« Le compte d’auteur est une arnaque » : voilà un jugement définitif que l’on entend bien souvent. Mais qu’en est-il exactement ?

            Par ce procédé, l’auteur verse une rémunération à l’éditeur, qui joue le rôle d’un prestataire de service, et devant assurer la publication et surtout la diffusion de l’ouvrage. Et cette pratique est une réalité ancienne dans notre pays ; l’éditeur Bernard Grasset y a eu recours  à l’aube de sa carrière, il a notamment fait payer à Marcel Proust la fabrication de son livre Du côté de chez Swann (1913). Mais c’est seulement avec la loi du 11 mars 1957 sur la propriété littéraire et artistique que le compte d’auteur va bénéficier d’une définition légale (article 49 de ladite loi, repris dans l’article L. 132-2 du Code de la propriété intellectuelle du 1er juillet 1992). Si le compte d’auteur est un procédé légal, encore faut-il expliquer son impopularité en France, et sa fréquente assimilation à une escroquerie.

En fait, les méthodes de certaines firmes ont beaucoup contribué à cette mauvaise réputation – et en particulier La Pensée Universelle, fondée en 1970 par Alain Moreau. Sans en informer les auteurs, cette société évaluait à la hausse les coûts de fabrication des ouvrages (multipliés par deux ou par trois). Les services qu’elle proposait étaient parfaitement inefficaces, tant sur le plan de la publicité – presse, radio, télévision – que sur le plan de la diffusion (fantomatique). Le plus grave est que, malgré la référence à un prétendu comité de lecture, il n’y avait aucune sélection des manuscrits, ce qui entraînait la publication d’ouvrages impubliables, sur la forme (coquilles, fautes d’orthographe, etc.) comme sur le fond (livres passibles de poursuites judiciaires). Mais si La Pensée Universelle est en sommeil (la marque a été reprise en 2007 par le groupe ICS mais aucun livre ne semble avoir été publié depuis 2005), d’autres sociétés sont de nos jours accusées d’utiliser des méthodes similaires.

 

            De prime abord, La Société des Ecrivains (fondée en 1997) ne saurait être considérée comme un ersatz de l’ancienne firme d’Alain Moreau ; elle prend à sa charge le coût du tirage de lancement des ouvrages (en impression numérique), et ne fait payer à l’auteur que la réalisation de la maquette, en trois tiers (au moment de la signature du contrat, à la remise du bon à tirer, et à la remise de 25 exemplaires à l’auteur). Bien entendu, elle met également à la disposition de ses auteurs « une logistique de distribution et de diffusion », pour « assurer ainsi une diffusion aussi large que possible de leur œuvre ».

            Mais le cas de Pierre Rambla, qui a  publié Le Cirque rouge début 2008, un livre sur l’affaire Ranucci – du nom du meurtrier de sa fille Marie Dolorès – amène à s’interroger sur cet éditeur. Premier élément troublant : c’est seulement huit jours après l’envoi du texte qu’Henri Michel (le journaliste qui a épaulé Pierre Rambla dans la rédaction de son travail) reçoit une réponse. Non pas une lettre d’acceptation ou de refus du manuscrit, mais un « contrat pour la réalisation, la distribution et la publication d’œuvres littéraires ». On peut se demander comment La Société des Ecrivains a pu examiner le texte dans un délai aussi court – si examen il y a eu.

            D’après l’article 8.2 de ce contrat, Pierre Rambla doit verser 3 600 euros pour la maquette de son livre (évalué à 300 pages) ; somme finalement ramenée à 3 000 euros. Or, renseignement pris, la réalisation de la maquette devrait revenir beaucoup moins cher ; « 3 000 euros, c’est 35 % de trop » nous indique un imprimeur parisien. En clair, cette somme sert probablement à financer la totalité du tirage de lancement, et pas uniquement la maquette de l’ouvrage. L’auteur paierait donc  intégralement la fabrication de son livre sans le savoir, et selon l’article 7.5 du contrat, il ne touche que 20 % sur chaque exemplaire vendu !

            Enfin, il a été convenu contractuellement (article 6) que Pierre Rambla verse le dernier tiers de sa rémunération après avoir reçu les 25 exemplaires qui lui sont destinés. N’en ayant reçu que deux, l’auteur refuse de verser cette somme tant qu’il n’aura pas reçu les 23 autres volumes. La Société des Ecrivains réplique en réclamant – au mépris de ses obligations contractuelles – le versement du solde du compte avant d’envoyer les exemplaires restants, et finit par retirer Le Cirque rouge de la vente. Résultat : Pierre Rambla « a été dans l’impossibilité de présenter son livre à diverses manifestations » et « subit un préjudice important quant à la diffusion de son ouvrage », comme le souligne son avocate Me Sandrine Venzoni dans sa mise en demeure à l’éditeur, afin qu’il envoie les exemplaires contractuellement prévus à l’auteur. Finalement, celui-ci n’ayant toujours pas reçu lesdits exemplaires, il décide de porter plainte contre la firme.

 

            La Société des Ecrivains n’est certes pas la seule à proposer ce type de contrat très onéreux – dit « à participation maquette » ; à titre d’exemple, l’écrivain Frédéric Candian a du verser 2 260 euros pour la publication de son polar (Justice) aux éditions Bénévent (basées à Nice). Heureusement, d’autres firmes proposent des tarifs plus raisonnables : pour ses deux romans fantastiques Le sceau de Succubatch et Deux âmes dans l’antre des fous parus chez Publibook, ce même auteur a respectivement payé 1 250 francs (un peu moins de 200 euros) et 203 euros. En fait, ces sommes sont destinées à la mise en forme des ouvrages, après quoi Publibook fabrique les exemplaires en fonction des commandes reçues ; les livres sont également proposés au lectorat sous forme de fichiers PDF.

            Ceci dit, quelle que soit la société, nombre d’auteurs sont confrontés au même souci : la diffusion de leurs œuvres. En clair, ils sont souvent obligés de payer de leur personne. Nous avons contacté Publibook pour en savoir plus sur la diffusion des livres ; réponse : « Nous ne répondons pas aux enquêtes par téléphone. ». Auteur de sept ouvrages parus chez cette firme, Robert Hautlecoeur est bien plus précis. Selon lui, tout en informant l’auteur qu’il n’assurera pas la diffusion de son livre, Publibook propose des documents de publicité sur les lieux de vente (affichette, cartons de présentation) moyennant finances modérées, du rédactionnel sur leur site, des offres de participations à des salons d’écrivains, et  les services d’un attaché de presse. Ceci dit, cet auteur ne cache pas que cette firme n’est « pas très efficace au niveau marketing » ; si il a pu vendre des exemplaires de son essai Bon appétit Messieurs ! La grande prédation économique en France (2005), c’est semble t-il grâce à lui et à ses contacts (il a été plusieurs fois invité sur Radio Courtoisie). De son côté, Frédéric Candian explique que « les auteurs “Publibook” se sont fédérés à une époque pour “ booster” la promo de leurs livres » ; mais selon lui, « l’initiative n’a pas duré » et « le forum réservé aux auteurs sur le site publibook.com a été tout simplement supprimé ». Bien plus grave : certains auteurs – tel Frédéric Candian pour son roman Justice paru, rappelons-le, chez Bénévent – ne sont même pas informés du montant du tirage de leur livre, voire du nombre d’exemplaires vendus par l’éditeur !

 

            On comprend mieux, dès lors, la mauvaise réputation du compte d’auteur en France. Et pourtant, il n’ y eut pas moins de 6 609 auteurs (dont 525 pour la seule année 1988) qui publièrent leurs œuvres à La Pensée Universelle entre 1970 et 1990, date de la démission de son fondateur. Plus récemment, on constate que pour la seule année 2007, 533 auteurs ont été publiés à La Société des Ecrivains, dont 14 qui y ont publié deux livres, et un autre en ayant publié trois, soit un total de 549 titres.

            En fait, si le compte d’auteur connaît un tel succès malgré son impopularité, c’est parce qu’il comble un vide. La sélection des manuscrits dans l’édition traditionnelle est pour le moins sévère : Le Seuil ne publie que 150 nouveaux auteurs pour 4 000 manuscrits reçus en un an, Gallimard en reçoit 7 250 par an, et ne publie que 155 nouveaux auteurs. Evidemment, cette politique contribue à grossir les rangs de ceux qui ont recours au compte d’auteur. S’ajoute à cela la méconnaissance, voire l’ignorance des us et coutumes du système éditorial français – « je ne connaissais rien au milieu de l’édition » explique Frédéric Candian – voire de la pratique du compte d’auteur. En outre, nous trouvons chez nombre de ces aspirants écrivains l’aspiration, coûte que coûte, à voir leur oeuvre exister sous forme de livre. Mais il y a aussi la volonté de se faire plaisir, le plaisir de voir son livre imprimé, et c’est un plaisir que l’auteur entend faire partager à sa famille, à ses amis ; Robert Hautlecoeur reconnaît que « c’est pour sa descendance, ses amis et relations » qu’il a publié certains de ses ouvrages chez Publibook. Enfin, il ne faut pas oublier que le livre permet de véhiculer un message. Par exemple, les autobiographies et les recueils de poésie sont pour leurs auteurs l’occasion de transmettre une émotion, les auteurs d’essais entendent de leur coté transmettre un savoir, des connaissances. D’ailleurs, la volonté de communication est inhérente à la volonté de publication. Comme le dit la sociologue Nathalie Heinich : « écrire pour publier, c’est écrire pour les autres ». Or, à partir du moment où nous écrivons pour les autres, c’est que nous pensons avoir des choses à leur dire, à leur transmettre, à leur apprendre. Ce désir de communiquer est sans doute plus fort encore chez ceux qui se font publier à compte d’auteur puisqu’ils sont prêts à financer la fabrication de leur ouvrage.

 

            Selon Roger Gaillard, qui anime l’Observatoire indépendant de l’édition, on peut estimer à 171 le nombre d’éditeurs francophones pratiquant, peu ou prou, le compte d’auteur. Internet peut-il signifier le déclin, ou la disparition de ce procédé ? Sans doute non. Les sociétés spécialisées sont tout à fait conscientes du rôle capital du Web pour attirer vers elles de nouveaux auteurs. Et pour nombre d’écrivains en herbe, la mise en ligne de leurs textes n’a sans doute guère plus de signification que s’ils étaient restés à l’état de manuscrit. A leurs yeux, le seul moyen d’obtenir le statut d’écrivain c’est l’édition et la diffusion de leurs écrits sous une forme concrète, et donc sous la forme d’un ouvrage, broché ou relié. En conclusion, on peut prédire que le compte d’auteur a encore de beaux jours devant lui.