¡Pobrecitos! La douzaine de super-milliardaires espagnols n’ont accru leurs richesses que d’un malheureux 6 % en 2011, rapporte Público. Heureusement, cela ira mieux l’an prochain. 6 %, c’est aussi le pourcentage de réduction de dépenses de santé que prévoient les communautés autonomes espagnoles pour 2012, indique El País. Eh oui, pour faire des riches, il faut des pauvres, et pour faire de plus riches, de plus pauvres…

Pas vraiment obèses les milliardaires espagnols, contrairement aux plus pauvres, qui se gavent de patatas de moins en moins fritas. Mais en très bonne santé financière. Une douzaine parmi les plus riches espagnols ont vu globalement leurs fortunes cloîtrent de 21,5 milliards l’an passé, en pleine crise financière nationale.

C’est Público, publication très mal en point (elle vient de se mettre sous redressement judiciaire), qui le rapporte : falta d’annonceurs, de revenus publicitaires, et le quotidien, comme La Voz de Asturias, se vendent moins bien. Du coup, Mediapubli, éditeur des deux journaux, en appelle à un moratoire de ses dettes. Finiront-ils sur le Ouaibe, comme France-Soir et La Tribune ? Bon, ce n’était qu’un aparté : il y aura d’autres journaux, en 2012, en Europe, à jeter l’éponge…

C’est la « crisis económica » pour la presse, y compris régionale en Espagne, et les soldes n’y feront rien. Même quand c’est moins cher… quand on peut, on peut, quand on ne peut plus…

Amancio Ortega Gaona, 77 ans, de Zara, qui vient de gagner 2,73 milliards en 2011 (ce qui porte sa fortune à près de 36 milliards d’USD), fera-t-il un geste pour la presse ? Et les autres ? Il s’agit de l’ex-femme d’Amancio Ortega, de bétonneurs, de banquiers (banque Santander, banque des frères Albertos), et même d’un promoteur immobilier, Manuel Jove (Fadesa). Figure aussi Florentino Perez, du Real Madrid.

Bien évidemment, relève Público, ces grandes fortunes s’opposent des quatre fers à toute imposition supplémentaire. Leur syndicat patronal, le Consejo Empresarial par la Competitividad (ah, la compétitivité et l’impôt, c’est tellement antagoniste), a bien manœuvré lors de la dernière campagne électorale.

Hôpital et charité

La « Sécu » espagnole diffère de la française. Ce sont les communautés autonomes (de Catalogne, du Pays Basque, d’Andalousie, des Canaries…) qui sont en charge de la santé publique, avec un chapeau collectif, la Fédération des associations pour la défense de la santé publique (FADSP), qui n’a pas obtenu les chiffres 2011 de la Castille et de la Manche. Certaines « provinces » dépensent plus que d’autres, mais sur 2010-2011, presque tout ce monde a réduit ses dépenses, ce qui donne 6 % de moins pour la santé. Eh, la dette des hôpitaux, énorme, colossale, a crû, du fait des intérêts d’emprunts, de 10 %… en seulement cinq mois.

Aux Baléares, pour renouveler sa carte « vitale » (d’accès aux soins), c’est désormais 10 euros. En Galice, on y songe aussi (au moins pour les cartes perdues ou abimées). Pas de bras, pas de chocolat, pas d’euros, pas de soins.

En France, on aura la TVA sociale : elle bénéficiera sans doute aux entreprises (allégement de charges salariales) et un peu, quand même, à la Sécurité sociale. Mais pas de boulot, pas d’achats, pas de mutuelle, pas de soins… Il faudra, comme en Espagne, aller toquer aux portes de l’Opus Dei, de l’Ordre de Malte, d’autres. C’est comme en Grèce : le clergé met en avant ses œuvres sociales pour échapper à l’impôt.

En Italie, c’est un richissime padre (qui donnait l’absolution à Berlusconi sans l’entendre en confession, car selon Il Cavaliere, le bon père, patron d’un hôpital et d’entreprises, lisait dans ses pensées), qui fait scandale, post-mortem. Il menait très grand train…

En Espagne, nouvelle augmentation d’impôts : pour les célibataires sans enfants, aux revenus de 30 000 euros, ce sera 248,88 euros de plus (avec deux enfants, 151,81). Ce sera progressif pour toutes les familles avec des revenus de plus de 16 000 euros (les smicards, quoi).

Le chômage vient de faire un bond de 7,86 %, ce qui réduira les bénéfices escomptés de la hausse des impôts. De même pour le démantèlement des entreprises publiques. Donc, pour compenser, il est question de relever le taux de TVA en mars… Eh oui, celui qui ne se contente pas de soupe populaire peut quand même contribuer à l’effort national.

Du coup, Público, qui sait que ses jours sont comptés, publie ce jour un entretien avec Matt Taibbi, de Rolling Stones, l’un des plus féroces critiques des financiers américains. Jean Lasson a traduit son très long article pour Agoravox. La traduction du titre vers l’espagnol est savoureuse :Cleptopía: fabricantes de burbujas y vampiros financieros en la era de la estafa. Les fabricants de bulles et les vampires de la finance. C’était paru en 2009. Le titre original était Griftopia… et la grande arnaque. Un néologisme pour la concussomanie étendue aux acteurs du secteur privé, en quelque sorte.

Pour Matt Taibbi, banquiers et assureurs sont des bonimenteurs et des voleurs, purs et simples, point. Et nous sommes entrés « dans une nouvelle ère de corruption », tout simplement, du fait d’apatrides de cœur et d’âme (si l’on peut dire ainsi). Il voit un troisième crash se profiler, et les miséreux réagir violemment, ou, au moins, rejoindre les Indignés.

C’est étonnant comme les journalistes (je parle de ceux de Público, par de Taibbi) s’enhardissent quand ils sont sur le point de perdre leur gagne-pain. Mais, bon, je ne me gausse pas : ce serait l’hôpital se moquant de la charité. Les journalistes grecs, enfin, ceux au chômage, sont aussi devenus très virulents sur leurs divers blogues : il faut croire qu’ils ont perdu tout espoir de reclassement.

Établis et déclassés

Retour à la France, et « sur le futur », avec ce petit rappel. C’est par choix que des jeunes issus de la bourgeoisie choisissaient de « s’établir » en usine. Certains se sont reclassés, tels Daniel Rondeau (devenu ambassadeur), très peu sont restés. Puis il y a eu les déclassés. Parfois les mêmes. À mobilité sociale descendante. Ce fut un titre de film. Repris par Jean-François Bizot, d’Actuel, pour son livre (Sagittaire, puis Grasset), et une réalité augmentée, comme on dit en passant de la 2D à la 3D, du plane au volumique qui enfle. Nous aurons bientôt les émigrés. C’est déjà plus que latent. En Espagne, la crise tarit l’immigration et nourrit l’émigration. Plus 96 % d’électeurs espagnols inscrits à l’étranger en onze mois, fin 2010. Le premier souci n’est pas d’aller se faire enregistrer quand on émigre, et que nous sommes déjà en 2012. On peut extrapoler sans risque de se tromper.

Il en sera de même en France. Inéluctablement. Déjà deux dans mon entourage proche, des plus de 50 ans. Toutes et tous ne vont pas s’habiller chez Zara et ils risquent de dédaigner le petit nœud pap’ du sémillant mannequin masculin du site espagnol ou son jean à 30 euros (prix minimal constaté). Ils partent survivre et non faire fortune.

Amancio Ortega Gaona s’en contrefout : sa fortune est faite, que Zara monte en gamme pour racler une clientèle de jeunes très friqués n’est plus son souci. Mais quelques grifteurs, à la Taibbi, feraient bien d’y songer. Ils vont devoir revoir leurs plans d’affaires, et tenter de se rapprocher du hard-discount, voire des prix des fripiers…

Prix qui, avec la TVA sociale, vont augmenter. Ou pas, si les fripiers prennent sur leur marge. Mais ce sont aussi des consommateurs, les fripiers. Qui vont se serrer la ceinture d’un cran. Comme les hôteliers parisiens (les Italiens formaient le plus fort contingent touristique).

Sortie de crise ?

Ah tiens, l’hôtellerie. En Espagne, formidables opportunités. Le prix de l’immobilier fléchit. Pourquoi pas des asiles-hôtels ? Avec des rangées de placards, où dormir « à la corde » (debout, la corde sous les aisselles). Avec bains-douches adjacents… Il se trouvera peut-être bientôt une fille ou un fils Ortega Gaona pour y songer, et créer une chaîne. Quand les affaires reprendront, il suffira de réunir deux placards pour y placer une couchette pour dormir en diagonale. Un euro à la corde, deux pour la catégorie supérieure.

Mais allez, en attendant, on peut encore « tirer les rois », les mages, pas ceux de la finance. À chacun sa galette. Comptez de 3 à 12 euros, parfois pour une simple part (24 la trois-quatre parts chez Du Pain et des Idées, à Paris). Tandis que, pour les grandes surfaces, une quatre ou six parts (500 g) revient à seulement… 1,50 €, et le grossiste a pris sa marge dessus. Eh, comme Nicolas Sarkozy, ils pensent d’abord à leur propre pouvoir d’achat.

Tout comme pour les Espagnols, ce n’est pas tout à fait déjà l’épiphanie (la révélation) pour les Français. Il y a 2,6 millions de millionnaires en dollars en France. On les champions d’Europe !

Comme le dit Monique Pinçon-Charlot (co-auteure du Président des riches, La Découverte), « la grande richesse, c’est comme un iceberg. Quand on en voit une partie, il faut se dire qu’il y en a cent fois plus dessous… ». Pour Bernard Arnault (qui pèse 21 milliards), sauver la Grèce et le Portugal, voire même l’Espagne, ne serait pas hors de portée. De même serait-il possible aux grandes fortunes grecques d’apurer toute la dette du pays. Sans vraiment se déclasser… Mais comme « la classe », c’est de s’offrir un plus gros jet privé… Pas pour émigrer, elles le sont déjà. Ohé, les licenciés de La Tribune, à vos blogues, ou ici-même, sur Come4News : et coordonnez vos enquêtes avec les consœurs et confrères de Público, ou ceux d’Ekathimerini. Let’s swap not shop! Développons d’autres solidarités avant d’être contraints à la sinistrose destructrice qu’on veut nous imposer. Il n’y a plus rien à attendre d’un « sauveur suprême », surtout à la solde des riches.