Non, ce ne sera pas mon nième billet sur l’imminence redoutée du démantèlement de l’euro et les risques de troubles pouvant conduire rapidement à des heurts frontaux. Toutefois, alors que le Foreign Office tente de prévoir le rapatriement d’urgence de centaines de milliers de Britanniques établis en Espagne, que Jürgen Stark claque la porte de la Banque centrale européenne (un signe que l’émission d’obligations européennes se prépare ?), l’urgence et l’incertitude créent les conditions d’une panique. Mais, plus loin dans la décennie, l’Europe de demain ressemblera-t-elle à celle d’un nouvel « empire romain » ou au Moyen-âge ? La question est posée…

On peut très bien vouloir maintenir les protections sociales, les services publics, réellement, et non pas comme le proclame le « président protecteur » (pour quelques mois encore), et consentir à une inévitable rigueur.
Mieux partagée et en vue d’amorcer une autre croissance. C’est peut-être, allez savoir, l’opinion de Jürgen Stark, qui démissionne de la BCE, refusant de la voir sortir de son rôle, soit de juguler le risque inflationniste.

Tout début janvier, il n’y aura donc plus, sauf nomination imminente, que cinq membres au conseil exécutif de la BCE.
Exit J. Stark, plus de 30 mois avant la fin de son mandat, et il en annonce les raisons via le magazine Wirtschaftswoche.
Les gouvernements n’ont pas contenu les salaires globalement et favorisé l’offre immobilière excessive, emprunté à tout-va, et il craint qu’ils vont obliger la BCE à financer encore davantage de déficits publics.

Plus Merkel que Merkel, Stark, pourrait-on résumer.

C’est l’immédiat. À l’horizon 2016, prévoit imprudemment le Sunday Telegraph, l’euro n’existant plus, la drachme aura perdu 45 % de sa valeur, l’escudo et la peseta, plus de 20 %, la lire, la livre irlandaise et le franc belge, autour de 10 %, le franc 5 % et seul le mark s’apprécierait (+4 ou 5 %).

Pour le moment, dure semaine en vue en Italie : les syndicats ouvriers, mais aussi les corporations (taxis, pharmaciens, notaires, avocats…) sont sur le pied de guerre.

Des scénarios d’épouvante

Au-delà, quoi ? Je ne sais pas qui signe Yéti dans Rue89, mais ce blogueur semble prolonger et amplifier les craintes de Paul Jorion et François Leclerc : sur la lancée actuelle, « nous n’échapperons pas à un Moyen-Âge post-capitaliste ». Soit des conflits, voire des tragédies, une parcellarisation, de forts antagonismes internes et externes, et une sorte de long gel avant d’envisager une renaissance. Et un passage par le retour à l’isolationnisme des « foires locales et boutiquiers de proximité », une « très longue traversée des ténèbres totalitaires. ».

Je ne sais pas si Silber Schatten se cache, sur Bakchich.info, sous un pseudonyme (celui d’une ombre portée, schatten), mais cet essayiste évoque déjà « la tentation néo-fasciste ». Il fustige non pas les protections sociales, mais un type bien italo-français d’État-Providence. C’est vrai et faux, dans la mesure où, contrairement à l’Italie, la France a réellement entrepris des simplifications administratives, réduit certains lourds, pesants, tatillons et chronophages contrôles ou démarches. Mais les fondamentaux restent qu’il faudrait trouver, pendant près de deux décennies, « plus de la moitié du budget de l’État et plus du quart des prélèvements obligatoires globaux », pour résorber la dette française. Il faudra donc en finir avec des pratiques de protectionnisme corporatif, mais aussi réformer un secteur bancaire « pseudo-mutualiste » qui fait que la bancassurance, la finance, &c., gèrent « des biens sans maître détenus par des technostructures sous le contrôle du Trésor public. ».

« Une banque qui, en fait, n’appartient à personne [est] une technostructure. ».

Schatten propose de déréglementer. Sans doute pas à la manière de certains libertariens étasuniens (ennemis de toute forme d’État, prônant la libre-entreprise sans le moindre contrôle), mais assez pour que les entreprises ne soient plus sous la tutelle des banques.

« La vraie question, la question fondamentale est donc, aux yeux des “élites gouvernantes” actuelles, la conservation ou non du pouvoir politico-économico-administratif fondé sur l’étatisme. ». Ce qui pourrait passer par une préservation du « modèle français » conforté par une coalition de type UMP recomposé-FN. Histoire de préserver l’essentiel : la cooptation des dirigeants politiques, des technocrates et des décideurs économiques.

Conclusion : la crise, instrumentalisée « en vue d’un raidissement néo-fasciste » peut « être une chance. ». On avait Merkozy, on risque d’avoir « Mar(x)ine Le Pen », au profit des mêmes. En s’appuyant sur un « social-clientélisme » renforcé.

Possible dépassement ?

Je ne sais franchement pas s’il convient de faire si radicalement table rase du passé, comme le préconise Schatten, ou renforcer les solidarités existantes, en les corrigeant, comme semble l’indiquer Yéti. Soit d’un côté, ne pas sauver la Grèce actuelle (et d’autres), mais l’aider à se relever ou, au contraire, la laisser dériver vers son sort pour éviter de sombrer avec elle. D’ailleurs, en Grèce, le lâchage pourrait conduire à ce néofascisme (ou une franche dictature) que dénonce Schatten.

Tenez, plus près de nous, voyez la Corse. Les tensions s’y sont accumulées (voir « Corse : la Grèce de la France ? »). Le FLNC (Front de libération) prône l’indépendance à terme, la dévolution d’un pouvoir législatif à une assemblée corse gouvernant sans les actuels conseils généraux ou les deux actuelles instances départementales « au cœur des dérives clientélistes ». Corse-Matin livrera demain, lundi, une analyse du document de sept pages diffusé clandestinement par Ribellu, la publication du FLNC. De son côté, Corsica Libera préconise la formation d’une Cour des comptes autonome. Comparaison n’est pas raison, mais transposez…

Plus d’État, moins d’État ; de contrôle ou d’autonomie ? Ou d’autres formes de contrôle et de cohésion ? Plus d’Europe, moins d’Europe, via la Commission, le Parlement, ou des chefs d’États et des ministres, à sept-huit, 17, 26, 27 ?

On ne se sent guère mieux « armés » que les Corses, ni plus unis, pour dégager des solutions, un véritable consensus. En revanche, chaque jour semble rapprocher du bord du gouffre. Comme il n’y a pas de parachute pour tout le monde, il faudra bien tenter d’amerrir et de construire des radeaux. Seule certitude, il faudra ramer. En se demandant si les plus faibles rament quand même, et aident à progresser, ou alourdissent, et freinent la progression.

Sept sommets (ou huit ?) après, malgré les déclarations, on en est encore là, et les vents contraires, quoi que disent ceux qui ont mouillé et levé leur doigt, ou préconisé un meilleur cap, ne sont pas apaisés. Dure semaine à venir.