Prêtre des exclus de tous bords, président de l’association « Saint Paul sans frontières », rencontre avec le père Jean Fréchet, un colosse au grand cœur.
L’Abbé Pierre des clochards grenoblois !
Le noyer est un bois résistant qui fait la valeur d’un meuble, qualité qui résume quarante ans d’un sacerdoce sans failles au service des « cabossés de la vie » comme il aime à le dire. Ce fils d’agriculteur des Terres Froides ordonné prêtre de la paroisse Saint Paul en 1962 est une figure emblématique de l’engagement associatif grenoblois.
Attablé dans sa cuisine il règle presto le souci d’argent d’un SDF et lui rappelle d’une grosse voix « de ne pas s’acheter du pinard avec ! Sinon, pas de repas pour midi ! ». Dans les autres pièces de la cure les deux bénévoles présents ce matin se démènent pour régler les derniers détails avant l’ouverture des portes à 10h00. « Ces clochards, ces sans papiers, ces sans le sous » tambourinent aux volets des fenêtres pour être au chaud et petit-déjeuner. Certains habitent dans les caravanes stationnées dans la petite cour jouxtant le domicile du prêtre, d’autres vivent comme ils peuvent dans des squats.
Dans l’agglomération grenobloise, l’association Saint Paul sans frontières assure un rôle de premier plan acquis au fur et à mesure des années d’un travail incessant, qui résulte aujourd’hui d’une structure imposante est diversifiées. Ce ne sont pas moins de 105 « lieux de vie » en tous genres dans le département de l’Isère qui accueillent les gens au seuil de la misère. Pour abriter tout est bon : caravanes, campings car, cabanes de jardin, appartements, chambres d’hôtel…
« Deux fermes de vies », prennent en séjour des personnes pour travailler dans les champs. Les restaurants associatifs et la distribution alimentaire du vendredi assurent un service hebdomadaire à 2000 personnes. L’ensemble de toutes ces structures coûtent mensuellement 38461 euros. Outre une implication locale édifiante, le père Fréchet a pérennisé au Pérou un hôpital qui traite 12 000 patients par an. L’objectif du père n’est pas « d’assurer une nuitée » mais un accompagnement pour une « remise en piste dans la vie pour la personne en détresse ». Une aide concrète qui porte ses fruits petit à petit.
Pour comprendre la force de ce dévouement à la cause des SDF, le père Jean Fréchet assure « que c’est sa foi qui le fait avancer tous les jours. » Dans la famille Fréchet on ne badine pas avec l’engagement, descendant du père Chevrier fondateur du Prado à Lyon en 1872, une maison pour les enfants en retardés mentalement, Jean Fréchet suit les traces de son aïeul dans le sillon des prêtres sociaux.
A part une vocation familiale évidente, la guerre d’Algérie sera l’élément déclencheur de sa quête contre « l’absurdité des hommes ». Incorporé dans le contingent d’appelés en 1960 ; la découverte des tortures, les conditions inhumaines, motiveront le jeune séminariste de 24 ans étudiant en psychologie pour le restant de sa vie.
Une stature massive marquée par le temps, le caractère trempé des paysans mâtiné d’une sagesse éprouvée, aucune difficulté déstabilise ce roc. Quand les événements de la vie contrent ses projets il laisse « les commandes à la vierge Marie pour trouver la solution ». Les attentes de cet homme à la troublante bonhomie de feu l’acteur Jacques Villeret se concrétisent au rythme des années. A soixante dix ans, Jean Fréchet, ne regrette pas « ses combats » : le bidon ville de la rue Léon Blum en 1962, les blousons noirs, les toxicomanes de la vague LSD, les premiers sans-papier et autres rejetés. Le numéro 3 trois de la rue Lieutenant Chabal a drainé du monde. « Certains s’en sortent bien ! Il y en à même un qui est devenu adjoint au maire ! Puis d’autres… ». En câlinant son chat « croyant » il voit juste des jours plus sombres pour les nouvelles vagues de demandeurs d’asile « qui sont fragiles et parfois même violents…Ils m’ont frappé une fois à la jambe ! Mais bon, faut les comprendre ! Ils sont dans une situation tellement précaire ! »
Discret sur sa personne, disert sur ceux qu’il aide, Jean Fréchet est obsédé par sa mission. Il grogne tel les grognards de la garde impériale de Napoléon 1er mais avance toujours. L’intimité de cet homme est le combat qu’il mène jour après jour, pour « remettre en piste et redonner une dignité » Cette grande église moderne à l’architecture du chalet de montagne, enclavée entre des barres d’immeubles, demeure l’arche de Noé des exclus guidé par un capitaine révolté.
Guillaume Roche.