Près de 500 milliards d’euros prêtés sur trois ans aux banques à 1 % seulement d’intérêts (c’est quasiment de l’argent gratuit), 523 banques européennes preneuses et… les marchés boudent. Ceux qui boudent aussi, semble-t-il, ce sont les consommateurs, vraiment inquiets. Et il semblerait que ce ne sont plus les retraités qui quittent l’Europe, mais aussi les professionnels, attirés par des destinations lointaines…

L’assouplissement quantitatif, c’est quoi ? En (très) gros, le Quantitative Easing, c’est une manière d’injecter de la monnaie dans le circuit sans vraiment battre monnaie. Histoire d’augmenter la masse monétaire sans nourrir une inflation qui, de toute façon, représente un risque limité si les consommateurs viennent à perdre confiance, se mettent à thésauriser (épargnent) au lieu d’acheter.

On se demande d’ailleurs si la Banque centrale européenne (qui vient de lâcher 489 Md€, alors qu’il était estimé que les banques n’emprunteraient que 300 Md€) émet autre chose que de la monnaie virtuelle.
Le but, c’est de ranimer le marché interbancaire, soit faire que les banques se prêtent entre-elles…

Voire qu’elles rachètent des dettes souveraines, réalisant, si tant était que les États ne fassent pas faillite, de copieux profits… à plus long terme (elles empruntent à 1 % sur trois ans, peuvent espérer, dans le cas de l’Italie, acheter des obligations rapportant près de 7 % sur dix ans).

On pouvait estimer que cela rassurerait les marchés, les bourses. Eh bien, c’est non. Car cela révèle aussi que 523 banques (l’Europe compte un peu moins de 3 700 banques « domestiques », un millier d’« étrangères », voir « Eurozone : plus ou moins de mauvaises créances ? ») sont fragiles, selon les marchés. D’ailleurs, à un moment, les banques étaient réticentes à emprunter auprès de la BCE, car cela pouvait passer pour un signe de faiblesse, donc décourager les investisseurs de faire remonter leurs actions en bourse.

SocGen, BPCE, Dexia, Banque postale…

Voici peu l’agence de notation Fitch Ratings avait dégradé diverses banques ou assurances françaises (ou fortement françaises), comme le Crédit mutuel, la BNP, la Société générale. Eh bien, dans le courant de cette journée de mercredi, l’agence en a rajouté une couche. La SocGen en reprend pour son grade ainsi que diverses autres banques, qui, placées voici peu sous surveillance négative, redeviennent plus « stables ». Pourquoi ? Parce que, « sauf aléa majeur contraire, qui découlerait sans doute d’une forte aggravation de la crise de la zone euro », Fitch n’envisage plus de fort risque pour la France avant 2013. Vous vous rappelez que Valérie Pécresse avait déclaré qu’il n’y aurait plus un sou pour les banques ? Fitch estime au contraire qu’en cas de danger, l’État français interviendrait. Comment ? En empruntant plus cher, avec une note dégradée par Standard & Poor’s ? Pour le moment, ce sont les régions européennes (surtout les italiennes, même la riche Lombardie, et les espagnoles) qui se retrouvent placées par S&P sous surveillance négative. L’avis de Fitch est d’ailleurs beaucoup plus mitigé qu’il pourrait le paraître à première lecture.

D’abord, on ne sait si les banques vont ou non se montrer ingrates, soit ne pas racheter des dettes souveraines. Ou choisir de favoriser la croissance au Brésil (entre autres) et non pas en Europe, en ne prêtant pas aux entreprises européennes en difficulté ou voulant investir. Après tout, elles font ce qu’elles veulent de cet argent bon marché. Si elles ne jouent pas le jeu, la croissance fléchit, et se rétracte encore car les États tentent de rembourser les dettes ou de ne pas les creuser, en imposant l’austérité.

Or, elle commence à se faire sentir. Les consommateurs européens sont de plus en plus frileux, et ce depuis cinq mois. Chaque mois, cela se dégrade. En plus, Lagarde, du FMI, révise à la baisse les projections de croissance. L’impôt rentrera moins, aussi. Olivier Blanchard, l’un des adjoints de Lagarde, prévoit deux décennies de vaches maigres pour tenter de, non pas résorber, mais d’alléger le poids des dettes souveraines. Pas rassurant.

Le freinage de la consommation peut aussi faire envisager aux chaînes d’hypermarchés de réduire la voilure. Elles créent de l’emploi, un peu, en détruisent d’autre (voyez les centres des petites villes, comme Thouars, par exemple, et les rideaux définitivement tirés). Là, elles réimplantent des supers, agrandissent les hypers. Bon pour le BTP, mais cela pourrait ne pas durer.

L’argent se barre, les gens aussi…

Voici peu, je vous parlais des Grecs, laïcs et religieux, qui faisaient filer leur argent en Suisse. Ouf, les Helvètes font preuve d’une charité bien ordonnée qui ne profite pas qu’à eux-mêmes : pour soulager le coût des importations, et ne pas voir le franc suisse grimper sans cesse, ils envisageraient, dit-on, un taux d’intérêt négatif. D’un côté, si vous placiez en Suisse, votre argent serait mieux à l’abri (surtout si votre pays quittait la zone euro, dévaluait), de l’autre, sa valeur s’éroderait légèrement.

Récemment aussi, j’évoquais la fuite des retraités grecs vers la Bulgarie, moins chère. Bien sûr, ils créent un marché, notamment pour des médecins grecs (que la Sécu locale ne rembourse plus depuis des mois, du coup, ils se déconventionnent), des commerçants…

Mais il n’y a pas que des retraités à fuir. Voici quelque trois ans, un copain, talentueux informaticien, ingénieur « à Grenoble » (l’ex-Silicon Valley française, ayant un peu migré à Sophia-Antipolis), a pris le large, direction le Brésil. Trop vieux pour réintégrer le salariat, ne trouvant plus que des missions minablement rétribuées. Adieu Paris !

Eh bien, il n’est guère le seul. Helen Pidd, la permanente du Guardian à Berlin, a coordonné une enquête : « Des dizaines de milliers d’Irlandais, Grecs et Portugais partent en quête d’une nouvelle vie alors que les plaies de la zone euro empirent. ». Les Portugais partent au Brésil (+ 50 % de résidents étrangers au Brésil en un an, majoritairement des lusitophones) et en Afrique, les Irlandais vers la zone Pacifique (selon une prévision, 75 000 personnes quitteront l’Irlande en 2012), les Grecs filent un peu partout. D’une part, toutes et tous ne réussiront pas à s’employer, et risquent de revenir gonfler le nombre des pauvres ou indigents, d’autre part, l’afflux d’immigrés africains (et asiatiques, dans une moindre mesure), enfle en Europe.

L’Europe perd des gens qualifiés, « gagne » des illettrés ou des manœuvres. Ouf, en France, on gardera peut-être 2 000 médecins étrangers, si toutefois les examinateurs français consentent à ne pas les sabrer (comme ils le font trop souvent) lors des examens d’internat qu’ils auront jusqu’à fin 2014 pour passer.

Rustine, glucose ou injection de vitamines ?

Les analystes ont des termes imagés pour qualifier l’injection massive de liquidités dans les banques européennes : rustine, perfusion de glucose, pilules vitaminées… dont l’effet n’a pas duré assez pour rassurer. La BCE a pourtant, au fil du temps, depuis 2008, injecté plus de 870 milliards d’euros. Non seulement augmente-t-elle les montants, mais elle réduit aussi le niveau des garanties exigées pour consentir des prêts à (très) bas coût. Les banques centrales tendent aussi à baisser les taux directeurs (à 1 %, voire 0,5 % comme au Royaume-Uni, et l’Allemagne pourrait suivre).

Quelques-uns qui doivent se sentir dans leurs petits souliers, c’est ceux qui avaient prévu que les agences de notation devraient dégrader le Royaume-Uni avant la France. Moody’s vient d’affirmer que le maintien du triple A au royaume était parfaitement justifié (certes, jusqu’à nouvel ordre, et possible aggravation de la situation continentale, et impossibilité de banques britanniques d’apurer leurs bilans). Cela étant, le coût des emprunts britanniques progressait ce jour (de 2,06 à 2,07 %).

En revanche, après la Grèce, c’est au tour de la Hongrie se voir désavouée par le FMI. La Hongrie est notée BBB minus. Certes, elle est hors zone euro. Certes, après s’être gavés, les grands groupes (comme Bouygues), ont quitté la Hongrie. Mais si elle passe à D, le forint vaudra des maravédis, des monnaies de cuivre (enfin, vu le cours du cuivre, plutôt de papier). Il y aura quelques bonnes affaires en vue, en achetant hongrois détaxé (la TVA y passe à 27 % en 2012).

En fin de journée, il apparaissait que la rustine, ou la pilule de la BCE n’avait pas eu de répercussion positive sur les coûts des emprunts espagnols (stables à 5,09 %), tandis que ceux de l’Italie s’alourdissaient encore (+0,2 % à 6,76 %).

Pour ne rien arranger, l’institut allemand IMK considère que l’Allemagne va entrer en légère récession (contraction de 0,1 %) : ses exportations vers le reste de la zone euro vont régresser, la demande intérieure, du fait du quasi-gel des salaires, ne va pas compenser.

Tout le monde est d’accord sur le diagnostic, mais les dirigeants européens sont un peu comme des Diafoirus qui n’auraient plus rien en pharmacopée, d’où le recours aux purges et aux saignées. « Les dirigeants de l’Eurozone reconnaissent l’ampleur des problèmes mais leurs efforts pour trouver une solution vont sans doute se poursuivre en 2012, » estiment les économistes d’HSBC Global Research.
Franchement, on s’en doutait un peu…