J’ai deux (grandes, entendez : âgées) enfants dans l’Éducation nationale. Toutes deux capésiennes. Et pour mon compte, j’ai suivi un cursus d’études universitaires abordant les questions du genre. Eh bien, nous sommes d’accord. Il est urgent d’inventer l’inexistante théorie du genre, et de l’inculquer un, deux, trois jours dans la semaine, au hasard (ce sera tiré à pile ou face en salle des profs). Eh bien sûr, dans les écoles confessionnelles, il faut absolument inculquer la théorie du non-genre aux chères petites têtes blondes. 

Un papa (barbu, avec calotte ou chapeau, ou béret basque), une maman (en tchador ou burqa ou perruque ou foulard genre fichu), pour parler des papillons mâles et femelles, des pistils et de tout cela, dans les écoles confessionnelles et enseigner la théorie du non-genre…

Indispensable : s’il existe une théorie du genre, il doit bien exister une théorie inverse. Les deux restent à inventer. Et à être enseignées dès le plus jeune âge…

À l’école publique, la théorie du genre (à définir…), mais avec des interventions un peu sur tout, en maths, histoire-géo, français, gym, &c. Un peu tous les jours, ou en en tout cas, de manière imprévisible…

Ce qui aurait pour effet de désengorger les salles des classes de l’école publique, les parents se chargeant d’inculquer la théorie du non-genre à leurs enfants à domicile ou de les inscrire (là, il faudra sans doute attendre la rentrée prochaine, mais des grands-parents pourront suppléer les parents débordés, ou alors, les congrégations religieuses s’en chargeront) dans les écoles confessionnelles.

Bien sûr, ce serait beaucoup mieux si les enfants auxquels la théorie du non-genre aurait été inculquée restaient au domicile des parents jusqu’à environ 40-45 ans, histoire de vérifier qu’ils ont bien intégré la dite théorie, et qu’ils ne risquent pas trop d’être en contact avec les enfants des écoles publiques. D’un autre côté, une fille qui ne fait pas environ deux douzaines d’enfants, selon la théorie du non-genre communément admise et qui tombe sous le sens, c’est quand même suspect. Mettons qu’il conviendrait de confier des jeunes filles fécondes à des hommes déjà mûrs : ce serait plus sûr.

De mon temps, les parents d’élèves d’écoles publiques et privées ne se fréquentaient qu’au travail et les gamines et gamins étaient découragés de lier les moindres relations avec ceux des écoles d’en face.

Il faudrait y revenir. Il y a quelques risques : des histoires de Juliette et de Roméo, et, malheureusement, de nos jours, il est bien difficile de déshériter sa progéniture. Mais il y a toujours moyen de discrètement laver l’honneur familial.

Ce qui est sûr, c’est que si la théorie du genre se cherche encore, toutes les écoles publiques la propagent tous les jours, voire toutes les heures. Le saviez-vous : il y avait autrefois des nombres pairs et des impairs. Maintenant s’ajoutent les unpairs et les unepaires et toute une variété de nombres intermédiaires ! Si, si…J’ai reçu (sans doute par erreur) un texto qui me le certifiait.

Tandis qu’avec la théorie du non-genre, les nombres invertis seraient bannis. Avez-vous déjà rencontré dans la nature des nombres moins quelque chose ? Moi pas. Il faut laisser ces vues de l’esprit spéculatives et hasardeuses à l’école publique…

En fait, dans les écoles publiques, en dépit de quelques voix égarées assurant du contraire, tout le monde se réjouit de cette histoire de prétendue théorie du genre : si cela pouvait conduire à ce que seules et seuls des filles et garçons de parents enseignants des écoles, collèges, lycées et universités publics la fréquentent, ce serait idéal. Zéro blabla, zéro tracas. Tandis qu’en face, comme le zéro n’est mentionné ni dans la moindre bible, le moindre coran, le moindre présumé nouveau testament et que tous ces braves chrétiens, musulmans et autres ont eu raison des Mayas et de leurs zéros ordinaux et cardinaux, eh bien, on s’en passera.

Eh oui, comme l’exprime si bien la « philosophe » Chantal Delsol dans Le Monde, « dans la simple réalité, il n’en va pas ainsi. ». Point de zéro (et d’ailleurs, la nature, chacun le sait, a tellement horreur du vide qu’elle ne lui permet pas d’exister).
Comme l’explique le député UMP Hervé Mariton, « la mission de l’école, c’est d’enseigner les fondamentaux. » Ni le genre, ni le zéro ! D’ailleurs, où a-t-on vu, dans les textes fondamentaux, qu’il fallait enseigner quoi que ce soit aux filles dans des établissements d’enseignement ???

Ce qui est farce, c’est que le « jour du retrait » préconisé par le site theoriedugenre.fr a son origine du côté de l’Uni, soit l’association union nationale interuniversitaire. Eh, le mieux, se serait de se retirer totalement du public. Une grève illimitée qui le soit vraiment serait fort bienvenue. L’adresse de courriel de l’Uni, [email protected], est associée avec 27 domaines dont avecsarko.fr. Le Sarkozy doit être ravi du cadeau…

Domiciliée 34, rue Émile-Landrin à Boulogne (92), l’association hébergera tous les enfants retirés des écoles. Des ramassages en car seront prévus. La même association s’intéresse aux retraités (avec un site retraitegenerationsacrifiee).

Dans le même genre, l’Uni avait déposé le nom de domaine nonaumariagehomo.fr.

L’Uni milite aussi pour la propagation de la culture œnologique et vineuse et propose une conférence « Vin et spiritualité » (à son siège de Boulogne, voir supra, le 10 février prochain, à partir de 19 heures). Foin de genre, mais du pinard dès la maternelle ??? Il fallait l’oser. Ah, mais si c’est pour développer la spiritualité, dès le plus jeune âge, pourquoi pas dans les biberons ? Merci l’Uni, le ministère de l’Éducation n’y avait pas déjà songé…

Ah oui, au fait… Frigide Barjot incite les « autorités morales et religieuses de sortir de l’ambiguïté et du silence pour déjouer les amalgames qui assimilent les croyants à des adversaires de la légalité républicaine ». Et bien c’est très simple, tout ce qui est bon est un don de dieu, et tout ce qui n’est pas bon, c’est l’œuvre du démon. Le non-genre, c’est la trinité qui l’a voulue, le genre, c’est méphistopheles qui l’inspire. Quand à la légalité républicaine dévoyée, un vigoureux exorcisme, et tout devrait rentrer dans le bon ordre. Il faut pas croire que les croyants soient des adversaires, au contraire, ils sont plein de compassion pour les possédés du belzébuth.

C’est d’ailleurs ce que, grosso modo, on enseignait dans les écoles confessionnelles. Il suffit d’y revenir, non ? D’ailleurs, tant qu’à faire, il faudrait en revenir aux fondamentaux : des écoles de garçons avec des profs, des écoles de filles avec des éducatrices. Comme en Iran, par exemple.

Si cette vision des choses, qui n’est pas si ancienne (l’évolution générale vers des maternelles et des écoles mixtes ne remonte qu’à un demi-siècle en France), n’est pas « genrée », ben, alors, qu’est-ce qui est donc « genré » ?

On en arrive à un stade totalement absurde où celles et ceux qui s’opposent par exemple à la procréation assistée défendent les OGM. Parce que la technique des OGM permettra de créer des petits garçons avec des gènes strictement masculins, des petites filles avec des gènes uniquement féminins ? C’est le genre de texto qui pourrait marcher : les anti-études de genre trouvent que la copulation entre un homme et une femme donne des individus imparfaitement gendrés et qu’il vaudrait mieux procéder par éprouvettes, ou alors, que les hommes fassent des hommes avec des hommes, et des femmes fassent des femmes avec des femmes. Du coup, le mariage hétérosexuel devrait être banni. Voilà où nous mènera la théorie du non-genre !

S’opposer à l’indifférenciation supposée des genres, cela doit logiquement mener à renforcer la différenciation, non ? Pour le moment, on ne sait pas trop comment concilier naturalisme (ouille, si jamais il devenait établi que nos très lointains ancêtres n’étaient pas trop différents des amibes ou des escargots) et essentialisme (qui veut que presque tout soit inné). Du coup, les mères veilleuses qui accompagnent Béatrice Bourges, du Printemps français, proclament qu’elles veillent sur « la filiation humaine » (qui énonce bien sa visée : les femmes doivent donner la vie à des fils, en priorité). Mais d’ici une, deux, trois décennies, un ou deux siècles ???

Or, finalement, c’est bien l’orientation de l’Uni : primat du masculin (forte inquiétude quant à la féminisation des métiers de l’enseignement ou de la magistrature), élitisme revendiqué (même si les universitaires de cette tendance ne brillent pas particulièrement, ni nationalement, ni internationalement). Eh, bien, parfait : qu’ils fondent donc les écoles où ils pourront véhiculer leurs approches différentialistes, qu’ils démissionnent des universités…

Cette histoire de genre ne date pourtant pas d’hier, ni d’avant-hier. Qui donc écrivant « Emma, c’est moi » ? Un dénommé Gustave. Et nombre de femmes écrivant sous un pseudonyme masculin ont pu parfaitement incarner des personnages tant masculins que féminins. Grâce à un don de dieu (ou un méfait satanique dès avant même la naissance) ou du fait d’une acculturation ? C’est peut-être ce qui a (notamment, mais pas que…) conduit aux études de genre, lesquelles se sont depuis largement différenciées, diversifiées.

Ce n’est certes pas ce qui entrera aux programmes des écoles primaires.
Mais plus c’est gros, plus ça passe… jusqu’au moment où cela coince et vous revient dans les dents.
De la part de qui incite nos chères petites blondes, dès la plus tendre enfance, au cannibalisme (ben, voui : « ceci est mon corps… ceci est mon sang…  »), ce n’est pas très malin (à jouer au çon, on peut être deux…). De qui vante un type qui ne serait pas né d’un homme et d’une femme mais seulement d’une femme (ce n’est pas comme cela qu’on l’enseigne au cathé ? Si. Ensuite, ensuite, on finasse…).

Au moins, Dieudonné, lui est cohérent : il est anti-système, contre (comme l’organisation des Jours de colère) « la toute puissance de la finance », donc il conserve tout son argent de poche en liquide. Il lui reste juste de quoi offrir une quenelle spirituelle à Béatrice Bourges en grève de la faim illimitée (jusqu’à ce qu’indifférence s’ensuive, plus exactement).

Les mêmes qui verraient bien la quenelle enseignée en maternelle hurlent contre l’atteinte insupportable à l’innocence de l’enfance que représenterait la fameuse offensive des théoriciennes et théoriciens de la franc-maçonnerie du genre. Pourtant, c’est viril, non, la fameuse quenelle ?

Faudrait savoir, ils et elles veulent de « vrais » hommes et de « vraies » femmes, mais il sont contre « la sexualisation à l’école maternelle et primaire » ? Mais c’est dès le berceau qu’il faut inculquer les stéréotypes sexués qui leur tiennent tant à cœur ! D’ailleurs, tenez, même le très droitier Boulevard Voltaire vante à présent l’humour de Cavanna et Choron : « à leur manière, Cavanna et Choron étaient un peu les Dieudonné et Soral du moment ». Si, lu à l’instant.

Quand on se souvient de l’attitude du « professeur » Choron à l’endroit (et l’envers) des femmes, on comprend quel genre d’enseignement du genre cette droite-là appelle de ses vœux.

En fait, l’anti-théorie du genre est bel et bien une théorie du genre. Elle est archiconnue et l’apogée de son application s’est étendue, pour les sociétés dites occidentales, d’environ la seconde moitié du Moyen-Âge à l’entrée dans la Seconde Guerre mondiale. Avec quelques soubresauts.

Et c’est peut-être pourquoi l’Uni et le Printemps français et consorts se sont, si on veut bien encore accorder un peu de crédibilité à un sondage, plantés.

Selon le sondage BVA pour I-Télé, l’Abécédaire de l’égalité a bénéficié du battage des anti-études de genre : 68 % de l’échantillon en a été informé d’une manière ou d’une autre. Il s’agit d’une « bonne chose » pour 53 % (contre 37% et 10% sans opinion). Un tiers a plus ou moins accordé foi (ou fait semblant) aux critiques et estime cela « dangereux » (contre 55 % et 12 % sans opinion). Pourtant, 37 % considèrent (contre 51 % et 12 % sans opinion) qu’il s’agit bien là d’un moyen visant à aborder une « théorie » du genre.

De théorie, il n’y en a pas, mais des thèses parfois opposées (sauf en génétique), oui, il en est sur le genre. Et il semble bien qu’il y ait des personnes qui sont plutôt pour que soient abordés tôt des aspects des études portant sur le genre. À moins que, tout comme certains et d’aucunes font semblant de s’effaroucher, d’autres en aient tellement leur claque du battage sur la prétendue théorie qu’ils font semblant d’approuver qu’elle soit abordée dans les écoles. Rien que pour mettre une baffe à celles et ceux d’en face.
C’est déjà ce qui s’était passé avec la Manif pour tous. La question n’intéressait pas vraiment tout le monde, le Pacs paraissait suffisant à beaucoup, mais les outrances de la droite religieuse ont fait basculer des laïcard·e·s en faveur d’une loi qui leur indifférait. Beau résultat !