Sur certaines émissions de dettes souveraines, voici que l’Allemagne et le Royaume-Uni réussissent à émettre des emprunts à taux négatifs. Oh, juste un peu moins que 0 pour cent, il ne s’agit que de décimales, mais la perte pour les créanciers est assurée. Il faudrait que l’inflation recule de quelques points – la vraie, celle vraiment ressentie selon les projets d’investissements – pour que ces investisseurs retrouvent leurs billes (leur capital) assorti d’un minuscule bénéfice. En fait, ils consentent à perdre de l’argent parce qu’ils ne savent plus trop où placer leurs capitaux ailleurs et qu’ils considèrent qu’investir, en Europe, hors de l’Allemagne ou auprès de la Banque d’Angleterre, c’est beaucoup trop risqué pour les dettes d’État. Les investisseurs prennent aussi de la dette américaine à 10 ans, à seulement 1,9 %, plutôt que de souscrire de la dette italienne à plus de 7.
Question placements dans les banques, voilà une nouvelle qui ne va pas rassurer les frileux. Andrea Enria, président de l’Autorité européenne du secteur financier (l’ABE), laisse penser que, dès que la confiance reviendra un peu, les mesures visant à ce que les banques soient plus solvables pourraient être assouplies. Soit qu’il serait question de revoir – un jour… – leur ratio de solvabilité, soit 9 % de fonds propres… à la baisse. Car si les banques doivent faire des efforts, c’est contraignant, et elles ne prêtent plus. C’est bien leurs prêts inconsidérés qui ont contribué à la situation actuelle, et l’annonce de cette mesure à venir risque d’avoir des conséquences peu prévisibles sur les cours des actions bancaires.
Et voici aussi que le nième « pré-projet » (ou draft, brouillon) d’accord communautaire assouplit fortement la position rigoriste de l’Allemagne. Les sanctions contre les pays refaisant le coup de la Grèce (et d’autres) ne seront plus si automatiques, on tolérera des écarts limités dans le temps pour faire face à des conjonctures exceptionnelles, &c. Bref, David Cameron a le sourire, le Royaume-Uni voit ses thèses confortées, l’Italien Monti a obtenu un peu de mou… Oui, mais les investisseurs risquent de le prendre de manière fort mitigée.
Rappelons que, début décembre dernier, le défaut de capitalisation du secteur financier européen était évalué à la bagatelle de 115 milliards d’euros et que les banques, pourtant aidées par la BCE, la banque centrale, ne se sont pas précipitées pour acquérir des dettes souveraines. Aux parieurs de le faire, elles passent leur tour…
Espagne, Italie…
La situation en Espagne ou en Italie n’est pas aussi désespérée qu’en Grèce. Les suicides progressent, les abandons d’enfants aussi, les Grecs ne peuvent plus se soigner, faute de médicaments (les prix sont bloqués, largement inférieurs à ceux de la France, champion d’Europe pour la cherté, et les labos ne livrent plus la Grèce). Mais si ces deux pays (et aussi le Portugal) n’arrivent pas à placer de la dette pour rembourser de la dette antérieure, où obtiennent des crédits à des taux prohibitifs, comme c’est déjà le cas pour l’Italie, les nouveaux tours de vis imposés risquent de frôler l’insupportable.
En soi, l’Espagne n’a pas un formidable déficit, mais en pourcentage, il sera sans doute de 8 % pour 2011 (au lieu des 6 % prévus), soit 5 points de plus que le souhaitable, 3 % selon les projets d’accords européens successifs. Or, en 2012, il lui faut engranger 86 milliards d’euros. Moins qu’en 2011, mais peut-être à des taux supérieurs. Elle le fera par tranches, pour rembourser des tranches de dettes antérieures, et quand même pour tenter de ne pas étrangler davantage son économie, ou risquer de trop fortes grèves, émeutes, &c. Ce jeudi, elle émettra 5 millions d’euros d’emprunts.
En Italie, le déficit budgétaire s’est tassé en 2011, mais le poids de la dette s’est alourdi. Hors, en volume, l’Italie est – juste devant la France – le pays ayant besoin d’émettre le plus d’emprunts. La tranche de vendredi sera de l’ordre de plus de 9 millions de dollars. Sur 2012, il lui faudrait plus de 300 millions de dollars (243 pour la France).
C’est au fil des semaines, des mois, que France, Italie, Espagne ou Portugal vont devoir tenter de faire du Madoff-Ponzi : emprunter pour rembourser aux termes hebdomadaires ou mensuels. Soit ces pays placent la totalité de leurs emprunts, soit ces derniers sont boudés. Si tout est souscrit mais à des taux à dix ans de l’ordre de bientôt 4 % (France), 6 % (Espagne) et au-delà de 7 % (seuil fatidique qui est celui de l’Italie), les agences de notation dégraderont, et les emprunts seront encore plus chers, semaine après semaine, ou mois après mois.
Les banques européennes ne veulent plus prendre de la dette, et se recapitaliser, ou ne peuvent plus en prendre (une banque danoise est au bord d’une faillite imminente, par exemple). La BCE ne veut prêter qu’aux banques, qui font ce que bon leur semble. Donc on se tourne vers un FMI qui a bien du mal à trouver des fonds à la hauteur de la tâche (d’abord pour la Grèce, mais aussi pour d’autres pays européens). Courant 2012, les États se sont engagés à abonder un fonds d’investissement européen, qui ne semble rassurer que les chefs des États.
Plus une dette souveraine est rapidement souscrite, mieux le taux reste stable, voire baisse, et réciproquement. Selon les analystes, c’est une hausse des taux qui risque plutôt de se produire. Et dans ce cas, que peut faire la BCE ? Prêter de nouveau de l’argent aux banques dans l’espoir que… elles considèrent que le risque de casser toute l’économie européenne vaille de ne plus s’aventurer à jouer trop perso d’abord. Doux rêve.
Banques centrales et investisseurs
Beaucoup de pays souhaiteraient que la BCE vienne directement à leur secours et rachète directement leurs dettes, souscrive aux nouveaux emprunts. Oui, mais elle n’est pas en état de suffire à la tâche. Or, l’ennui, c’est que, si un pays se déclare en faillite, les banques centrales des autres pays, et la BCE, sont des créanciers prioritaires. Elles récupèrent ce qu’elles peuvent avant les autres, les investisseurs (banques privées, fonds privés, entreprises, assurances, &c.). Donc, si la BCE jouait ce jeu, ils risquent de fuir les pays à risques, ce qu’ils font déjà… au point de consentir de perdre de l’argent en souscrivant à des taux inférieur à l’inflation, hors zone euro, ou en Allemagne, en considérant qu’un retour au mark forcé par les événements n’y serait pas dramatique (à moyen terme, à tort, l’Allemagne exportant surtout en Europe).
Peter Eavis, du New York Times, rappelle que lors de la crise de 2008, non seulement la FED était intervenue, mais les créditeurs avaient consenti à effacer partie de la dette, à renoncer à un pourcentage de leurs créances. Selon un économiste américain, rapporte-t-il, il faudrait tout « simplement » que les créanciers de l’Italie acceptent de perdre le quart de leur capital investi en dettes souveraines.
Les dirigeants européens, de sommet en sommet, font de petits pas, qui peuvent retarder certaines échéances (la dégradation imminente de la France a été annoncée hier, puis contredite, jusqu’à la prochaine fois), mais ne résolvent fondamentalement rien.
Défaut de paiement
La Grèce, vue de France, paraît lointaine. Mais ces atermoiements, ces discussions sans fin, ces coups de menton ou ces déclarations solennelles, ne font pas reculer le réel. Un exemple ? Un collège du Valenciano, de Castellon, a adressé une circulaire aux parents d’élèves : nous allons peut-être devoir fermer, trouvez une solution pour occuper vos enfants. La cause, c’est qu’il ne trouve plus d’argent auprès des banques alors que les arriérés de subventions dues s’élèvent déjà à 105 000 euros. Car la collectivité ne trouve plus non plus à emprunter pour payer ses dettes. Multipliez par 450 collèges dans la même situation, et cela représente 225 000 enfants voués à court terme à la rue ou à rester à regarder la télévision. Les professeurs ou employés ont déjà renoncé à leurs primes et à une partie de leurs salaires pour rétribuer les personnels d’entretien, les moins rétribués. Ce n’est guère mieux dans d’autres communautés autonomes espagnoles.
En Belgique, les parlementaires ont pris les devants : ils n’excluent pas de revoir leurs indemnités et pensions et primes à la baisse. Les Verts proposent même une réduction de moitié des primes (notamment des présidents et vice-présidents de groupes, de commissions). Les divers groupes discutent, mais sont tous d’accord sur le fond : une baisse est souhaitable. Le ministre belge des Entreprises publiques prévoit de réduire les salaires des patrons des transports, des postes et télécommunications, de la sécurité aérienne.
C’est peut-être une manière de préparer l’opinion à des réductions de bénéfices sociaux ou de rémunérations. En Europe, il faut s’attendre à devoir travailler davantage pour gagner moins et payer plus cher. Mais, hélas, les réductions budgétaires ne suffiront peut-être pas à rassurer tout à fait les investisseurs. La Belgique a fait directement appel à ses citoyens pour emprunter et rembourser les dettes extérieures. Une agence de la dette, via son site, informe, cadre et explicite les données. L’État fédéral a pu se féliciter du très bon placement des bons d’État de décembre dernier auprès des particuliers et envisage d’émettre 6,03 milliards (comme en 2011) cette année. Un exemple à suivre ?
Il ne sert peut-être à rien de comprendre, au niveau individuel du citoyen lambda, les mécanismes de la dette. Plus il est pauvre, plus il en subira durement les conséquences. Mais peut-être serait-il grand temps qu’il tente de s’intéresser aux décisions pouvant rendre l’inévitable austérité moins inéquitable. Quand Bernard Accoyer (UMP) déclare : « si nous ratons ce rendez-vous de la responsabilité et du courage, les conséquences économiques et sociales pourraient être comparables à celles provoquées par une guerre, » il n’a pas tout à fait tort. Reste à choisir le chef de guerre le moins avide de « victoires » coûtant le plus de soldats, gradés et officiers subalternes (et le moins de généraux) soit celui le plus économe en vies humaines.
Actualisation (10:00, Paris)
Ouf, les Espagnols ont réussi à placer leurs emprunts, au final près de 10 millions d’euros (deux fois le montant prévu) sur trois ans à seulement 3,748 %. L’emprunt italien sur un an a placé près de 8,5 millions à 2,735 %, beaucoup mieux qu’envisagé (deux fois moins qu’en décembre). Cela encourage l’Irlande à se tourner de nouveau vers les marchés pour se financer. Tout le monde se demande si la BCE, qui maintient son taux directeur à 1 % est intervenue en douce ou non. Tout le monde s’inquiète cependant de la situation en Grèce et en Hongrie. Mais aussi de l’inflation en Allemagne. Mais la zone euro semble avoir bénéficié d’un sursis. Durable ? Allez savoir…
La crise financière de la Grèce a fait que certaines familles sont si désespérées qu’ils ont du abandonner la chose la plus précieuse de toutes : leurs enfants.
[url]http://zebuzzeo.blogspot.com/2012/01/grece-la-tragedie-euro-peenne-prends-au.html[/url]
Oui, Save the Children considère que la Grèce est devenu un pays du tiers-monde de ce point de vue, Cleamounette.
Cela étant, l’église orthodoxe, qui a peur de se faire imposer, exagère peut-être le chiffre des parents déclarant vouloir abandonner leurs enfants.