Quoi donc, la reine Margot n’aurait eu guère plus d’une dizaine d’amants ? Je n’ai pas voulu, selon le mot de Marie d’Agout à propos des salons « passer pour un homme d’esprit auprès de femmes qui en ont » en ajoutant « ensemble ou à la suite ? ». Nous étions à une conférence d’Éliane Viennot pour une Rencontre de l’Institut Émilie du Châtelet. Elle l’a animée avec le brio qu’on prêtait à une Madame de La Fayette en le sien. Évoquant tour à tour Marguerite de France, la loi salique, les pouvoirs d’antan, de naguère et actuels, le sort fait aux (post-)doctorantes par la « clergie » d’à présent, ses souvenirs de 1968, Éliane Viennot s’est aussi interrogée à haute voix sur le sort – la réception – de sa seconde étude sur les conséquences de l’invention de la loi salique, Les Résistances de la société, xviie-xviiie siècles…
On reconnaît une résistante lorsqu’on en rencontre une, et il se trouve que, de surcroît, Éliane Vienot soit une coriace. En l’absence de sa présidente, Françoise Barret-Ducrocq, l’Institut Émilie du Châtelet la recevait, ce samedi 9 mai 2009, non pas en tant que sa vice-présidente, mais en qualité d’invitée de ses « Rencontres ». Celles-ci se tiennent régulièrement à l’auditorium de la Grande galerie du Jardin des plantes (face à la Grande mosquée de Paris). Agrégée et universitaire au parcours atypique, Éliane Viennot est aussi, grâce à l’apport de sa position de membre de l’Institut universitaire de France, éditrice. Elle anime en effet deux collections des Publications de l’université de Saint-Étienne, « La Cité des dames » et « L’École du genre ». Mais outre son soutien ou sa participation aux luttes féministes actuelles, et en faveur d’une université française plus sereine et moins soumise aux diktats des pouvoirs, elle poursuit sa démystification de la position des femmes vis-à-vis des pouvoirs (et donc, des femmes de pouvoir face à la domination masculine), éclairant le rôle de la « clergie » ayant procédé à l’invention de la loi salique. À l’heure où la haute fonction publique d’État resserre les rangs masculins en faisant régresser la part des femmes dans les postes de direction « qui comptent vraiment », il n’est pas inutile de revenir sur les travaux d’Éliane Viennot.
Un parcours d’obstacles
Bien des femmes « convenables » ont accédé aux plus hautes distinctions universitaires, et aux postes les plus en vue de la fonction d’État. Il se trouve que l’Observatoire de la parité du ministère du Travail, publiant les derniers chiffres (2008) pour la haute fonction publique des administrations centrale, laisse penser que les femmes sont moins représentées là où cela importe le plus qu’en 2006. Cela laisse songeur. Et tout à coup, écoutant Éliane Viennot considérer que, oui, « il y a régression de la place des femmes dans les plus hautes instances depuis plusieurs années », je me suis demandé si on n’irait pas un jour réserver à Alice Saunier-Séité († 2003, ministre des Universités sous le gouvernement Raymond Barre, ancienne recteure de l’université de Reims), et à Édith Cresson (Première ministre de la présidence de François Mitterrand), le sort qu’on fît à diverses dames des temps jadis et en particulier à Marguerite de Valois (dite la « reine Margot »). Eh oui, on colportait bien des choses sur les relations d’Alice Saunier-Séité avec ses escortes ou chauffeurs. Quant à Édith Cresson, missi dominici du candidat Mitterrand auprès des étudiants socialistes, on lui prête bien des ralliements de jeunes gens revenus – sur l’oreiller, supputait-on – à des réalités moins gauchisantes, attitude leur valant des promotions. Et d’ailleurs, si tant était que cela aurait pu être davantage peu que prou exagéré, pourquoi pas ? En quoi les méthodes des femmes politiques devraient-elles être plus prudes que celles de leurs homologues ? Éliane Viennot n’est pas entrée dans ce débat mais il semble bien que, pour son propre compte, elle a été bien peu « politique » pour finir par se faire une place – un peu à part, à l’Institut universitaire de France – dans l’univers académique.
Issue d’une famille provinciale modeste ayant pu profiter des Trente Glorieuses, Éliane Viennot découvre Simone de Beauvoir en classe de seconde d’un lycée de filles des années 1960. La voilà parisienne pour tenter khâgne en 1968 et bloquée par une unité de valeur de latin (sa matière faible), elle s’oriente cahin-caha vers une préparation au Capès. Oui, mais, de 1973 à 1975, on la retrouve au M.L.A.C. (Mouvement pour la libéralisation de l’avortement) et à Révolution !, mouvement politique ne cachant pas ses objectifs. De plus en plus impliquée dans des mouvements féministes, elle sera cofondatrice du salon-bar-librairie Carabosse. Ce n’est qu’en 1984 qu’elle reprend des études, obtient l’agrégation, et tente le parcours de la post-doctorante classée « genre » (études de genre). Parcours clouté de bosses, chausse-trapes, d’obstacles, de venelles, culs-de-sac, sacs de nœuds, qui la voit multiplier les publications et se faire éconduire jusqu’à trouver, en 1995, un premier poste à l’université de Corte, puis, petitement, un autre à celle de Saint-Étienne. Son accession à l’Institut universitaire de France, dont le jury est, lui, international, lui vaut du temps libre, des sommes qu’elle peut consacrer à ses collections d’ouvrages à publier, mais elle n’aura accédé à un premier poste de recherche qu’à la quarantaine bien dépassée. Mettons que cela forme le caractère, elle semble ne pas plus en manquer que de détermination.
Loi salique, loi sadique ?
Pour elle, l’invention de la loi salique deuxième – fallacieuse, fourbe – mouture, est le fait de la « clergie », soit exclusivement des jeunes gens, pris dès la préadolescence pour être formés à l’écart des tentations du mariage, ne fréquentant pratiquement que des prostituées avant d’intégrer un poste rémunérateur, et ne pouvant se marier que sur le tard en « épousant des jouvencelles de quinze-seize ans » – et de vingt leurs cadettes – qui n’allaient pas leur apporter la contradiction. Le trait est un peu rapide, caricatural, le coup de brosse un peu trop large, mais ce n’est pas faux. L’invention de la loi salique fut aussi le fait de gens ayant contribué à faire reculer l’accès de la maîtrise (artisan·e·s) et des corporations (commerçantes, autres…) aux femmes, à interdire l’accession aux offices publics (basoche en particulier), et multipliant les procès en sorcellerie et les bûchers.
La première et seule loi salique fonde le droit coutumier français. Elle prévoit que certaines terres et marches militaires (champs de manœuvres, zones frontalières), les terres saliques, ne pouvaient échoir par héritage aux femmes. Peut-être voulait-on éviter que leur mariage fasse passer ces terres stratégiques à d’éventuels futurs adversaires. Toujours est-il qu’il n’est nullement question d’accession au trône, de succession pour les plus hautes fonctions.
Le hasard fait que, après Emma, qui précéda Hugues Capet sur le trône de France, très peu de femmes accèdent au pouvoir. C’est une particularité franco-française dont la clergie de France se vante à l’étranger en l’attribuant à la loi salique. L’imposture fait que « partant d’une société quasiment matriarcale, le code salique oublié, on légitime rétrospectivement la pratique d’écarter des prétendantes légitimes aux trônes en donnant un formidable écho à une simple phrase d’un certain Jean de Montreuil ». Même si la société civile, voire les cours successives, résistent et contestent, dès l’invention de l’imprimerie, cette fiction devient la seule en cours et aux cours. Jean de Montreuil avait transformé terra (terrains) en regnum pour les Francs saliques et tous leurs successeurs. La fiction était trop belle, et la mariée devient indigne de régner. Les rois fondent leur légitimité sur des lois fondamentales les contraignant (notamment au profit de la clergie, de notables), les femmes ne sont pas écartées que des trônes, mais aussi de divers pouvoirs et fonctions ou postes d’influence. La domination masculine devient l’ordre naturel des choses, une immanence, et une loi sans vérité devient force irréfragable. « Plus tard, le travail des Lumières contribue à renforcer le tabou et à éclipser les femmes (…) on ne conserve de Rousseau que les aspects mysogines, » considère Éliane Viennot. Ceux qui contestent, comme d’Alembert, sont minoritaires, voire négligeables au point de renoncer à faire entendre leur voix, à baisser les bras.
Si la première partie de son étude sur les femmes et les pouvoirs sous l’Ancien Régime, soit L’Invention de la loi salique, a été bien accueilli par la communauté académique, la presse spécialisée, et au-delà, la seconde, Les Résistances de la société, semble vouée au sort de Jean le Rond d’Alembert : cause toujours de mathématiques !
On peut se demander pourquoi.
Stratégies de contournement
De même que les princesses et les femmes de la noblesse ont usé de « stratégies de contournement pour faire connaître les pouvoirs des femmes, les femmes illustres, sans remettre frontalement en cause la loi salique », on peut se demander si certains actuels pouvoirs n’usent pas de telles stratégies pour faire régresser l’accession des femmes aux pouvoirs, aux réels postes de décision. Mettre en avant des femmes aux gouvernements (Fillon I, II et bientôt III) est une chose. « La haute fonction publique, les postes de décision dans les universités sont les bastions masculins qui résistent le plus, » constate Éliane Viennot, ce qui est paradoxal puisque le nombre des doctorantes ou des femmes ayant poussé le plus loin des études supérieures ne cesse de croître et de renforcer la majorité numérique des femmes. Placer des femmes en position de succéder aux hommes dans les réelles fonctions régaliennes des grandes directions de la fonction publique, c’est autre chose. La falsification du passé, le relativisme, ont fort bien fonctionné avec l’invention de la loi salique. De même, à présent, d’autres falsifications, d’autres relativismes sont mis en œuvre. Jean de Montreuil, qui contribua peut-être à reléguer dans l’oubli des Christine de Pisan, est-il de nouveau à la manœuvre ? Jean de Neuilly, fils d’un premier lit de Nicolas Sarközy, saura-t-il écarter Louis, fils de Cécilia Ciganer-Albaniz ? Nous n’en sommes plus aux temps des « Rois Maudits » de feu Maurice Druon. Mais les nouveaux Alexandre Dumas – qui dépeignit Catherine de Médicis et Marguerite de Valois dans ses Reine Margot –de l’actuelle clergie savent fort bien mettre en avant l’élégance et l’entregent de la Première dame, encenser puis tourner en ridicule une Rachida Dati, sont certes tout aussi pernicieux et aux ordres.
Éliane Viennot avait découvert Beauvoir au lycée et la reine Margot avec le troisième tome des Histoires d’amour de l’histoire de France, de Guy Breton († 2008). En raison du sujet de Breton, il est évident qu’il n’allait tirer, de la prolifique correspondance de son héroïne, que le plus croustillant de son De la Reine Margot à Louis xiv (éds Noir & Blanc, 1957). Mais c’est une tout autre Marguerite de France (dite de Valois, alias la Reine Margot) qu’allait révéler Éliane Viennot étudiant l’incessante correspondance de la souveraine. Or, tous les historiens des siècles passés ont eu accès aux mêmes sources. Que Beauvoir fasse, nue et retouchée, la couverture d’un magazine n’offusque pas les féministes hédonistes d’aujourd’hui, même si d’autres s’en effarouchent. Qu’on réduise encore Marguerite de France à ses amours (en transformant des liaisons platoniques en relations torrides, et sa relation avec ses frères en liens incestueux) devrait faire réfléchir. Cela devrait notamment porter à sonder la question des stratégies de contournement, à s’intéresser à la réception des revendications féministes et à leur (re)présentation ; à cet égard, consulter Les Résistances de la société n’est sans doute pas dispensable. Faute de se faire déjà l’écho de cette lecture, on peut, à tout le moins, inciter dès à présent à la faire. Pour mieux comprendre l’actualité, par exemple.
Crédit photo :
Éliane Viennot lors d’une conférence de l’Institut Émilie du Châtelet, mai 2009, Paris – DR/IEC/JT
Voir aussi :
Le site de « La France et les femmes au pouvoir »
Voir aussi son blogue et sa fiche sur Wikipedia
On trouvera en ligne, sur Wikipedia, une page sur Éliane Viennot mentionnant ce lien :
[url]http://www.come4news.com/dray,-coupat-le-plus-julien-des-deux-59789[/url]
Erratum (le site La France des femmes au pouvoir)
Désolé, un vrai problème de coupé-collé. Le lien interne mentionné précédemment n’a rien à voir avec le sujet (comment peut-on, ici, supprimer ses propres commentaires ?).
Le bon est
[url]http://www.lafrancelesfemmesetlepouvoir.org/[/url]
Même si l’article semble bien écrit, je trouve le ton plein de morgue et de condescendance. Dommage….Un « fils » de Marguerite de Valois.
Ah bon ? Comme quoi… Comment l’éditeriez-vous pour qu’il vous satisfasse ?
Merci cependant de votre appréciation et de votre commentaire : on apprend à chaque âge…