Bientôt, "Misr Om al dounia", "Egypte, Mère du monde" ce qu’aime à dire l’Egyptien démuni, brandissant son passé comme pour dissimuler le sentiment d’humiliation qui lui est infligé par la classe dirigeante, pourra recouvrer sa dignité ! Jusqu’à aujourd’hui, pour noyer ses frustrations à la version égyptienne, il s’en allait puiser l’évasion du présent de misère dans le narguilé, comme dans les fabuleuses chansons de Oum Koulssoum, de Abdel Halim, de tant d’autres. Bien précaire bouée de survie…

 Mais comme un vent d’espoir est venu de Tunisie pour insuffler l’énergie nécessaire à ce peuple qui croule sous le poids d’une dictature assassine maîtresse en l’art d’annihiler toute contestation. Au cri de "pain, liberté, dignité", ont déferlé ces derniers jours, dans les rues du Caire, d’Alexandrie, de Suez, des milliers d’Egyptiens déterminés à faire chuter le régime à la tête duquel, sans vergogne règne depuis déjà trois décennies, le Raïs, Hosni Moubarak.

Bien qu’en surnombre les ferments de révolte, bien que sporadiques les contestations, dont la célèbre dans le quartier de Mahalla qui donna lieu à la grève de l’usine textile en 2006, et à laquelle succèderont d’autres en 2007, en 2008, telles des étincelles éparses qui jailliront puis peu à peu s’essouffleront, elles n’accoucheront que de syndicats autonomes, de mouvements contestataires embryonnaires, "les jeunes du 6 avril", "Kifaya".

Aujourd’hui, tel un catalyseur géant, la révolution tunisienne est venue extirper de leur fatalisme les Egyptiens qui, nombreux sont sortis de leur abri de fortune pour grossir les rangs des manifestants au bout du rouleau réclamant le départ immédiat d’un président devenu presque maître des lieux.

 Manifestations durant lesquelles était bannie toute forme de récupération politique. Comme un miracle en ce vendredi après la prière, faisant voler en mille éclats toutes les aliénations, toutes les peurs inhibitrices, aidant à braver avec courage, dignité les répressions de toutes natures, gaz lacrymogène, balles de caoutchouc…

Les slogans aussi ont évolué, surtout en ce quatrième jour d’insurrection, s’affranchissant de toute soumission  et clamant haut et fort en plus des revendications sociales, le départ de ce président et la dissolution de son parti. Désormais, ni l’armée, ni la police, ni le couvre-feu, ni les répressions ne pourront calmer l’Egypte qui toute entière s’est enfin mise à gronder, et à gronder fort !

 Toutes les précautions prises pour assoupir le peuple, de l’enseignement public délabré au carcan politique où cohabitent stérile liberté de presse et élections truquées, toutes ces précautions ne pourront endiguer cette gigantesque soif de liberté. Aussi, sans doute pour mieux consolider son ancrage, sa sécurité, le régime de Moubarak a laissé prospérer dans l’ombre le parti des frères musulmans, lequel parti s’emploie à pallier aux déficiences de l’Etat par le biais d’aides caritatives. Ainsi un épouvantail nous est brandi à tout bout de champ pour mieux maintenir le pays sous tutelle tout en bafouant allègrement les droits du peuple. Attention danger, l’islamisme guette, étouffons les populations ! 

 Une révolte qui n’en est qu’à ses balbutiements et qu’on s’efforce à étouffer par brouillage de réseaux sociaux sur internet, par brouillage des lignes téléphoniques, par répression, par intervention de l’armée, par assignation à résidence (Mohammad Al Baraday), par couvre feu, par déploiement de chars…

Lâcher du lest suffira-t-il pour les réendormir ou iront-ils jusqu’au bout de leur colère pour recouvrer la dignité qui leur sied ? Cèderont-ils aux injonctions en se contentant de quelques piètres améliorations sociales qui seront probablement proposées par Hosni Moubarak dans son discours tant attendu ? Braderont-t-ils toutes leurs revendications démocratiques seules aptes à donner voix au chapitre à tous les partis sans exclusion, seules susceptibles de briser le carcan dans lequel ils étouffent ? L’exclusion semble ne mener que vers des catastrophes tout en renforçant l’exclu.

N’est-on pas dans l’extrémisme à trop s’imaginer que là-bas dans ce monde arabe, la politique ne peut se décliner que sous deux aspects : islamisme ou pseudo-démocratie avilissante ?

 Pour le moment, un délicieux parfum de jasmin embaume la si somptueuse Egypte et le vent d’espoir semble souffler ce soir par bourrasques laissant croire qu’ils iront jusqu’au bout du bout de leur combat !

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