Après l’affaire Kerviel, celle de Boris Picano-Nacci qui, trader pour la Caisse nationale d’épargne (devenue BPCE), se porte en appel d’une condamnation pour des faits dont il se dit responsable mais absolument pas coupable. Un appel perdu d’avance selon des commentateurs de son texte sur Mediapart qui estiment « imaginez le précédent inacceptable : on serait obligé de rembourser les clients lésés. ». Dans sa tribune libre, Boris Picano-Nacci pose clairement, nettement la question qui fâche : « comment expliquer que la banque ait vendu en 2006 une action Natixis à ses clients à 19 euros, laquelle en vaut aujourd’hui moins de trois (…) compte-t-elle dédommager les particuliers comme elle me demande de la dédommager ? ».

Vaguement pour faire plaisir à ma chargée de clientèle de la Bred (Banque populaire francilienne), un peu parce que les valeurs bancaires se tenaient à peu près bien, mais rendu prudent par l’affaire Eurotunnel, je me suis laissé placer des actions Natixis, mais dans une limite raisonnable (dans les 300).

Elles ne m’occasionnent « qu’une » perte de plus de 3 000 euros selon mon dernier relevé.

De la faute du seul Boris Picano-Nacci ?
J’en doutais très, très, très fort, avec la publication de son texte sur Mediapart (en accès libre), je n’ai plus de doute : je me suis fait gruger grave.
Comme des milliers de déposants des Caisses d’épargne et des diverses Banques populaires sans aucun doute : les chargés de compte étaient fort incités à placer du Natixis.

Pas d’acte malveillant

Long texte, fort complexe à décrypter pour le profane, mais somme toute assez clair. Il est trader, il n’a pas de consigne, aucune instruction écrite, la Brigade financière le dédouane de « tout acte malveillant », mais il est désigné responsable de la perte de 315 millions d’euros.

En fait, à le suivre, on l’aurait laissé prendre des risques en connaissant parfaitement que le krach de l’américaine Lehman Brothers allait survenir.

« Je suis condamné pour avoir pris des risques quelques jours avant la faillite de Lehman Brothers. La banque explique aujourd’hui que ce qui allait se passer était n’était pas si surprenant, qu’elle avait prévu que la quatrième banque américaine, pourtant too big to fail, ferait faillite, et qu’un krach boursier se profilait. ». La haute direction, prévenue, aurait choisi (à l’insu des traders qu’on laisse s’exposer) de ne pas « quitter la partie avant la tempête ».

Mais ce serait pour multiplier les positions risquées qu’elle aurait émis les actions Natixis. C’est du moins ce que je peux comprendre de la démonstration de celui qui a été pénalement condamné, et ruiné par décision de justice. Ensuite, le scandale a été maquillé :

« Je me demande pourquoi les pertes du même ordre de grandeur, occasionnées à la même époque par l’autre desk du compte propre, celui des activités de crédit, n’ont, quant à elles, jamais été évoquées. Est-ce parce qu’elles auront été habilement réparties dans les comptes des 17 caisses d’épargne régionales ? ».

Des parieurs incompétents ?

Caisses d’épargnes et banques populaires auraient joué au casino en sachant qu’une déroute totale pouvait leur pendre au nez, mais tant que cela rapportait, les dirigeants pensaient pouvoir se goinfrer. « Si j’ai traité et pris des risques, et si l’ensemble des acteurs de la chaîne de contrôle de la banque (back office, middle office, Direction des risques) ont validé mes opérations, ce n’est pas en raison d’une soudaine cécité de toutes ces personnes comme essaie de le faire croire la banque aujourd’hui. ». À des degrés divers, mais toujours très élevés, c’est la plupart des banques françaises (enfin, « françaises » de par une majorité d’effectifs en France…), qui ont fait prendre des risques prévisibles à leurs actionnaires, grands ou surtout petits.

Ce jugement, s’il faut en croire le trader, laisse planer la suspicion sur la magistrature. Un commentateur signant de son patronyme, Philippe Riès indique « pour qui connait un peu le dossier, il est évident que Milhaud et Mérindol auraient dû se retrouver devant les tribunaux (et pas eux seulement. ». Soit Charles Milhaud et Nicolas Mérindol, président et directeur général démissionnaires de la Caisse nationale des caisses d’épargne. Charles Milhaud a pris sa retraite, Nicolas Mérindol dirige à présent le groupe financier Amilton Asset Management qui a absorbé Swan Capital Management.

Au procès de B. Picano-Nacci, le procureur Serge Roques relevait des « défaillances graves » dans le système de contrôle de la banque. Mais le parquet n’a semble-t-il pas estimé convenable de poursuivre la banque elle-même pour ces graves défaillances. B. Picano-Nacci est condamné à rembourser l’intégralité des pertes qu’on lui impute à lui et lui seul. Qui se retrouve floué ?
Eh bien, notamment les sociétaires, pour la plupart les déposants des banques de la BPCE.

Les opérations qu’il avait effectuées n’avaient jamais été reprochées au trader, a souligné son avocat, Me Martin Reynaud. Bien sûr, l’intégralité du dommage doit être supportée par la personne ayant commis le délit. Mais qui a commis le délit ? Et qui sont, au final, les victimes ?
Croit-on que le moindre centime que doit rembourser le trader sera porté sur le compte des sociétaires des banques « mutualistes » ou « populaires » ?

La Commission bancaire avait lourdement sanctionné les Caisses d’épargne, et qui, en fin de compte, supporte la sanction ? Leurs dirigeants et hauts cadres ?
En fait, huit jours avant l’incident de marché, les positions prises par Boris Picano-Nacci présentaient des risques de pertes exceptionnelles en cas de krach boursier et selon son avocat, la direction, ses supérieurs, en étaient parfaitement conscients. L’ont-ils laissé seul prendre le risque en misant à pile ou face ?

L’avocat de la banque laissait entendre qu’elle procéderait au recouvrement des 315 millions avec « tact, intelligence et discernement ». En saisissant partie de ses indemnités de chômage s’il y a droit ?

Curieuse audience

La banque, lors du procès de première instance, n’avait cité que deux témoins. La présidente du tribunal, Annie-Claude Selvi, avait tenté de débarrasser les débats de tout jargon technique. La presse était surtout représentée par Valérie de Senneville, épouse Michel Sapin, ministre.

La banque était visée à répétition par la Commission bancaire depuis 2004, avec rappels en 2008. Mais évidemment, il fallait, selon son avocat « éviter de refaire le procès de la banque », alors que de procès, réel, public, hors par voie de presse, il n’y en a guère eu.

Jamais le trader ne s’était vu signifier qu’il ne devait prendre la moindre position nouvelle sur les marchés. Aucune limite d’intervention n’était signalée, mentionnée. Du coup, pour couvrir les pertes prévisibles qu’on le prie de limiter au moindre, il prend des risques. Tous traçables en temps réel. Mais la direction des risques groupe n’a rien vu, rien entendu, rien su, indique dans un premier temps Jean-Christian Metz, témoin de la partie civile et cadre de la CNCE, avant de se rétracter, la direction risques avait été alertée mais avait omis de répondre.

Dès le 2 octobre 2008, il est patent et constant que les positions du trader comportaient des risques à hauteur de 180 millions d’euros, et cette estimation est parfaitement connue de la direction. Cela revient à dire « vous avez toute ma confiance » soit en clair démerdensiesich, faites pour le mieux ou le moins pire. Était-ce par confiance aveugle ou incompétence crasse, esprit de casino ou autre chose encore, soit la conviction que le contribuable américain finirait par casquer ? Et qu’au pire il en serait de même en France, les sociétaires encaissant les déboires et l’État sauvant le reste ?

Monique Guelin, de l’Agence Bretagne Presse, concluait son compte rendu d’audience par « quelle est donc cette justice ? ». Pour elle, tout ce procès n’avait pour finalité que de sauvegarder l’image d’une banque, et au-delà, des banques françaises. B. Picano-Nacci n’a pas du tout le profil du célibataire Jérôme Kerviel : il est marié et père de quatre enfants. Qu’importe… sans doute ?

Qu’importe aussi qu’on ait incité des chômeurs, des impécunieux, des personnes n’ayant droit, un jour, qu’à une très faible retraite, à ponctionner sur leurs économies pour les risquer en jouant sur la confiance qu’inspire la banque ?

Questions de confiance

Supputations que tout cela. Le citoyen n’est d’ailleurs pas censé commenter une décision judiciaire. Peut-il au moins réclamer qu’en rendu d’appel, dans ce cas précis, les motivations de la cour lui expliquent par le menu pourquoi :

• la banque n’a pas été et ne sera vraisemblablement pas poursuivie,  même si l’affaire devait finir par être portée en cassation (on ne voit pas trop comment, si B. Picano-Nacci était de nouveau condamné, il pourrait trouver les moyens financiers de le tenter) ?

Et de dire :

• si, oui ou non, de telles condamnations ne visant qu’un employé sont susceptibles de se reproduire, sans que jamais d’autres responsables soient poursuivis, dès qu’il s’agit du monde de la finance, des banques ?

Souvent, dans son blogue, Philippe Bilger insiste pour que les motivations des jugements soient exposées de la manière la plus claire, la plus compréhensible par le public. Espérons que ce sera le cas, qu’il sera répondu à ces deux questions, et qu’une publicité sera donnée afin que tout un chacun puisse lire en ligne l’intégralité de l’arrêt de la cour d’appel.

Et puis, tant qu’à faire, parce que nous en sommes là : pourquoi ne pas publier une liste nominative de tous les magistrats avec mention des invitations à des colloques, consultations, ou dîners-débats, séminaires et autres que leur adressent les milieux bancaires ?

Laurent Mauduit, journaliste spécialisé de Mediapart, poursuit et conclut à « une formidable injustice ».  Il se dit prêt à participer à un comité de soutien au trader.

Son article, « Le trader contre-attaque » (réservé aux abonnés), narre « l’histoire d’une banque devenue folle ». Il révèle que le directeur des risques avait averti par écrit la direction générale en ces termes édifiants : « on joue avec le feu ». On a évincé les vrais sachants qui avaient joué le rôle de lanceurs d’alertes en interne. Les divers articles de Mediapart sur l’affaire plus globale de la Caisse nationale lui avaient « valu douze plaintes en diffamation de l’ancienne direction de la banque – plaintes que celle-ci avait finalement retirées avant finalement d’être condamnée pour poursuite abusive. ». Relevons que cette condamnation pour poursuites abusives est à l’honneur de la magistrature… Mais que le parquet général ne s’est pas empressé d’examiner par le menu ce que cela pouvait impliquer d’autre pour la banque.

Mieux valait le bingo

L’ambiguïté subsiste donc. Il devient urgent, alors que les banques ont tiré leur épingle du jeu et ne souffrent guère des nouvelles dispositions visant à limiter (marginalement) les risques, de la lever. Avant qu’un troisième, puis un quatrième trader, &c., se retrouve dans la même situation : pas d’intention malveillante, suivi des instructions formelles, mais endossant tout.

Le jeu des subprimes était truqué. Les dirigeants de la banque, ne connaissant rien au monde des courses, auraient mieux fait de jouer au PMU en suivant aveuglément les pronostics d’un chroniqueur hippique ignorant tout des magouilles entre entraîneurs, jockeys et juges.
Mais ils se sont rétribués tels des joueurs de loto qui placeraient des jetons pour le compte des clients ou des actionnaires et prélèveraient une formidable commission au passage.
Le pire est que cela perdure certainement. Le pire est qu’on ne peut plus toucher de salaire si ce n’est par chèque ou virement… Et qu’il n’y a plus aucune confiance dans les banques, tant bien même se targuent-elles d’être restées mutualistes.