Espagne : la debacle immobiliere de Sesena

Encore et de nouveau dégradées par les agences de notation, les banques espagnoles, dont Santander et Sabadell, tentent de se dégager de la débâcle de la ville nouvelle de Seseña, proche de Madrid. Mais si c’est le site le plus symbolique, de par son ampleur (5 600 logements, beaucoup de vacants), c’est loin d’être le seul d’Espagne. La relance via le BTP et la densification voulue par Nicolas Sarkozy pourrait-elle conduire, dans six-sept ans, à un tel désastre ?

Chat échaudé craint l’eau froide. Aussi, en dépit de la reconduction du dispositif Scellier (crédit d’impôt pour les constructions neuves destinées à la location), ceux qui s’y sont laissés prendre en faisant confiance à des promoteurs, et se retrouvent avec de nouveaux « bourgs à la campagne » sans locataires, seront-ils à l’avenir plus prudents.

Mais l’exemple de l’Espagne devrait aussi faire réfléchir aux risques de la construction pour la construction…

Seseña, ville nouvelle destinée à l’accueil de 30 000 habitants à une trentaine de kilomètres de Madrid (45 minutes du centre de la capitale), est le symbole même de la construction à outrance qui a marqué durablement, depuis une décennie, toute l’Espagne.

Par chance, pour les pouvoirs publics, qui ne pourraient plus faire face aux aménagements (la plupart des communautés autonomes ont aussi été dégradées par les banques), la ville nouvelle n’a vu s’ériger de 5 100 logements sur 13 508 prévus et les candidats à l’acquisition ou la location, tous équipés d’automobiles ou scooters, savent à quoi s’en tenir.
Ils vivront non pas en autarcie, mais dans une sorte de désert, avec des terrains vagues à perte de vue, et pour longtemps. Peut-être, dans un avenir proche, leur sera-t-il épargné de contempler un véritable « lac » de vieux pneus : il recouvre des dizaines d’hectares entre Seseña et Valdemoro. Ce n’est pas joué, car il faudrait encore qu’ils trouvent preneurs.

Les banques bradent

La Banc Sabadell et la caisse d’épargne de la Méditerranée (CAM) proposent désormais une location pour deux ans au prix de 400 euros. Pour « faire l’essai » et décider ou non d’acheter ensuite dans cette ville quasiment fantomatique. Ou on peut déjà acheter avec un prêt à zéro sur deux ans. Sabadell a aussi sur les bras la Marina D’Or, à Castellón, et les lotissements du Polaris World de Murcie. Pour l’ensemble, elle risque de perdre six milliards d’euros.

Banco Santader brade aussi. Le grand type 2 (94 m²) part à 65 000 euros à Seseña. Contre plus du double (190 000) en 2007, quand il subsistait l’espoir de voir les immeubles construits à peu près occupés. Beaucoup d’acquéreurs particuliers ont déjà soldé au tiers du prix d’achat, ne trouvant pas à louer.
Au dernier salon immobilier madrilène, le Sima 2011, Santander tentait encore de fourguer à moins de 90 000 euros (moins de mille euros le m²). Là, c’est devenu de la vente franchement à perte. Brut de décoffrage, rien que pour le béton (sans honoraires d’architecte, taxes, &c.), il fallait compter 650 euros du m² d’investissement. Évidemment, ces offres tirent les prix par le bas, et d’autres propriétaires encaissent de plus lourdes pertes. La location à bas prix avec option d’achat non contraignante est d’ailleurs un véritable pari. Acheter de suite expose à des pertes, même à ces prix cassés, si l’économie ne repart pas, si la ville reste moribonde.

Ghost town

Alan Clendenning et Harold Heckle, d’Associated Press, ont fait du « tourisme » de zones sinistrées début février dans la commune du district de Tolède. La dernière agence bancaire a fermé voici déjà deux ans. Même les expulsés d’ailleurs (530 000 pour l’Espagne fin septembre dernier) hésitent à venir s’installer. On ne sait trop combien les banques doivent éponger au total. Elles avaient valorisé à près de 200 milliards d’euros. Tout, au mieux, vaut – sur le papier – moitié moins à présent. Enfin, si tout part.

Des terres agricoles ont été perdues, les collectivités ont parfois investi dans l’adduction d’eau, les autres réseaux, les routes, un peu d’éclairage, avant même que les chantiers aient démarré. Il fallait attirer les promoteurs. Avec un chômage officiel de 23 %, le commerce au détail a chuté d’un cinquième. Les jeunes actifs ne croient plus que l’immobilier est une valeur durable, et ils peinent à trouver des prêts pour loger hors de ces enclaves fantomatiques.

Il n’y a même pas une seule pharmacie à Seseña. La seule pizzeria ouvre quatre soirs par semaine… mais ferme si la clientèle tarde à se manifester. Pour le restaurant rapide (ailes de poulet et autres), c’est uniquement vendredi et dimanche soir. Pas question de se faire livrer si loin de tout. Les locataires ont pratiquement tous obtenu des rabais d’un tiers. Et comment se désengager sans perdre beaucoup alors que l’on doit des intérêts et du capital à des banques qui massacrent les prix ? Qui a perdu son emploi doit les deux-tiers de ses indemnités à la banque…

Banco Popular et NovaCaixa de Galicia tentent de maintenir leurs prix. Si elles fléchissent, elles parviendront – peut-être – à peupler progressivement la ville. L’ouverture des écoles, peut-être d’un centre de soins, suivra ou non.

Chute générale des ventes

Pour vendre, il faut trouver de la demande. Les ventes immobilières ont chuté de 17,7 % d’une année sur l’autre. Les ventes de 2011 représentent la moitié de celles de 2007.

Dans la province d’Alicante, les propriétaires sous hypothèques qui le peuvent encore renégocient leurs crédits ou tentent de payer par anticipation.

L’Espagne est en récession ou stagnation depuis environ cinq ans.
Elle avait progressé fortement dans les sept premières années de son adhésion à la zone euro, grâce notamment à l’immobilier.
Elle risque de faire face à l’accentuation d’un autre phénomène, déjà largement entamé.
Du fait des taux bancaires rémunérant très bas les épargnants ou certains fonds privés de retraite, ce qui est le cas pour les Britanniques, mais touche d’autres catégorie de résidents européens, ce sont des villes-bis entières qui risquent de se dépeupler partiellement ou de s’étioler.

Mais qu’on se « rassure ».

Les immeubles et surtout les résidences et domaines de grand luxe très bien situés ne risquent rien, leur valeur est stable, voire croissante, la demande ne fléchit pas trop.

Juste une question ?

Petite interrogation dont on devine sans peine la réponse. Ils en sont où maintenant, ces brillants économiques et ces grands chefs des services du secteur bancaire espagnol qui ont mis l’économie en surchauffe et les fonds propres de leurs établissements à plat ?  Ah, ils dégraissent les effectifs des agences ? Ils planchent sur de nouveaux produits plus juteux pour redresser la barre, faire monter, par la spéculation, le prix des denrées alimentaires et des matières premières ?
Bravo, continuez. Et pas de souci à se faire pour la prochaine.

Auteur/autrice : Jef Tombeur

Longtemps "jack of all trades", toujours grand voyageur. Réside principalement à Paris (Xe), fréquemment ailleurs (à présent, en Europe seulement). A pratiqué le journalisme plus de sept lustres (toutes périodicités, tous postes en presse écrite), la traduction (ang.>fr. ; presse, littérature, docs techs), le transport routier (intl. et France), l'enseignement (typo, PAO, journalisme)... Congru en typo, féru d'orthotypographie. Blague favorite : – et on t'a dit que c'était drôle ? Eh bien, on t'aura menti !

2 réflexions sur « Espagne : la debacle immobiliere de Sesena »

  1. Sarkozy, comme les concepteurs de la ligne Maginot, est toujours en retard d’une guerre et lorgne toujours sur les solutions qui ont semblé marché hier. Si j’étais allemand, je me ferais du souci…
    Le bon vieux culte de l’efficacité néo-libérale – en fait idéaliste pour ne pas dire coupée de la réalité – a encore frappé, comme le montre avec précision cet article.

  2. Pas mal vu, Chrisrub. Merci pour votre appréciation. Pendant ce temps, la Suisse lance un satellite « éboueur » (pour récupérer les déchets spatiaux des autres). L’innovation utile.
    Mais on préfère primer et « valoriser » l’inutile.

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