«Oui, dernièrement il y a une évolution d’Internet en Tunisie. Vers le serrage de vis.» Le jugement de la journaliste indépendante Sihem Bensedrine est lapidaire. Mais l’infatigable opposante au régime de Ben Ali ne se fait pas prier pour expliquer les problèmes rencontrés par les internautes tunisiens. Et la liste est longue: «Régulièrement, les militants et les journalistes voient leur connexion coupée et quand on fait une réclamation, les opérateurs nous assurent que tout est normal. Ensuite, certains mails n’arrivent tout simplement pas (Avant de la joindre par téléphone, Liberation.fr lui avait envoyé un courrier électronique qu’elle assure n’avoir jamais reçu, ndlr). Et depuis une semaine, on voit arriver certains courriers dans notre boîte de réception mais impossible de les ouvrir, d’y répondre. Ils disparaissent complètement, ils ne se retrouvent ni dans la corbeille ni dans les spams. C’est vraiment très performant.»
L’ancien magistrat Mokhtar Yahiaoui, suspendu de ses fonctions pour avoir dénoncé dans une lettre ouverte en 2001 le manque d’indépendance de la justice, est lui aussi victime de rutpures de connexion et de la prise de contrôle inopinée de sa boîte mail. «Je sais que des gens ont accès à mon courrier électronique. De nombreux sites, et même des fils RSS, sont censurés en Tunisie. J’ai parfois l’impression d’être coupé de l’actualité.».
«Il ne sera répondu à aucune question concernant l’arrêt définitif du site»
Car bien sûr nombre de sites indépendants ont été interdits. C’est le cas du populaire mag Tunezine, uniquement disponible désormais par mailing-list (quand elle arrive…) et qui précise sur sa page d’accueil qu’«il ne sera répondu à aucune question concernant l’arrêt définitif de fonctionnement du site». Ambiance. Interdit aussi, YouTube. Et de temps à autre – quand ils évoquent le cas tunisien – les sites des journaux étrangers, dont celui de Libération en février 2007.
La responsable du bureau Maghreb de Reporters sans frontières Hajar Smouni explique que la censure est parfois plus discrète. «L’an passé, j’ai essayé de me connecter depuis la Tunisie sur le site d’Human Rights Watch, la connexion avait l’air possible, le haut de la page s’affichait… mais c’est tout. Parfois les délais de chargement sont si longs que l’internaute abandonne.» Evidemment, le site de RSF qui a déclaré le régime tunisien «ennemi d’Internet», n’est pas accessible dans le pays.
Dans les cybercafés, les restrictions sont légion
Pourtant la pénétration d’Internet progresse en Tunisie. Selon les chiffres officiels de l’Agence tunisienne d’Internet, il y avait 1.765.430 utilisateurs du web en mars 2008 pour 6.029 sites et 105.855 abonnés au haut débit. Sihem Bensedrine confirme que les jeunes «prennent d’assaut les cybercafés», qu’on appelle en Tunisie des publinets. Mais là encore, les restrictions sont légion. Impossible d’utiliser des disquettes ou des Cd-roms. Impossible de vider sa corbeille ou aussi d’effacer l’historique des sites visités. . Les téléchargements et l’emploi de clés USB se font sous le contrôle des responsables du lieu. «Et tous ces renseignements sont ensuite envoyés à ces messieurs du contrôle», assure Sihem Bensedrine. «Sur les murs des publinets, il est écrit que les sites pornographiques sont interdits mais en Tunisie, la pornographie a apparemment un sens très étendu» conclut-elle.
Mais ce n’est rien comparé aux militants ou simple anonymes emprisonnés. L’avocat Mohammed Abbou est ainsi resté sous les verrous plus de deux ans et demi pour avoir écrit sur Internet que les tortures infligées à des prisonniers politiques en Tunisie étaient comparables aux exactions de soldats américains à Abou Ghraib en Irak. Ramzi Bettibi a lui été condamné à quatre ans de prison pour avoir copié un article appelant à l’organisation d’attentats terroristes à l’occasion de la visite d’Ariel Sharon en 2005.
Les «internautes des Zarzis» libérés, pas le Web
Mais le cas le plus célèbre de «prisonniers du net» est celui de huit jeunes gens et d’un professeur de la ville des Zarzis. Soupçonnés de liens avec Al-Qaïda, ils avaient été condamnés en 2004 à des peines très lourdes (près de 20 ans de réclusion pour la plupart d’entre eux) pour avoir prétendument préparé des attentats islamistes. Pour la militante des droits de l’homme Luiza Toscane qui a suivi l’affaire de près, «il s’agissait de préparer le terrain pour la loi antiterroriste qui allait entrer en vigueur.» «Preuve» de la nécessité de cette nouvelle législation, «alors que le ciel était tout bleu en Tunisie, 1.500 personnes ont été arrêtées depuis pour « terrorisme ».»
Aujourd’hui les «internautes des Zarzis» sont libres mais Internet reste verrouillé, piraté, instrumentalisé. Si, pour reprendre les mots de Nicolas Sarkozy, «l’espace des libertés progresse» en Tunisie, ce n’est certainement pas l’espace virtuel.
«Oui, dernièrement il y a une évolution d’Internet en Tunisie. Vers le serrage de vis.» Le jugement de la journaliste indépendante Sihem Bensedrine est lapidaire. Mais l’infatigable opposante au régime de Ben Ali ne se fait pas prier pour expliquer les problèmes rencontrés par les internautes tunisiens. Et la liste est longue: «Régulièrement, les militants et les journalistes voient leur connexion coupée et quand on fait une réclamation, les opérateurs nous assurent que tout est normal. Ensuite, certains mails n’arrivent tout simplement pas (Avant de la joindre par téléphone, Liberation.fr lui avait envoyé un courrier électronique qu’elle assure n’avoir jamais reçu, ndlr). Et depuis une semaine, on voit arriver certains courriers dans notre boîte de réception mais impossible de les ouvrir, d’y répondre. Ils disparaissent complètement, ils ne se retrouvent ni dans la corbeille ni dans les spams. C’est vraiment très performant.»
L’ancien magistrat Mokhtar Yahiaoui, suspendu de ses fonctions pour avoir dénoncé dans une lettre ouverte en 2001 le manque d’indépendance de la justice, est lui aussi victime de rutpures de connexion et de la prise de contrôle inopinée de sa boîte mail. «Je sais que des gens ont accès à mon courrier électronique. De nombreux sites, et même des fils RSS, sont censurés en Tunisie. J’ai parfois l’impression d’être coupé de l’actualité.».
«Il ne sera répondu à aucune question concernant l’arrêt définitif du site»
Car bien sûr nombre de sites indépendants ont été interdits. C’est le cas du populaire mag Tunezine, uniquement disponible désormais par mailing-list (quand elle arrive…) et qui précise sur sa page d’accueil qu’«il ne sera répondu à aucune question concernant l’arrêt définitif de fonctionnement du site». Ambiance. Interdit aussi, YouTube. Et de temps à autre – quand ils évoquent le cas tunisien – les sites des journaux étrangers, dont celui de Libération en février 2007.
La responsable du bureau Maghreb de Reporters sans frontières Hajar Smouni explique que la censure est parfois plus discrète. «L’an passé, j’ai essayé de me connecter depuis la Tunisie sur le site d’Human Rights Watch, la connexion avait l’air possible, le haut de la page s’affichait… mais c’est tout. Parfois les délais de chargement sont si longs que l’internaute abandonne.» Evidemment, le site de RSF qui a déclaré le régime tunisien «ennemi d’Internet», n’est pas accessible dans le pays.
Dans les cybercafés, les restrictions sont légion
Pourtant la pénétration d’Internet progresse en Tunisie. Selon les chiffres officiels de l’Agence tunisienne d’Internet, il y avait 1.765.430 utilisateurs du web en mars 2008 pour 6.029 sites et 105.855 abonnés au haut débit. Sihem Bensedrine confirme que les jeunes «prennent d’assaut les cybercafés», qu’on appelle en Tunisie des publinets. Mais là encore, les restrictions sont légion. Impossible d’utiliser des disquettes ou des Cd-roms. Impossible de vider sa corbeille ou aussi d’effacer l’historique des sites visités. . Les téléchargements et l’emploi de clés USB se font sous le contrôle des responsables du lieu. «Et tous ces renseignements sont ensuite envoyés à ces messieurs du contrôle», assure Sihem Bensedrine. «Sur les murs des publinets, il est écrit que les sites pornographiques sont interdits mais en Tunisie, la pornographie a apparemment un sens très étendu» conclut-elle.
Mais ce n’est rien comparé aux militants ou simple anonymes emprisonnés. L’avocat Mohammed Abbou est ainsi resté sous les verrous plus de deux ans et demi pour avoir écrit sur Internet que les tortures infligées à des prisonniers politiques en Tunisie étaient comparables aux exactions de soldats américains à Abou Ghraib en Irak. Ramzi Bettibi a lui été condamné à quatre ans de prison pour avoir copié un article appelant à l’organisation d’attentats terroristes à l’occasion de la visite d’Ariel Sharon en 2005.
Les «internautes des Zarzis» libérés, pas le Web
Mais le cas le plus célèbre de «prisonniers du net» est celui de huit jeunes gens et d’un professeur de la ville des Zarzis. Soupçonnés de liens avec Al-Qaïda, ils avaient été condamnés en 2004 à des peines très lourdes (près de 20 ans de réclusion pour la plupart d’entre eux) pour avoir prétendument préparé des attentats islamistes. Pour la militante des droits de l’homme Luiza Toscane qui a suivi l’affaire de près, «il s’agissait de préparer le terrain pour la loi antiterroriste qui allait entrer en vigueur.» «Preuve» de la nécessité de cette nouvelle législation, «alors que le ciel était tout bleu en Tunisie, 1.500 personnes ont été arrêtées depuis pour « terrorisme ».»
Aujourd’hui les «internautes des Zarzis» sont libres mais Internet reste verrouillé, piraté, instrumentalisé. Si, pour reprendre les mots de Nicolas Sarkozy, «l’espace des libertés progresse» en Tunisie, ce n’est certainement pas l’espace virtuel.
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