent premières familles françaises en termes de revenus, capital et patrimoine. Très peu de supports proches du FN – même celui, embrassant large, de Yann Redekker – ne s’est trop attardé sur ce détail.
Et il faut dire aussi que Jean-Jacques Bosc, le procureur de Créteil si indulgent à l’égard de la filiale de Samsic, semble aussi dans les bonnes grâces du FN. Pour faciliter les expulsions de sans-papiers raflés, il recommandait aussi par courriel des subterfuges au parquet : « pour réduire le délais et éviter une annulation [Ndlr. de procédure d’expulsion],il conviendra d’inviter le tribunal à ne prononcer la peine qu’en fin d’audience. » (courriel du 22 fév. 2010 aux substituts et procureurs de Créteil). Sa décision de ne pas ouvrir d’information judiciaire contre la Seni (méthode Courroye dans le Woerthgate), n’avait pas trop fait hurler le FN. Ce procureur s’était aussi illustré en demandant un complément d’enquête dans l’affaire de l’ex-préfet de Savoie, Paul Girot de Langlade, qui, en juillet 2009, avait lâché, lors d’un contrôle de trois agents de sécurité d’origines africaines, à l’aéroport d’Orly, « on se croirait en Afrique ici ». Résultat des courses, en juillet 2010, il écopait de 1 500 euros d’amende (le parquet, par la voix de Bernard Thouvenot, en réclamait 5 000). Bah, Girot de Langlade, 63 ans, n’aura guère de points de retraite en moins pénalisant le montant de ce qu’il touchera après sa suspension. Il avait déjà été placé hors-cadre pour avoir déclaré, à propos des « gens du voyage » : « On a été trop laxiste pendant trop longtemps (…) quand ils arrivent quelque part, il y a de la délinquance. ». Le supplément d’enquête visait à établir quels propos il avait bien pu tenir au juste à Orly (avec l’espoir de voir les plaignants déboutés ? On ne peut l’avancer… pas plus qu’on ne peut supposer que c’était pour complaire à Brice Hortefeux, soupçonné par de Langlade d’indignation ad hoc pour faire oublier d’autres mesures peu prisées des associations de défense des sans papiers). En décembre 2009, Éric Besson proclamait une volonté de durcir les sanctions contre les employeurs de sans papiers : c’est bien sûr l’inverse qui s’est vérifié. Sans que le FN ne s’insurge très fort…
Jean-Jacques Bosc, nommé récemment procureur-général (à la cour d’appel de Fort-de-France), en septembre dernier, n’est pas pour autant suspect de sympathies frontistes (jusqu’à nouvel ordre, en tout cas), mais il s’était illustré en demandant un non-lieu au bénéfice d’un commerçant qui, en 2006, lors d’un cambriolage à son domicile, avait retourné l’arme d’un malfaiteur contre ce dernier, le touchant à trois reprises, dont deux fois… dans le dos. Le juge d’instruction n’ayant pas retenu la légitime défense, Jean-Jacques Bosc avait interjeté appel. Partisan des alternatives aux poursuites (médiation pénale, classement sous condition de régularisation ou d’indemnisation), mais non des rappels à la Loi (« cela me semble équivaloir à un blanchiment de classement sans suite, » déclarait-il lors de sa prise de fonctions à Créteil), le procureur Bosc, tout comme, en général, le parquet et la police, n’est pas, contrairement à certains magistrats (surtout ceux du SM, Syndicat de la magistrature, classé « à gauche »), dans la ligne de mire du FN. D’autant mieux que le parquet de Créteil s’était empressé de faire appel d’une simple mise sous contrôle judiciaire de quatre délinquants (des drogués, un cinquième semblant faire l’objet de la mansuétude des policiers chargés de l’enquête) par Xavier Lameyre, juge des libertés, depuis muté par sa hiérarchie. Une décision saluée chaleureusement par le blogue FN F. Desouche (pour Français de souche), condamnant le juge « Liberator » (« libère à tort ») et félicitant le parquet.
J’ai mis « des gants », mais j’aurais pu prendre les paris. Le bureau national du FN se précipite, comme chaque mardi soir ou mercredi matin, sur le Canard enchaîné. Lequel ne consacre pas une brève ou un simple écho à la décision de l’ex-procureur de Créteil. « Le procureur de Créteil escamote des centaines de sans-papiers », titre de l’article du volatile, occupe quatre colonnes au ventre de la page quatre de l’édition de mercredi dernier. Depuis, silence assourdissant du FN ou de ses blogues, relais de presse, &c. On a connu le FN plus réactif. Une semaine plus tard, rien.
Marine Le Pen aurait pu se rattraper à la faveur d’un entretien avec Rue89, paru le 1er novembre. Il est bien sûr question, de la part de David Doucet, qui les pose, de l’immigration, des Rroms, &c. Jeanne-Marine s’insurge pour la forme : « l’immigration continue de rentrer dans notre pays, malgré nos 5 millions de chômeurs. ». Elle lie évidemment immigration et insécurité. On apprend aussi que madame Le Pen surveille attentivement les blogues, ceux de sa mouvance, ceux des autres tendances du FN (ou de ses faux-nez), mais aussi les autres. « Il y a parfois des choses affligeantes comme Le Post, cette espèce de sous-site où n’importe qui peut déverser n’importe quoi sans aucune surveillance ni sérieux, » s’insurge-t-elle. Un site, où pourtant, les partisans du FN ont largement droit de cité, mais sans fort contrôle de la part des instances « marinistes ». À l’inverse, site à destinations des « djeuns », Le Post n’a pas réussi à éliminer tous les vieux gauchos qui, parfois, dénoncent les impostures du FN. Jeanne-Marine fait la promotion du blogue Nations Presse Info. Cherchez la moindre référence à la Seni ou à la Semsic sur ce blogue : résultat Goolgle, zéro.
« Aucun document ne correspond aux termes de recherche spécifiés (site:www.nationspresse.info Semsic). » (idem pour la Seni).
La nouvelle tactique du FN consiste à se rallier des appuis « à gauche », y compris dans une classe moyenne appauvrie, inquiète, en ne s’aliénant plus certains milieux (ainsi des homosexuel·le·s, désormais très rarement pris à partie de front, si ce n’est sur leur pédophilie présumée dans le cas d’un Cohn-Bendit ou d’un Frédéric Mitterrand), tout en ne choquant pas trop sa vieille garde. L’ouverture à de nouveaux partenaires « laïcs » (en fait monomaniaques de l’islamophobie mais se préservant bien de critiquer le Vatican), comme Riposte laïque, ou le rabibochage discret à venir avec d’anciens FN, comme Paul-Eric Blanrue (qui a sa page sur Le Post ou sur Agoravox), ami de Dieudonné et négationniste, de même que les tentatives des Identitaires de se faire passer pour des nationaux-« socialistes », obligent Marine Le Pen à ménager la chèvre et le choux. Elle se trouve contrainte, pour avoir la mainmise sur les finances du FN, de concilier les tendances « pro-occidentales » et voyant dans les pro-israéliens (d’extrême-droite) un rempart contre une islamisation massive qui tient encore du fantasme, et les partisans d’un rapprochement avec le Maghrek (de l’Égypte à la Syrie). Sur les questions sociales, il s’agit de faire croire à un antilibéralisme populaire « national » (voire encore populiste au sens de flatter diverses clientèles), sans s’aliéner des bailleurs de fonds qui sont, majoritairement, des petits et grands patrons, dont certains sont tout à fait prompts à faire « suer le burnous » (à embaucher des sans-papiers ne pouvant refuser les heures supplémentaires non-payées, corvéables à merci… car menacés à présent d’une dénonciation de la part de leurs employeurs qui se diront avoir été abusés sans aucun risque de sanction). Mais le national-« socialisme » a déjà fait ses preuves, par le passé, en Allemagne, Italie, Espagne ou Portugal. Jamais les gros ou petits employeurs de main-d’œuvre immigrée n’y ont été inquiétés, pas plus que les restaurateurs de Neuilly-Auteuil-Passy n’ont été sanctionnés par Nicolas Sarkozy pour avoir employé des sans-papiers.
Je n’entrerai pas dans le débat sur l’immigration, ou la régularisation des sans-papiers. J’attendrai peut-être de voir le Paquebot (l’ancien siège dispendieux du FN) vendu, puis en cours de réhabilitation, pour vérifier si le FN surveille le chantier, l’emploi ou non de sans-papiers, les mesures de prévention des accidents du travail… Le Paquebot, serait, selon Jean-Marie Le Pen, l’objet d’une récente promesse de vente assortie de clauses suspensives (d’autorisation de réhabilitation) en vue d’en faire une clinique ou une maison de retraite. Publique ? Le prix de vente serait de 11 millions d’euros, dont sept sont dus à Fernand Le Rachinel, ancien député européen FN, financeur déçu – et berné – des ambitions de la famille Le Pen. Il avait été question de le mettre aux enchères. Tout acquéreur, se serait-il agi d’une acheteuse revêtue d’une burqa, aurait été bienvenu… Le reste… on peut y croire.
À peu près 300 euros d’amende par étranger pour les dirigeants de la Seni (le groupe n’était, lui, sans doute aucunement visé). Pourtant, les dispositions restant théoriquement en vigueur, tant pour les restaurateurs favoris de Nicolas Sarkozy que pour les autres, restent, sur le papier comme suit : « [i]L’employeur personne physique qui fait travailler des étrangers sans papiers, encourt 5 ans d’emprisonnement et 15 000 € d’amendes par étranger. Alors que, les personnes morales encourent 75 000 € d’amendes.[/i] ». Au fait, cela n’a rien à voir, mais Nicolas Sarkozy vient de nommer, parmi ses proches ou ses amies, les 2/3 des nouvelles ou nouveau conseillères et conseillers économiques et sociaux (à 5 000 euros mensuels, retraites à l’avenant se cumulant).
En fait, il suffit désormais, au besoin, de fournir des « papiers » un tant soit peu crédibles à ceux qu’on embauche, pour, une fois découvert, jouer la surprise et s’en tirer sans la moindre sanction. Pour les mérites présumés pour intégrer le Conseil économique et social, c’est un peu la même chose (de ce point de vue, certaines et certains, dans ces officines ou à l’Inspection générale de l’Éducation nationale, c’est quasiment du pareil au même… que pour des travailleurs sans-papier, mais, là, sans obligation de résultat).
La police poursuit surtout les faussaires qui fournissent de quoi profiter de prestations sociales, ou créer des sociétés fictives (et bénéficier d’aides diverses). Pour les embauches d’étrangers en situation irrégulière, sauf accident du travail, problème troublant l’ordre public, en général, il y a mieux à faire : rechercher des fuites en direction de la presse, retrouver des voleurs de scooter, &c. Et questions emplois fictifs, ce n’est certes pas dans le fief électoral de Serge Dassaut que la police se mobilise le plus volontiers.
Bah, du moment que l’électrice et l’électeur ont leur saoul de politique-spectacle. Question : quel sera le nouveau Tapie qui débattra avec Marine Le Pen ?
Question homosexualité, dernière saillie de Berlusconi :
« Il vaut mieux avoir la passion des belles femmes qu’être gay ».
Les « gaies » ne disent pas le contraire, parfois… 😉
C’est le genre de truc qu’on n’attend plus de Marine Le Pen, beaucoup plus prudente à présent sur la question, sauf, peut-être, en comité restreint.
De Riposte laïque dans sa dernière livraison :
« [i]Nous avons même vu, à Nancy, un jeune militant qui venait de quitter NPA, suite à l’affaire de la candidate voilée de Besancenot, discuter sans problème avec des voisins qui affirmaient qu’ils allaient voter Marine Le Pen.[/i] ».
C’est bien l’essentiel : réunir autour de Jeanne-Marine…
Les personnages politiques, c’est un peu comme les chefs religieux.
Un jour c’est blanc, un autre, c’est gris, mais quand c’est noir, ce n’est pas noir, mais anthracite (de la couleur gris foncé du charbon, indique le [i]Robert[/i]).
Un jour c’est rouge, un autre rosé, jusqu’au « gris » (comme le tabac gris, qui ne saurait être blond, ou les vins gris : « [i]ou rosés, parfois décolorés en vins blancs[/i] », [i]Robert[/i] toujours).
Comme disait l’autre (trop « Faure »), ce n’est pas la girouette qui change de direction, c’est le vent qui tourne.
Dans le genre « grandes et petites manœuvres » :
Jean-Christophe Canter, maire de Senlis vient de nommer directeur de son cabinet Philippe Bernard, ancien secrétaire du Front national pour le Nord.
Jean-Christophe Canter avait été mis en examen, fin sept. 2009, dans une affaire de marchés publics, initiés, selon lui, par son prédécesseur (dont Ch. Patria était le premier adjoint).
Philippe Bernard a été mis en examen le en février 2008 pour faux et falsification, abus de confiance et escroquerie, en raison des irrégularités constatées dans le compte de campagne d’un candidat FN du Nord. Le FN était partie civile.
Le maire de Senlis s’était présenté en 2008 contre Christian Patria, suppléant d’Éric Woerth à l’Assemblée nationale, et avait considéré que l’actuel ministre du Travail voulait depuis le discréditer. Tout ce beau monde cohabite à l’UMP à présent… Mais ce n’est pas à sens unique : le FN pourrait bénéficier de quelques ralliements UMP à l’occasion, cela s’est vu, cela se verra, à l’occasion d’investitures difficiles par exemple. Mais, bien évidemment, entre UMP et FN, ce ne sont pas du tout les mêmes…