Ou d’ailleurs, le Nafi, ou le Tristane Fan Club, ici interchangeables avec le club des supporteurs de Dominique Strauss-Kahn : la presse anglaise va déplorer l’élimination de « son » équipe féminine de football aux tirs aux buts, la presse française va fêter la qualification des « ses » Bleues au mondial. C’est toujours la presse, fondamentalement la même, laquelle botte parfois en touche quand elle se retrouve prise en étau entre les couleurs opposées de son lectorat. Quitte aussi à tirer contre son camp, en opérant un distinguo entre la « bonne » presse (celle qui vous emploie) et la « mauvaise » (celle d’autres employeurs).

Je viens de parcourir La Voix du Nord. Sur le site, des commentaires opèrent un rapprochement, si ce n’est un parallèle, entre d’une part l’action judiciaire tardive (les faits remontent à 1997, la plainte à 2008) d’un employé de la SNCF qui fut contraint d’enterrer à la sauvette les restes d’un collègue et d’autre part celle, fort différée également, de Tristane Banon visant Dominique Strauss-Kahn. Il y aurait là matière à éditorial mais comme on ne sait trop quelle couleur attribuer à DSK et Tristane Banon et que le lectorat est divisé, parions qu’on saura s’en dispenser.

Le légèrement bidonnant, au sens de comique (involontaire ?), éditorial d’Éric Dussart, dans le même titre, oppose la « bonne » à la « mauvaise » presse. Admirateur d’Hervé Ghesquière et de Stéphane Taponier, Éric Dussart avait déjà salué leur libération d’Afghanistan à la faveur d’un billet dénonçant au passage les « escrocs » de la profession. Notamment ceux qui « bidonnent ». « Il y en a même suffisamment pour que la profession n’ait pas qu’une image flatteuse dans ce pays, » considérait-il vendredi premier juillet. Ce samedi 9, il enterre l’hebdo News of the World (presse Murdoch), instigateur et non victime d’un scandale d’écoutes téléphoniques (ce qui va largement plus loin que de se brancher sur « radio flics » ou « radio pompiers » pour en courser les véhicules sur les lieux des faits divers). « On n’arrive pas à pleurer », titre-t-il. Moi non plus, mais des larmes d’hilarité m’ont humecté les cils en constatant que Dussart en profitait pour souhaiter la disparition, faute de rentabilité, du New York Post ou du New York Daily News. « Tant mieux, » conclut-il. Car on ne veut croire que ce souhait viserait The Wall Street Journal, du groupe Rupert Murdoch…

C’était quoi et qui déjà, le concurrent de La Voix du Nord ? Nord matin (†1993, absorbé par La Voix).

Que faisait l’envoyé spécial Éric Dussart à New York sur les traces de DSK voici peu ? Il pompait ou bénéficiait des tuyaux des confrères du Post ou des News pour nous régaler de détails sur la résidence du couple DSK-Sinclair. Avec moins d’obligation de moyens et de résultats, il ne s’en est pas tiré trop mal.

Là, ce jour, le Post revient sur la mystérieuse visiteuse nocturne de DSK au Sofitel, une « femme mariée » qui serait sa « secret girlfriend » et appartient au « milieu bancaire » local. Aucune allusion n’est faite à l’autre aventure attribuée à DSK avec une autre femme, de Washington, travaillant pour une autre organisation financière internationale que le FMI. Trou de mémoire des signataires, L. Celona et D. Mangan, ou consultation trop hâtive des archives, on ne sait à quoi attribuer l’élision, sans doute temporaire, du précédent du Capitole. La roche tarpéienne de l’amante du petit matin suffit pour l’édition du jour. Mais hormis des titres de première page détestables, le Post comme les Daily News ne s’écartent guère des faits. Et le New York Times ou le Washington Post, tout comme la presse internationale, reprennent ces pistes dénichées par des journalistes qui n’ont pas vraiment leur mot à dire sur l’élaboration des unes.

Éric Dussart, qui est aussi chroniqueur judiciaire, sait fort bien que ce genre d’élément est très souvent débattu en cour, et qu’il en ferait état : de même, si à l’occasion d’un fait divers régional, cela apparaissait chez le concurrent (il n’en a plus, chance…) et non dans ses colonnes, s’inquiéterait-il sans aucun doute. Je ne sais si Dussart est de cette gent confraternelle susceptible ou non de souligner lourdement ce genre de raté à sa hiérarchie, mais pour ce qui est de poser en chevalier aux gants blancs, et dénoncer ceux qui « font trop de tort à la profession, à la démocratie, à la vérité, » il est très éloquent.

Les Daily News, elles, offrent son quart d’heure warholien à une certaine Marima B., 23 ans. Elle a été vue à proximité de ou en compagnie de Françaises et Français agitant des drapeaux tricolores devant la demeure de Tribeca (« à 50 000 USD de loyer mensuel », là, le rappel n’est pas omis), du couple Sinclair-DSK. Le patronyme de Marima est indiqué. Elle estime que le retour de DSK sur la scène politique française sera « très difficile » (NYDN) ou constituera un « formidable défi » (blogue des deux journalistes des Daily News, Dan McCarty et Larry McShane, encore mobilisés en tandem tandis que le seul Dussart devait œuvrer en pool avec d’autres confrères et concurrents sous les fenêtres de DSK).

Je serais journaliste à la Voix, je me serais empressé de voir si Marima ne serait pas une « régionale de l’étape » (une Nordiste, donc), histoire de lui tirer plus d’une phrase, de lui faire décrire l’esprit qui anime les fidèles de DSK en pèlerinage dans la Grande Pomme, l’ambiance, &c. Histoire de ne pas avoir un Dussart ou un autre faire sèchement remarquer lundi devant le redchef que, décidément, le samedi soir, il y a du relâchement lors de la permanence des faits-diversiers. Les samedi et dimanche sont des jours de travail comme les autres.

Je ne vois pas trop ce qui distingue La Voix des tabloïds de New York, d’autant que je remarque sur le site du quotidien lillois que se sont justement les faits-divers et les papiers de la rubrique « vie pratique » qui sont constamment les plus consultés.

En zones de concurrence (là où elles subsistent, dans des départements périphériques, des « marches » des sièges respectifs des quotidiens régionaux), les rédactions sont harcelées pour gonfler les faits-divers et n’omettre aucun détail. C’est féroce, et pour repousser L’Est Républicain de du département, un journaliste de L’Union à Châlons (alors « sur Marne ») a été réputé être mort à la tâche. In memoriam, locale de la ville du dessinateur Cabu.

L’éditorial de Dussart ferait très bien dans le cadre de la ligne rédactionnelle des filiales de presse du Crédit mutuel (bientôt propriétaire de « papier » du Dauphiné jusqu’à Dunkerque ?).

On peut se demander ce qui, de la lassitude (et non de la paresse, c’est différent) ou du manque d’effectifs, distingue vraiment la presse quotidienne régionale française des titres populaires de New York. Lesquels ne se voient pas doter des moyens d’embaucher des Taponier et Ghesquière tandis que leurs homologues français pèsent et soupèsent la rentabilité d’envoyer des Dussart outre-Atlantique faire un tour et revenir vite fait.

Il n’y a pas que des escrocs, dans ce métier, mais on attendrait davantage Dussart sur les succès et échecs de la présence militaire française en Afghanistan, sur les dessous justifiant ou non d’y maintenir un corps expéditionnaire, sur les négociations avec les talibans dépassant très largement le cadre de celles ayant permis la libération des confrères otages.

Dussart était donc sur le tarmac de Villacoublay pour accueillir nos journalistes otages, en la fort discrète présence de Nicolas Sarkozy (dont Dussart s’abstient de souligner l’effacement inhabituel) et il conclut que leur détachement apparent « ce n’est pas de l’inconscience, mais du courage. » On aura lu entre les lignes.

Le courage consiste peut-être à cultiver sa distinction. Sur le terrain, j’étais souvent bluffé par le professionnalisme (et non accessoirement le niveau de formation, en droit notamment), des confrères de Détective, devenu Le Nouveau Détective. Ils étaient généralement snobés par les « confrères » dont les titres, à l’occasion, reprenaient la même antienne : eux, c’est eux (la presse de caniveau), nous, c’est nous (la bonne parole). Il faut parfois une rarissime grève des rédactions (les mêmes qui ne voient dans celles des ouvriers du Livre que de basses revendications catégorielles) pour s’apercevoir que la ligne de démarcation est plus que floue.

On connait les critères de délivrance de la carte de presse : il suffit d’empocher assez d’argent de la part d’un employeur de presse, quel qu’il soit, quelles que soit ses « lignes de produit ». Faire, comme Jour de France, dans la vie qu’Anne Sinclair refait à la faveur d’une nouvelle passion (crochet ou tricot ?), ou dans le « perv », le « putois » (DSK selon les tabloïds de NYC), c’est tout un, équivalent et interchangeable. Parfois, la secrétaire du patron bénéficie aussi de la carte de presse sans qu’aucun journaliste du titre l’employant ne moufte : pas question d’handicaper son avancement.

Le plus que centenaire News Of The World (du groupe Murdoch, comme The Times de Londres), va donc disparaître, et Dussart ne pleurera pas davantage que moi-même. Je déplore plutôt la disparition de Bakchich et de Siné Hebdo, chacun ses inclinations.

L’Aurore (groupe Marcel Boussac) vacillante, absorbée ensuite par Le Figaro, ne savait plus trop s’il convenait de gratter sur France Soir en renforçant les faits-divers ou sur Le Fig’ pour en détourner le lectorat le plus radicalement droitier. Pierre Desproges avait fait ses débuts à L’Aurore. Il est mort sans recevoir la médaille du Travail dont Dussart finira peut-être par briguer l’or en grand (40 ans d’éditoriaux, cela vaudrait bien une grande médaille).

Les faits sont les faits, qu’ils soient recueillis par Bob Woodward (Watergate, lequel Woodward évoque à présent un « Rupertgate » qui n’émeut guère Dussart) ou par News of the World.

Les lectrices et les lecteurs forment un lectorat que la plupart des titres tentent, faute de toujours pouvoir le caresser dans le sens du poil, de ne pas trop ébouriffer. Comme l’exprimait à peu près ainsi Balzac, l’art consiste souvent à préfigurer les préjugés pour les conforter afin que le lectorat s’y retrouve, voire s’y reflète, et ses les approprie comme s’ils venaient de lui-même.

Se plaindre de la presse, disait Enoch Powell (ex-député ext.-d., brit.), cela revient, pour les politiciens, à se camper en marin se plaignant de la mer. Cela vaut aussi pour les journalistes.

News of The World sera sans doute remplacé par une édition dominicale du Sun (News Intl, de R. Murdoch) qui vient d’acquérir le site Sun on Sunday (le Sun du dimanche). Après le reflux, le flux. Dans Newsweek, le collègue de Woodward, Carl Bernstein, estime que le scandale actuel ne surprendra que ceux qui se sont aveuglés sur « l’influence pernicieuse » que l’empire de presse Murdoch a exercé sur l’ensemble du journalisme anglophone. « Murdoch a créé et implanté dans les rédactions cette culture selon laquelle vous allez jusqu’au bout pour faire un papier, ne faites pas de prisonniers, détruisez la concurrence, et la fin justifiera les moyens, » rapporte un ancien de News Intl s’étant confié à Bernstein. Avec Fox News, Murdoch est allé plus loin, puisque les efforts exigés des rédactions ne doivent porter que sur les cibles désignées : toutes celles et ceux nuisant aux ultraconservateurs étasuniens.

Nous n’en sommes pas tout à fait déjà là en France puisque tous les efforts rédactionnels ne pointent pas qu’en vue de conforter les institutions bancaires et financières qui, occasionnellement, se voient critiquées. « Comme tout le monde peut vous le dire, les règles et la culture d’un titre de presse se fixent depuis le sommet, par le propriétaire, le gérant, et les chefs de service, » poursuit Bernstein. Nous n’en sommes pas tout à fait là en France puisque la discussion sur l’effort de guerre en Afghanistan ne s’accompagne pas, comme dans la presse britannique, de reportages sur les mutilés de guerre revenant persuadés de la vanité d’obtenir quelque conclusion décisive que ce soit (Le Monde a cependant fait un sujet, plutôt conforme aux attentes de la hiérarchie militaire).

Finalement, je ne sais pas trop vraiment ce qui décrédibilise le plus la presse, de ses excès ou de ses « pudeurs ». Je ne pense pas que ce soit des éditoriaux bien torchés, aux indignations plutôt convenues – car, en fait, en soi, il n’y a rien à redire à celui d’Éric Dussart ; que j’aurais pu écrire quasiment à l’identique sur commande – qui lui rendront sa crédibilité.

Le respect mécanique des règles, un coup pour le fan club de DSK, un autre pour celui de Nafissatou, deux colonnes pour Martine, deux colonnes pour Nicolas, n’est pas formellement condamnable, mais il n’exonère pas du reste. Je ne sais pas davantage qu’Éric Dussart ce qu’il convient d’imaginer. Un peu plus de confraternelle solidarité, peut-être ? Assurément de ne pas laisser le Crédit mutuel devenir un Murdoch « acceptable », « convenable » et convenant.