Ah, c’était donc cela ! J’ai toujours vu en Éric Poindron un Porthos en devenir, et quelque vingt ans après, c’est bien Porthos que je retrouve. Il s’agit d’une manifestation de sa bibliopathonomadie, qui en fait un onirobliomaniaque. Auto-médication, qui conviendra à d’autres bibliophages : son De l’égarement à travers les livres, paru aux éditions Le Castor astral.

Éric Poindron, ex-éditeur (Le Coq à l’âne), autoédité parcimonieusement, est devenu un auteur en vue après son Belles étoiles, avec Stevenson dans les Cévennes (Flammarion, 2001).
Le projet lui tenait à cœur depuis quelques années. La présence dans les parages de Lucifugus Merklen, l’artiste-plasticien de La Boucherie humaine de Pleurs, émigré sur le parcours de Stevenson antan, fut peut-être un déclencheur.

Toujours est-il qu’il revint sans son baudet et entama une carrière d’auteur. Mais il est resté scénariste, ayant débuté aux côtés de Ricardo Freda pour le film de cape et d’épée de Bertrand Tavernier, La Fille de d’Artagnan (1994).
Trop jeune à l’époque pour interpréter Porthos, il l’incarne, à mes yeux, à la ville. Je ne savais pas qu’il avait aussi participé au Grand Livre d’Alexandre Dumas (avec Charles Dantzig), autre « Champenois » (au sens de l’appellation champenoise), mais il serait tout indiqué pour un éventuel Dumas à vingt ans (collection du Diable Vauvert) si le projet n’est pas déjà en chantier.

Éric est aussi un bibliophile dont je ne souhaite la fréquentation, d’étals de bouquinistes en librairies d’anciens, qu’à un autre bibliophile, et encore, ne souffrant pas de varices. Il anime l’émission « Des livres et vous » (France 3), collabore au Magazine du bibliophile. Dans le rôle, on attendrait un Aramis. Que non ! Éric vous empanache le plus obscur grimoire. Sa manière de mener cet Égarement témoigne d’un savoir-faire de conteur sachant ménager des rebondissements, et refaire de Reims « l’une des plus invraisemblables villes de la géographie du Conte », selon l’appréciation de Victor Hugo. Nous sommes en terrain balisé : celui de la rencontre avec un personnage énigmatique qui détient des secrets. Ceux du Cénacle troglodyte ? D’autres cercles encore plus ésotériques ? « Et vous espérez que je vais croire à cette histoire ? » lance le narrateur au conspirateur. Eh bien, oui, on se prend à y croire.

Éric savait nous faire revivre Nicolas Flamel, s’inventant peut-être, par pure improvisation, des citations du mystérieux alchimiste spéculatif, en traçant des pistes entre les bars et cafés proches de son « délicieux beffroi », la parisienne Tour Saint-Jacques. Flamel, écrivain public et libraire-juré de l’Université, auquel fut attribuée la découverte de la pierre philosophale, nous paraissait bientôt prêt à se réincarner dans un passant feignant de buter contre nous au coin de la rue de Montmorency. Éric écartait, péremptoire, nos plus ironiques objections, et nos dubitatives remarques lui étaient autant de suggestions pour faire rebondir son récit.

Ferrés ! Éric était capable de nous fausser compagnie sans crier gare, sans doute pour consigner à l’écart quelques idées, quelques ébauches d’autres histoires, dans un petit carnet. Et là, à mi-chemin, dans cetÉgarement, voici le narrateur qui nous lâche. À nous de décrypter les histoires qui forment la seconde partie de l’ouvrage. Aux rêveurs, polygraphes dans l’âme, de prolonger le récit, de lui imaginer une cohérence, de fouiller leurs mémoires ou de se projeter pour, passe-murailles, « passer de rivage en rivage ». Adieu rives de la Marne, bonjour littoral de Baltimore et la Patapsco. La bibliotaxinomie (ou biblioteconomie) équivaut-elle à un assassinat ? Nous survivons. La biblionomadie, ou « itinérance à travers les livres », nous ramène sains et saufs au cœur de Londres. Surtout n’alertez pas la modération si vous vous retrouvez ensuite à Carpentras, à la Bibliothèque Inguimbertine : Dom Malachie profite toujours, mais c’est à vous d’en décider.…

L’ouvrage s’accompagne d’un appareillage de notes que l’on peut sauter à première lecture, et d’une bibliographie détaillée et commentée, qui raviront (ou raviveront) les férus d’histoire du Livre et de la ou plutôt des littératures. La typographie est aussi soignée qu’il fut possible. Dans les remerciements est mentionnée une certaine Cléo-Lunes (prononcez Lounès) qui n’est autre que la fille d’Éric et de Sandra Rota. Peut-être que, par ses questions ou ses relances, à l’heure où les enfants s’endorment en exigeant une histoire, est-elle aussi un peu co-auteure. On l’imagine volontiers. L’Égarement, telle une histoire qu’on voudrait sans fin, se poursuit en ligne… et autres méandres…