Dernière en date des femmes accédant au pouvoir politique, la Brésilienne Dilma Roussef a été très majoritairement élue, notamment grâce aux suffrages des électrices et électeurs de sa rivale, la candidate écologiste. Mais la marche des femmes vers les pouvoirs est encore plus soutenue de par le vaste monde, en dépit des apparences, parfois. Espérons qu’elles sauront lui faire incarner des valeurs féminines…

Élue avec 56 % des suffrages, Dilma Roussef accédera le 1er janvier prochain à la présidence du Brésil, mais elle accompagnera le président en exercice Luiz Iniacio Lula au sommet du G20 à Séoul. Elle y sera, les 11 et 12 novembre 2010, notamment aux côtés de Cristina de Kirchner (Argentine), d’Angela Merkel (RFA), et de Julia Gillard (Australie). Trois femmes, donc, pour un sommet réunissant 20 chefs d’États, cinq premiers ministres d’États invités et dix représentants (tous masculins), d’organisations internationales.

Cette sous-représentation des femmes aux plus hautes fonctions s’atténuant, a suscité l’intérêt des quotidiens espagnols, dont El Pais et El Mundo, et de la majorité de la presse hispanophone. Dilma Roussef est déjà (enfin !) la douzième femme à la tête d’un État sud-américain de toute l’histoire moderne des Amériques centrale et du sud.

L’Amérique latine est constituée d’États ayant, à l’exception du Surinam et de la Guyane française, acquis leur indépendance en moins d’un siècle (1808-1898). Du point de vue de la représentation des femmes en politique, à ce niveau, ces États, lusophone ou hispanophones, font largement meilleure figure que ceux des Amériques du Nord, et des autres continents (Asie, Afrique, et bien sûr Europe), l’Australie faisant à présent figure d’autre exception.

La Bolivienne Lidia (Gueiler), la Costaricienne Laura (Chinchilla), la Panaméenne Mireya (Moscoso)… et d’autres moins en vue, ont rejoint un peloton initié par l’Argentine avec ses présidentes Evita et Isabel Peron, et Cristina de Kirchner… On peut aussi lui rattacher la Haïtienne Ertha (Pascal-Trouillot), présidente à titre provisoire (1990-1991).

 

Avec son 44e président d’origines africano-européennes, Barrack Obama, les États-Unis constituent un cas particulier. Comme au Canada, les femmes et les représentants des minorités y sont assez fortement engagés en politique, alors que seulement 12 ans séparent le début de la colonisation anglo-américaine (1607) de l’arrivée des premiers Afro-Américains (1619) à l’ouest de l’Atlantique. Rome ne s’est pas faite en un jour.

L’Asie peut revendiquer une dizaine d’impératrices japonaises, quelques impératrices-douairières chinoises, la fameuse reine de Saba au Yémen, et plus récemment des femmes politiques comme Indira Ghandi, Benazir Bhutto, et les Philippines Corazon C. Aquino ou Gloria Macapaga-Arroyo. L’Afrique recense un nombre – faible, mais peut-être inférieur à la réalité de son histoire – de reines de l’Égypte antique, mais aussi la Zoulou Nandi et Nzingha, reine du territoire qui englobe l’actuelle Angola…

Notre vieille Europe, en perspective diachronique, aurait pu être une ruche de femmes au pouvoir, si les reines (voire les papesses, mythique, comme Jeanne, ou de fait, comme les épouses ou maîtresses de quelques rares papes) avaient eu le même poids institutionnel que les rois et souverains… Des rois, l’Europe en a connu sans doute autant que l’Afrique (et en connait encore, avec aussi, de rares reines). Des empereurs et impératrices également. N’évoquons que le XIVe siècle avec des reines et gouvernantes qui ont eu leur mot à dire dans la politique de leur temps, puis la Russie et l’empire austro-hongrois gouvernés par « les jupes » du XVIIIe siècle (par la suite, en Russie, les Lois paulines, imposées par le tsar Paul Ier, au goût salique revu par les clercs, tous des hommes, s’imposent de nouveau plus largement ; la loi salique des Francs – voir plus bas – revue et augmentée par la basoche française, avait auparavant inspiré, un peu partout en Europe, une ligne successorale masculine prédominante…).

Le nombre des souverains masculins l’emporte très largement. Cela découle d’un imbroglio juridico-machiste s’appuyant sur le dicton latin mater semper certa est (donc, le père reste incertain) qui ira jusqu’à rapprocher le statut de la femme de celui d’un enfant. Associer l’autorité au sexe masculin est un réflexe longuement nourri et renforcé par ceux s’arrogeant la création et la consolidation des opinions prévalant, et par la suite profondément ancré dans nos mentalités.

La femme a été – et reste – primordialement « prisonnière » de son anatomie. Les lectrices et lecteurs du Nom de la rose, le roman d’Umberto Eco, se sont offusqués ou délectés des raisons invoquées pour démontrer que la femme est, si ce n’est supérieure, digne d’être prise en considération au même titre que l’homme. L’une des raisons invoquées en est que Dieu-le-Fils prit forme humaine dans le ventre d’une femme : merci, l’utérus ! (merci également à Peggy Sastre pour son approche novatrice édifiante développée dans son essai Ex utero).

Or, c’est précisément de par ses capacités, de donner vie, nourricières et éducatives, que la femme se voit privée d’un privilège dont les hommes jouissent « naturellement », sans être véritablement remis en question. C’est la maternité qui serait censée lui imposer une chasteté monogame qui n’est pas (ou si peu) exigée des hommes. Ce diktat transforme son rapport au corps, qui, contrairement à celui de l’homme, ne se voit pas imposer de rester l’usufruit exclusif du partenaire de la fécondation.

Dans le premier cas invoqué, celui de la chasteté monogame imposée aux seules femmes, il suffit de penser a l’étiquette imposée à une reine soumise aux dictats dynastiques : puisque la mère « semper certa est », la fidélité de la reine au roi assure que l’héritier du trône est bien le fruit des augustes « reins » du souverain. Il est à l’inverse loisible au roi de polliniser à son gré ou sa fantaisie, ce par la grâce de l’adage pater incertus qui l’exemptait de reconnaître toute paternité inconvenante. Petit exercice d’uchronie (de reconstitution utopique) : si, à la mort de Louis X de France (dit Le Hutin), sa fille Jeanne lui avait succédé, que serait-il advenu de l’histoire de la France et de l’Europe ? Jeanne dut renoncer au trône en raison des doutes suscités et nourris sur sa légitimité car – comme l’explique Guy Breton dans le style savoureux de ses Histoires d’amour de l’Histoire de France –sa mère, Marguerite de Bourgogne, « avait eu la cuisse légère ». C’est ce qui a « justifié » le certificat de naissance de la loi salique médiévale, laquelle fut détournée de ses « franches » intentions premières pour affirmer que des femmes ne puissent pas, non plus uniquement régir et gouverner les « marches » (domaines frontaliers) de l’État central, mais le cœur du royaume lui-même, ni vraiment par la suite, les duchés suzerains.

Dans le second cas, la femme n’étant plus maîtresse de son corps, sa capacité d’exercer l’autorité est mise en cause. L’histoire témoigne de la hargne et du « scandale » provoqués par les femmes (ou plutôt les hommes le leur imputant) auxquelles le destin avait placé une autorité – voulue transitoire – entre leurs mains. L’autorité sur leur propre corps, susceptible de leur permettre d’assumer un mode de vie considéré être la prérogative masculine (une « promiscuité » revendiquée) est niée, conspuée, interdite – n’évoquons que les penchants déviants attribués à la Grande Catherine de Russie ou bien a Marie-Thérèse d’Autriche… et à la « débauche » dont fut accusée sa fille, Marie-Antoinette. La liberté de penser leur est déniée ; il suffit de se rappeler que la grande majorité des femmes – roturières, de moindre noblesse, ou éloignées du proche entourage des plus nobles, comme Christine de Pisan, la poétesse Marie de France, Isabelle d’Este ou bien Elena Corner (la Vénitienne Cornaro, première femme à être diplômée par une université) – si désireuses de cultiver leurs aptitudes ou passions intellectuelles et scientifiques, furent contraintes de se contenter de prendre la plume ou de ne se pencher sur les sciences que drapées de leur guimpes et voiles dans la réclusion des couvents. La liste est longue, loin d’être exhaustive : Hildegarde de Bingen, Thérèse d’Avila, la très douée Juana de la Cruz, ou sœur Maria Celeste (née Virginia, ainée de Galileo Galilei), les religieuses de la « fratrie » janséniste Arnauld… Certaines de ces femmes purent goûter a une forme de pouvoir dans le cadre de leur charge d’abbesses, mais elles ne pouvaient que rappeler la règle : l’apanage de prêcher ou d’interpréter la parole divine étant réservé à leurs confesseurs, directeurs de conscience, abbés, frères et évêques de passage ou rattachés à leurs couvents.

Le XXe siècle vit la plupart des monarchies placer des femmes à la tête de leurs États (mais, y compris dans une principauté comme Monaco, c’est bien Albert, et non Caroline, qui préside), quelques-uns des jeunes États de l’Amérique Latine ont été dirigés par des femmes, le rabbinat s’est enfin ouvert aux femmes, des évêques femmes ont été élues dans des diocèses chrétiens… La légitimité de mon interrogation reste entière : à quand une cheffe de l’État dans les pays qui donnent le « la » au monde ? Une Américaine, Russe ou Chinoise, une « vraie » présidente d’une Europe vraiment unie ? Le Brésil, l’un des pouvoirs mondiaux émergeants, l’Inde, avec Pratibha Patil, montrent que c’est possible !

 

Pour les chrétiennes et les chrétiens, les israélites, « Dieu a placé des capacités et de la vocation dans nos cœurs, indépendamment de nos sexes. C’est donc ainsi que chacun de nous – homme ou femme – a le devoir d’agir selon les dons accordés par Dieu. » (c’est là ma libre traduction des paroles solennelles gravées sur la plaque commémorative de Regina Jonas, première femme rabbin au monde –  et c’est ma modeste adresse à l’égard d’Alina Treiger, devenue récemment la seconde femme rabbin d’Allemagne, la première depuis la Shoah dans ce pays). Ces mots valent simple et sincère encouragement de faire quelque chose pour notre monde en ouvrant largement les opportunités à toutes celles et tous ceux susceptibles d’impulser une évolution positive ! En dépit des apparences les plus superficiellement évidentes, même la Turquie et l’Iran, pays musulmans, évoluent : une femme préside l’organisation patronale turque, les futures femmes de science iraniennes sont en voie de surpasser, au moins en nombre, les hommes… Puisse-t-il en être durablement ainsi.