Depuis quelques années, les salariés des petits, moyens, grands et « gigantesquissimes » groupes ont des objectifs professionnels à remplir, objectifs déterminés par leur N+1.
Autrement dit par ce que le salarié nomme plus communément : le CHEF.
Ces objectifs sont établis pour l’année à venir et au bout d’une année de dur labeur « objectivé », un bilan est dressé par le CHEF en présence du sbire concerné.
Autrefois, et je vais encore passer pour une ringarde, dans le genre : « elle croit que c’était mieux avant », et bien non et toc, ce n’était pas mieux avant, c’était différent et chaque époque a ses travers et ses points positifs. Non mais alors !
Avant donc, les missions à accomplir étaient distribuées au fil de l’eau, au fil des affaires qui rentraient ou pas, au fil des décisions prises ou pas, selon les compétences et les appétences de chacun, selon qu’on plaisait plus ou moins au CHEF, qu’on était bon, moyen ou mauvais élève, de bonne, de mauvaise ou sans complaisance …
Je ne dis pas que c’était idéal, la détermination des objectifs professionnels ayant le mérite d’organiser le travail des salariés – pour les salariés bordéliques dans leur tête, croyez-moi, ce n’est pas du luxe -, de définir ses missions, clairement si possible – merci CHEF ! – et permet au salarié de savoir où il va dès fois qu’il s’égarerait sur des chemins de traverse ou serait trop créatif/imaginatif dans son job et à quoi il sert.
Ceci dit, être créatif dans l’entreprise, de nos jours, est une mission dangereuse et impossible, l’entreprise n’appréciant globalement guère les poils qui dépassent. Frustration ! Frustration !
Même le grouillot de service qui change les néons et resserre le boulon de la chiotte qui fui a des objectifs. Et seulement si bien sûr, ses tâches ne sont pas externalisées à une entreprise de maintenance, zut, il faut dire de « facility management ». C’est plus classe et ça sonne plus important.
Et le grouillot de se dire : « le con, m’a mis 7,38 néons à changer tous les mois, comment j’vais faire si l’néon tombe pas en panne, suis foutu ». Et le grouillot de bénir l’obsolescence programmée !
Oyez oyez, braves gens, soyez-en convaincus, les objectifs sont une affaire très sérieuse et de la plus haute importance car, du bon accomplissement de ceux-ci dépendent augmentation de salaire et par-dessus tout, ce que tout le monde attend avec fébrilité, impatience et anxiété maximale, source d’insomnies et de suées diurnes : la part variable.
La part variable, qui peut représenter de 1 à 4 mois de salaire, à la louche et selon les groupes, est, comme son nom l’indique, et au cas où vous n’auriez rien pigé, variable.
Elle n’est premièrement, pas acquise, le chef n’ayant aucune obligation d’en verser une systématiquement tous les ans et bien que, ne rien verser semble difficile, sauf si le salarié est d’une nullité crasse et deuxièmement, elle n’est pas automatiquement du même montant tous les ans selon que vous vous êtes bien épuisé au taf et que vous avez bien participé à toutes les réunions et, participé dans toutes les sens du terme : en présence et en intervention active – vous ne croyez pas que vous alliez vous en sortir « finger in the nose » comme cela ?
Les bienheureuses de mon acabit qui s’assoupissent en union avec d’autres bienheureux en réunions, peuvent renoncer d’emblée à une part variable d’un gros montant. Capito ?
Quant à l’augmentation de salaire, elle se raréfie comme l’oxygène depuis qu’il fait beau, en région parisienne archi-polluée, et, si je compare à ce qu’il était possible d’obtenir il y a 30 ans : 10%, 15% parfois même, soyons fous, 20%. Epoque adulée s’il en fût !
Dans bien des groupes, les salariés perçoivent grassement de 2% à 4% d’augmentation tous les 4 ans environ. Pas de quoi financer ses prochaines vacances dans la constellation d’Orion !
Le salarié de base, l’employé, le grouillot de service, le ch’tio cadre, le cadre moyen et le cadre sup., le prochainement feu agent de maîtrise – en voie de disparition dans les groupes, amen ! -, l’assimilé cadre, le cadre dirigeant, le directeur, le vice-président exécutif ou pas exécutif , le responsable, le chargé de mission – ah c’est un concept à part entière le chargé de mission – le chef, le manager – et j’en passe des niveaux hiérarchiques à la mort moi le nœud auxquels plus personne ne comprend rien, et dans lesquels tout le monde s’emmêle les chaussettes, ont, toutefois, grandement intérêt à remercier avec conviction et béatitude le CHEF pour la part variable reçue et l’éventuelle augmentation de salaire faute de quoi, l’année suivante il peut dire « adios » à toute récompense financière !
Vous rétorquerez, à juste titre, que c’est la moindre des politesses de remercier.
Je vous l’accorde, je suis bien élevée, que croyez-vous ?
Mais bien souvent, le CHEF appuie à fond sur : « regardez ce que j’ai obtenu pour vous » alors que vous ruminez dans votre cervelle que : « c’est la moindre des choses, cela ne compense en rien le nombre d’heures de ouf effectuées dans cette vénérable entreprise, ni les responsabilités endossées et encore moins le stress, la pression, les emmerdes et tutti quanti ».
Votre chroniqueuse, cadre modeste, mais cadre tout de même, d’un groupe du CAC40, a, tous les ans, sensiblement les mêmes objectifs, son N+1 ne faisant preuve d’aucune fantaisie.
Je ne me plains guère car mes objectifs, sans une mèche de traviole, sont réalistes et donc réalisables ce qui n’est pas le cas de tout le monde, loin s’en faut.
Ainsi en va-t-il d’objectifs trop nombreux, la liste, longue comme l’A6, contraindra le pauvre salarié à consacrer nuits et week-end à les réaliser et plus aucune vie privée et personnelle ne sera possible. Divorce garanti !
Et que dire des responsabilités « objectivaires » et ENORMES dévolues au malchanceux salarié parce que le CHEF se défausse des siennes.
Et sans parler des objectifs irréalistes et donc irréalisables, par exemple, pour tous les salariés qui font du commerce avec X millions à gagner en affaires et alors que la crise est telle que plus personne n’engage aucune dépense. Si le CHEF est juste, il reverra à la baisse les objectifs irréalistes et comprendra bien que la crise explique l’absence d’affaires gagnées, sinon, va voir ailleurs mec si t’es pas content !
Pour conclure, je pose la question qui fâcherait bien des N+1 : pourquoi les salariés ne pourraient-ils pas, eux aussi, « objectiver » leur N+1 ou tout du moins, le noter comme ils le sont eux-mêmes, avec appréciation, bilan et patati et patata.
Rigolerait bien qui rigolerait le dernier !