Bien peu des votants qui se rendront demain, dimanche, dans les isoloirs, l’ont relevé. Pour la seconde fois, Christian Noyer, gouverneur de la Banque de France, a reporté l’application du mécanisme d’augmentation de la rémunération du Livret A (et livrets associés) sine die, soit aux calendes grecques. Aveuglés par leurs convictions ou ressentis de longue date ou du moment, beaucoup de Françaises et de Français voteront dimanche contre leurs propres intérêts, sans tenir vraiment compte des questions cruciales de la dette, du rôle de la Banque centrale européenne, &c.
Alors que, en ce samedi, veille d’élection, les éditorialistes des presses écrites et audiovisuelles s’abstiennent de commentaires, la presse étrangère, du très droitier Wall Street Journal (groupe News Corp., Murdoch) aux titres se positionnant à gauche d’Espagne ou d’Italie, estime toujours que Nicolas Sarkozy devrait céder devant son principal adversaire, notamment en raison de son style, de ses revirements, de sa campagne confuse alternant appels du pied à la droite dure et au centre et de la détestation qu’il a inspiré.
Mais en France, hormis chez les plus partisans, à peu près tout le monde s’accorde pour supposer que les scores seront très serrés. Ce en raison de l’abstention et du nombre des indécis dont la plupart n’ont pas lu le moindre programme, s’en tiennent à des impressions.
La détestation est en fait bien partagée chez les plus résolus (ou dupés, obtus, voire fascinés). Ainsi, de tous petits épargnants voient dans le retour de la gauche une catastrophe absolue, la fin totale des haricots, et seul Nicolas Sarkozy pourra « les sauver ». Au nom de quoi, on ne sait trop… et sans doute ne le savent-ils pas davantage.
La plupart de ces électrices et électeurs de droite détiennent un Livret A, voire un livret d’épargne populaire (réservé aux non ou très faiblement imposés), ou un compte dont l’évolution de la rémunération dépend des appréciations du gouverneur de la Banque de France, lequel consulte bien sûr Bercy et l’Élysée avant de se prononcer. Or, déjà en février dernier, le taux de rémunération du Livret A aurait dû passer – automatiquement selon des dispositions déjà anciennes –, de 2,25 à 2,50 %. Premier report du fait que, selon Christian Noyer, l’inflation hors tabac se serait maintenue à 2,2 % et que les prévisions, en dépit de l’instauration, si Nicolas Sarkozy était réélu, d’une TVA dite « sociale », devraient établir que l’augmentation du coût de la vie sera faible. En fait, en mai prochain, le taux aurait dû passer à 2,75 %. Pour août, date de l’augmentation suivante, on ne sait ce qu’il en sera mais cela dépendra assurément aussi de qui sera élu.
Mais on peut aussi valablement considérer que cette mesure est favorable à la reprise de l’économie puisque cela est supposer inciter les épargnants à dépenser (donc soutenir la consommation) et les banques à consentir plus facilement du crédit aux entrepreneurs. Indépendamment de ce que l’on peut penser du personnage Sarkozy, ou de son profit immédiat ou à moyen ou long terme, tout se discute. Certains penseront que les entrepreneurs vont forcément embaucher, un autre peut estimer qu’ils ne feront que le moins possible de créations d’emploi (l’économie virtuelle le permet) ou importeront de la main d’œuvre étrangère, externaliseront à l’étranger l’essentiel de la production.
Le carcan des banques
François Hollande a présumé qu’il ferait instaurer « une rémunération du Livret A supérieure à l’inflation » dont la modulation tiendrait compte « de l’évolution de la croissance ». Deux décisions qui ne lui appartiennent pas car elles dépendent aussi du Parlement et des fluctuations d’un PIB, étalon ô combien trompeur (car il ne tient compte que de termes monétaires et financiers, et non de la qualité de la dite croissance, de ce qui est vraiment produit de durable et porteur de bien-être). Mais, glissons : pour l’électorat de Nicolas Sarkozy, c’est sûr, cette promesse ne sera jamais tenue et certains assurent même que cela conduirait à une catastrophe. Pour qui donc ? La majorité d’entre elles et eux ? On peut très fort en douter. Tandis que, bien sûr, Nicolas Sarkozy offrira 840 euros nets annuels aux smicards et un peu moins à qui, salarié, gagne moins de 1 400 € mensuellement. Là, ce n’est pas démagogique et indolore, forcément, y compris pour les très petits entrepreneurs s’apprêtant à voter Nicolas Sarkozy. Allons donc…
En revanche, déjà, des collectivités locales et des entreprises de tailles intermédiaires (ETI) ont commencé, faute de pouvoir obtenir du crédit, à lancer des obligations, via des fonds dédiés dont le fonds de placement dit Micado France 2018 (placement sur six ans, donc). Petit ennui, comme toujours ces émissions passeront par les banques, seront « chargées » de commissions, frais de dossiers divers, &c. Cela tient à la densité du réseau bancaire et surtout au fait qu’il n’est plus possible pour le Trésor public ou des organismes non financiers de collecter l’épargne.
Tout a été fait pour que, à l’inverse du Japon dont l’État se finance auprès des Japonais, tout juste un tiers de la dette souveraine française soit détenue par des résidents français. Lesquels ? Les plus aisés qui diversifient aussi leurs placements sur les marchés mondiaux. Soit des investisseurs très volatils.
D’où l’idée de François Hollande d’en appeler à l’épargne populaire en proposant des taux qui ne soient guère supérieurs à ceux des marchés. Car, chez les socialistes comme à droite, dans l’appareil d’État, on se souvient de l’emprunt Giscard qui s’était révélé fort coûteux pour les finances publiques à l’usage et avait surtout bénéficié aux plus gros épargnants.
Notez que Nicolas Sarkozy qui avait fait souscrire le dit Grand emprunt d’avenir uniquement sur les marchés mondiaux, n’est plus tout à fait hostile, selon ses déclarations, à de telles mesures, de même que, à la remorque des candidats de gauche dominants (donc de Mélenchon aussi), il ne serait plus tout à fait opposé à ce que la Banque centrale européenne prête directement aux États.
C’est ce qui se produits aux États-Unis et au Royaume uni et Hollande, narquois, de relever que « le candidat sortant » a fait semblant, à la vieille du scrutin, de le découvrir. Là, au moins, de voraces intermédiaires sont écartés du circuit. Plus controversée est la suggestion de faire baisser encore les taux d’intérêts de la BCE, comme le font la Fed ou la Bank of England qui vont jusqu’à consentir des prêts encore plus négatifs (à 1 %, la BCE prête déjà aux banques européennes à un taux bien en-deçà de l’inflation, Fed et BoE font encore plus faiblement rémunérateur).
Quelle consommation ?
Mélenchon (ou Cheminade, bien sûr, d’autres) est de longue date favorable à un financement des États par la BCE mais ne se prononce guère sur les taux directeurs très bas. Ils sont particulièrement dangereux pour les épargnants et les consommateurs qui doivent différer des achats et avoir recours au crédit pour des achats importants (véhicules, ameublement, immobilier).
Voilà des années que la BoE fixe son taux, répercuté par les banques rémunérant l’épargne des particuliers, à 0,5 %. Cela a divers effets pervers, notamment celui que les plus gros investisseurs se portent vers la spéculation sur le pétrole et les matières premières. Les retraités, les inactifs (et chômeurs) dont les pensions sont faibles mais compensent par le produit de leur épargne sont d’année en année appauvris tandis que les emprunteurs particuliers voient en revanche la possibilité de consentir des avances en fonds propres diminuer tandis que rien n’oblige les banques et les établissements financiers de répercuter intégralement les bénéfices de l’argent très faiblement rémunéré via une baisse des taux d’emprunts qu’ils consentent. Cela ne conduit le plus souvent qu’à l’amélioration de leurs marges.
Dans un premier temps, les banques baissent les taux des emprunts, pour attirer de nouveaux emprunteurs, puis, dans un second, les remontent (
Des taux bas de rémunération de l’épargne favorisent aussi l’inflation. Les exportateurs en profitent du fait que la monnaie nationale (livre, dollar, euro) devient moins attractive face à d’autres devises. Mais avec une épargne moins rémunérée et des prix intérieurs gonflés, les consommateurs restreignent leurs achats, y compris de base. Cela étant, les bénéfices et inconvénients de cette mesure pour l’économie globale sont très controversés. C’est plus une question de credo que de certitudes.
Quelle production ?
La baisse des taux vise à inciter les banques à favoriser un financement plus accessible pour les entrepreneurs. Oui, mais lesquels ? Un importateur de gadgets qui consacrera l’essentiel du prêt à soutenir son produit par la publicité ? Un créateur de « services » dispensables ?
Toutes ces questions passent plutôt au-dessus de la tête de la majorité de l’électorat qui n’a écouté Èva Joly aborder l’orientation de la production que d’une très distraite oreille.
À défaut de voter rationnellement, les indécis de la dernière seconde ou presque, voire les convaincus les plus bornés, feraient bien de tenter d’examiner les programmes, et de voter aussi avec leur portefeuille, ou mieux (ou pire ?), selon leurs convictions humanistes ou foncièrement individualistes. Avec bien sûr le risque de se fourvoyer : le jeune n’envisageant pas d’avoir des enfants se moque bien du soutien aux crèches ou de l’éducation s’il a fini ses études, le retraité sans enfants ou celui dont les siens ont fort bien réussi ou totalement échoué dans leur ascension sociale développera une toute autre sensibilité qu’un autre. Les convictions évoluent en fonction des situations. Bah, ce n’est que pour cinq ans… pensera-t-on. En général, non. Qu’on pense que les 35 heures aient été une fort bonne ou une fort mauvaise chose (pour soi ou pour l’économie en général, et ses avantages ou inconvénients ont été fort divers selon les types d’entreprises) n’ont pas été abolies en 2007 et qu’il n’est pas sûr qu’un nouveau mandat de Nicolas Sarkozy conduise à les vider entièrement de leur substance : une partie du Medef s’y opposerait sans doute…
Ce n’est pas prendre parti pour l’une ou l’autre des candidatures que de relever ces faits (je l’ai plus ou moins nettement fait auparavant, sans prôner sans restriction telle ou tel, tant tout programme présente des lacunes ou de bonnes idées dont les effets pervers sont négligés). Toute élection comporte une part de pari. Ce qui m’afflige une fois de plus, c’est de penser que des turfistes capables de soupeser soigneusement les qualités et défauts d’un cheval soient capables de voter pour l’une ou l’autre sur un coup de tête tels des joueurs débutants aux échecs poussant du pion. J’en viens à comprendre les hésitations paralysantes des abstentionnistes… Tout comme celles et ceux dont le vote aux présidentielles ne concordera pas forcément avec celui exprimé lors des législatives.
Mais quoi qu’il en soit, pour la plus large majorité, c’est en fonction de la politique monétaire, de la rémunération de l’épargne et des crédits, du rôle des établissements financiers et de la BCE, que, pour les cinq années à venir, le sort (chômage, embauche, augmentation ou régression salariale, niveau des retraites, possibilités de formation, &c.) se jouera. Difficile bien sûr de départager les promesses réalisables qui engagent et les autres, fallacieuses ou énoncées de manière à pouvoir ensuite les travestir. Très ardu aussi de prévoir une majorité présidentielle suffisante ou une cohabitation. Mais au moins, au risque de se fourvoyer, optons… Et si ce n’est en toute connaissance de cause, tentons au moins de parier de manière suffisamment informée pour s’épargner les plus fortes désillusions.