L’économie allemande est certes en meilleure posture que celles de l’Espagne ou de la France, mais, désormais, les marchés asiatiques (Japon et autres) boudent sa dette souveraine. Voici quelques jours encore, les banques se défaussaient des dettes grecque, italienne, française et espagnole. Et transféraient leurs retraits vers des achats de la dette allemande, estimée plus sûre. La tendance est à présent au retrait sur toute l’Eurozone, la monnaie suédoise résistant mieux. Même la banque centrale chinoise semble se délester prudemment…

Selon Andrew Roberts, de la Royal Bank of Scotland, dont les propos sont rapportés par The Telegraph, les investisseurs japonais et extrême-orientaux « fuient l’Eurozone ».
En clair, soient ils boudent l’ensemble des emprunts d’État des pays de l’Eurozone, soit ils se délestent, y compris des obligations de l’État fédéral allemand.
Comme l’a relevé le Luxembourgeois Jean-Claude Juncker, actuel président de l’Eurogroupe (la réunion mensuelle des ministres des finances de l’UE), l’Allemagne, avec une dette égale à 82 % de son PIB, est plus endettée que l’Espagne.
Les « Bunds » (obligations allemandes) sont boudées et les bons du Trésor étasunien recherchés en tant que valeurs refuges.
Les dettes allemandes sont pour le moment surtout soutenues par les marchés du Moyen-Orient.
Le problème c’est que l’Allemagne exporte surtout à ses voisins qui pourraient s’enfoncer dans la récession.
La recapitalisation des banques allemandes s’impose d’urgence, estiment à présent les prévisionnistes.

Par ailleurs, contraintes de consolider leurs fonds propres, les banques européennes restreignent le crédit aux entreprises européennes et haussent leurs taux. La Chine connaît une crise immobilière, avec un éclatement de la « bulle ».

Selon le patron des patrons britanniques (John Cridland, du CBI, l’équivalent du Medef), les pays de l’Eurozone, menés par le couple franco-allemand, ont échoué à éteindre l’incendie. « L’incendie atteint les habitations, » a-t-il estimé pour The Guardian.

Pourparlers sans conclusion

Des pourparlers étaient ce matin en cours entre Angela Merkel et David Cameron qui se refuse à instaurer la taxe Tobin (sur les transactions financières) au Royaume-Uni. La City s’y refuse. L’opinion allemande se refuse à alimenter l’inflation en créant de la monnaie. Apparemment, chacun a campé sur ses positions. En marge de la conférence de presse commune, le mouvement Occupy London s’est emparé d’un vaste immeuble de la banque suisse UBS à Londres (voir autre article sur Come4News).

Pour The Independent, qui publie un graphique des dirigeants passés ou actuels de Goldman Sachs qui décident du sort de l’Eurozone, la « pieuvre vampire » (Goldman Sachs), influe tellement sur les décisions gouvernementales européennes au point « qu’il devient impossible de distinguer la différence entre le bien commun et les intérêts de Goldman Sachs… », estime Stephen Foley.

La Tribune relève que la « zone euro vertueuse est désormais attaquée », en faisant référence à l’Autriche, aux Pays-Bas et à la Finlande.

De son côté, la Hongrie, après une chute du forint et un avertissement de Standard & Poor’s, placée « sous surveillance négative, » fait appel au FMI pour limiter les dégâts. Le problème des pays européens hors zone euro, c’est que leurs économies dépendent fortement de la croissance dans l’Eurozone. Par ailleurs, ils bénéficient d’investissements allemands, fabriquent à moindre coût, et vendent avec des monnaies moins fortes que l’euro. La « qualité allemande », devenue qualité slovaque ou autre, peut se vendre moins cher dans la zone euro. Pas forcément en-dehors. Mais les pays voisins de l’Allemagne sont condamnés à l’austérité, donc à acheter moins.

En fait, l’Allemagne, ses banques, a présent attaquées, ne voient que deux solutions : forcer certains pays à quitter la zone euro et obliger les autres à redresser leurs dettes, ou revenir au mark. L’opinion allemande adhère à cette alternative. Merkel, fragilisée électoralement, n’a guère le choix. Sarkozy, devenu frileux, ne se tait pas vraiment, mais agite les bras, fait des moulinets et des effets de manche. Car, après tant d’autres, pour Dominique Thiébaut, de Challenge, en dépit du fait que la France a réussi à obtenir hier les prêts qu’elle sollicitait, « la France tombe virtuellement en AA ». La raison : les prêts à dix ans sont désormais au taux de 4 %. Que, du fait d’une petite faiblesse de la dette allemande, l’écart des taux (spread) fléchisse, ne changera pas la situation française. Le rendement à dix ans de l’Allemagne à fléchi à 1,856 % (contre 1,892 hier). C’est peu, mais ce n’est peut-être qu’un début.

Stratégies d’évitement

L’Europe pourrait biaiser, et contourner l’opinion allemande, en faisant en sorte que la BCE (Banque centrale européenne) prête au FMI qui, à son tour, prêterait aux pays faisant face aux plus fortes difficultés. Un scénario que pourrait contrecarrer l’Allemagne (deux voix seulement au CA de la BCE, mais elle en est le plus important financier).

Mario Draghi, président de la BCE, n’envisage pas vraiment cette hypothèse, considérant que le rôle de l’institution est de juguler le risque d’inflation : « Les politiques économiques nationales sont responsables de la restauration et du maintien de la stabilité financière… », a-t-il résumé. En clair, « démerdensizich » (débrouillez-vous avec l’austérité). Mais la BCE doit continuer à acheter des dettes nationales. La question, en aura-t-elle vraiment longtemps les moyens ?

La BBC vient de réaliser une intéressante infographie, montrant les dettes des pays les uns envers les autres (États-Unis, Japon, France, Irlande, Royaume-Uni, Allemagne, et pays d’Europe du Sud). Le risque français est considéré « moyen », avec une dette de 66 508 euros par personne (contre 50 659 pour l’Allemagne, et seulement 38 073 pour la Grèce). Mais ce sont les pourcentages de la dette par rapport au PIB, ou d’autres indicateurs à leur guise, rationnellement ou non, qui font la différence pour les marchés. La France détient davantage de dette étasunienne que l’Allemagne, par exemple. Mais les dettes allemande, britannique, ou étasunienne, sont considérées moins risquées que celles d’autres pays… Et la France, pour les marchés, possède trop de dette italienne, grecque ou espagnole. Ce n’est pas tant ce qu’on doit que la qualité de ce qui vous est dû qui influe sur la réaction immédiate des marchés. Mais tout est volatil, peut évoluer très rapidement, malheureusement davantage pour alourdir le coût des emprunts que pour l’alléger…

Camouflage ?
On ne sait trop sur quelles bases la BBC a réalisé cette infographie, au moins pour ce qui se rapporte à l’Allemagne. Le fonds de placement Sondervermögen qui a servi à soustraire de la comptabilité publique allemande une partie de la dette nationale a-t-il été pris en compte ?
Une dette publique peut s’apprécier (donc, aussi, se déprécier) selon de multiples critères, dont bien sûr le montant global, mais aussi sa répartition entre investissements productifs, immobilisations, dépenses de fonctionnement, &c. Puis interviennent d’autres considérations, comme la population, la capacité de rembourser à échéance x (cas des retraites et du taux de natalité), la nature de la dette privée (débiteurs solvables ou non), fonds propres des banques, tout ce qu’on voudra ou presque.

Mais, pour 2011, l’Allemagne va grever sa dette de 25 milliards d’euros. Et la faible natalité en Allemagne, le vieillissement de la population, laissent présager de fortes dépenses sociales. En fait, la dette allemande est déjà bien au-dessus du seuil défini par les contraintes du traité de Maastricht, ce qui fait que la note AAA de l’Allemagne serait fragile si des fonds allemands venaient au secours des pays voisins. L’attaque des marchés contre l’Allemagne est faible, mais c’est un signe : elle pourrait s’amplifier. Dès lors, quoi que puissent dire Sarkozy ou Merkel, il faudra envisager soit de tenter de s’affranchir de la tutelle des marchés, soit plier, aussi, en Allemagne.