Ce dimanche, à l’aube, au Bardo, siège de l’Assemblée nationale tunisienne, la police a repoussé les manifestants islamistes qui voulaient chasser les opposants au gouvernement mais aussi dégagé la place selon les mêmes méthodes : l’emploi massif de gaz lacrymogènes. Si l’appel à désobéissance civile en Tunisie l’emporte, le pouvoir islamiste n’aura le choix qu’entre un large compromis ou la répression. Dans la Libye voisine, où la situation est encore moins claire, les formations politiques islamistes se voient aussi mises en cause, et les risques d’affrontements violents s’amplifient.

On ne sait si l’armée égyptienne parviendra à restaurer le calme dans le pays, si les islamistes s’organiseront en cellules clandestines, conduisant l’Égypte à une situation similaire à celle que vécut trop longtemps l’Algérie. En Tunisie, la situation est aussi incertaine : dispersés à l’aube par la police qui avait aussi repoussé leurs assaillants, les manifestants, avec en leur sein une cinquantaine de députés, ont repris position au Bardo, devant l’ANC (l’Assemblée nationale constituante). De plus, la région de Sidi Bouzid s’est déclarée autonome du pouvoir central. Ennahdha est en proie à des divisions qui commencent à se manifester : c’est peut-être pourquoi des propos hâtivement prêtés à l’ambassadeur de Tunisie en France, Adel El Fkih, à RFI, ont pu être hâtivement interprétés comme l’annonce d’une imminente démission du gouvernement. Le conseil supérieur des armées s’est réuni à Carthage ce dimanche, le ministre de l’Éducation, Salem Labyedh, s’est déclaré démissionnaire, la presse évoque les noms des prochaines victimes possibles d’attentats : des journalistes, des femmes en vue, &c.

En Lybie, la situation est encore plus compliquée puisque le gouvernement est impuissant ou présumé s’appuyer sur les milices. Mais des signes avant-coureurs indiquent que l’islamisme politique suscite un rejet de plus en plus vivement exprimé de la part d’une large partie de la population.

Jeudi 26 juillet, un attentat – deux tirs de grenades – qui n’a pas fait de victimes a visé l’ambassade des Émirats arabes unis à Tripoli.  Surtout, à Benghazi, hier samedi, l’enterrement d’un juriste, Abd Al-Salam Al-Mismary, a été suivi par le pillage du siège du Parti de la Justice et de la construction, qui est la vitrine des Frères musulmans en Libye. La victime, tuée à bout portant alors qu’elle revenait vendredi d’une mosquée de Benghazi, était très connue pour ses critiques de l’islamisme politique radical. À Tripoli aussi, les sièges des partis proches des Frères musulmans et de l’Alliance des forces nationales, qui domine le gouvernement.

Il semble que la Libye, revenue dans l’actualité après l’attaque contre la prison de Benghazi et la fuite de plus d’un millier de détenus, soit en passe d’être plus largement en proie à l’instabilité et à la veille d’affrontements. La presse libyenne relève que plusieurs ambassades occidentales ont pris des mesures de sécurité et que celle de Malte a suspendu ses activités.

Le parti du Premier ministre Ali Zeidan semble sur le point de renoncer à tous ses postes ministériels et à ne plus siéger à l’Assemblée.

Le chef de file des Frères musulmans en Égypte, Mohamed Badie, a considéré que les assassinats en Égypte, Libye et Tunisie étaient le fait d’agents sionistes. Ce qui ne convainc réellement que ses partisans.

La perception de l’islamisme radical mais s’énonçant modéré a fortement évolué de la Tunisie à l’Égypte. Il est désormais considéré comme un clientélisme visant à s’emparer de toutes les positions possibles mais incapable de réduire la pauvreté ou de prendre des initiatives autres que d’ordre moral. Il est de plus soupçonné de se débarrasser de ses éléments les plus radicaux en favorisant leur passage en Syrie. Sans être pour autant capable de les contrôler.

Les autorités algériennes viennent d’annoncer la capture d’un chef d’une petite brigade liée à Aqmi, Kamel Ben Arbia, formation soupçonnée d’avoir préparé des attentats et exécutions en Tunisie et Libye.

À Benghazi, jeudi soir, une caserne de l’armée a été attaquée et des armes et munitions ont été volées. Les assaillants ont profité d’une manifestations d’ouvriers et d’employés réclamant leurs salaires impayés. Depuis, le ministre de la Défense a démissionné. L’Italie formera 5 000 soldats libyens, le Royaume-Uni 2 000, sur leurs sols, en rotation (par exemple, dix semaines pour 300 soldats près de Cambridge). Mais n’est-ce pas déjà trop tard ?

Aux problèmes économiques généraux s’ajoute, en Libye, les oppositions ethniques. L’oléoduc du complexe gazier de Millitah a été fermé, à Nalout, par des milices berbères amazighs. Toubous et Touaregs s’opposent au parlement aussi sur la question de la reconnaissance des droits des minorités. Les Berbères dénoncent « le négationnisme arabo-islamiste ». Les Amazighs de Libye sont tentés par une scission aboutissant à la création d’un État indépendant.

Pas plus qu’une autre religion, l’islam n’est en mesure de réduire le chômage ou la pauvreté. Les aides des pays producteurs de pétrole du Moyen-Orient ne sont pas illimitées. Par ailleurs, en Turquie comme en Iran, le pouvoir théocratique commence à être remis en question.

En Libye, le représentant des Frères musulmans, Bashir Al-Kabta a déclaré à Al Jazeera que les troubles dans le pays étaient dues à la main de l’étranger et aux partisans des Kadhafi. Les islamistes salafistes tunisiens mettent en avant le même type d’argument, dénonçant les sionistes et les croisés. Des « explications » devenues un peu trop usées pour rester convaincantes.

En Turquie, le Premier ministre, Recep Tayyip Erdogan vient de menacer de poursuivre le Times qui avait publié une tribune libre (en encart publicitaire) d’intellectuels et personnalités dénonçant la répression des manifestations à Istanbul et dans les principales villes. La presse étrangère a bon dos.