Avouons-le : pour ne pas rédiger uniquement un « publi-rédactionnel » en faveur de La Prison ruinée, de Brigitte Brami, je tente « d’élever le débat » au risque de me ramasser. Brigitte Brami craint que son livre devienne rapidement indisponible et vend directement ses exemplaires d’auteur. Je ne rentrerai pas (trop) dans les détails mais le cas mérite d’être signalé, au moins à celles ou ceux qui veulent être publiés ou se publier…

Il doit y avoir comme qui dirait des bisbilles entre Brigitte Brami et sa maison d’édition, Indigène. Je n’ai qu’un son de cloche – et encore, partiel – et si je me dispense d’obtenir l’autre, c’est parce que nous sommes dimanche, et que je ne cherche pas à entrer dans une éventuelle polémique entre Brigitte Brami et Sylvie Crossman ou Jean-Pierre Barou, ses éditeurs.

Or donc, que se passe-t-il – en gros – si vous vous auto-éditez ? Vous trouvez un imprimeur, qui signalera peut-être votre titre sur un site annexe, vous récupérez vos exemplaires et vous arrangez pour les vendre vous-même, en ligne, en les plaçant chez des libraires de proximité, en les casant sur les stands de micro-éditeurs compréhensifs écumant les « petits » salons. En bref, vous allez chercher la lectrice ou le lecteur – indirectement en tentant d’obtenir un article dans l’édition locale du Clairon de Clermont couvrant la localité de votre résidence principale ou secondaire, en balayant la Toile, &c. – et directement, avec les dents.

Que se produit-il si vous parvenez à signer avec une « petite » maison d’édition ? En gros, la plupart du temps, la même chose, sauf si vous êtes déjà un « nom » connu des médias. À cette différence près que, selon la taille de la maison, elle dispose d’un « vrai » distributeur ou peut procéder elle-même à une « mise en place » dans un réseau – restreint ou plus étendu – de libraires. Toute analogie avec Brigitte Brami et Indigène éditions ne pouvant être que fortuit, fruit du pur hasard, &c., admettons que l’auteur·e X et la maison Y aient passés un contrat. Il ne prévoit bien entendu aucune obligation de résultat pour l’éditeur, vraisemblablement peu, et exprimées de manière floue, d’obligations de moyens : à savoir diffuser, faire valoir (auprès de la presse, sur des salons…).

Indigène s’est faite un nom avec le désormais fameux Indignez-vous, de Stéphane Hessel, qui a sans doute bénéficié d’un formidable concours de circonstances, de la notoriété de l’auteur qui doit assurément disposer d’une sorte de réseau de contacts, lesquels se sont mobilisés. Comme les ouvrages d’Indigène ne pèsent pas lourd et que le tirage à la demande simplifie le stockage (peu onéreux), il y a fort à parier que la maison « suivra » ce titre. Elle n’est nullement formellement engagée de le faire pour tous ses autres titres et auteur·e·s.

Souvent, et cela m’est arrivé pour mon propre livre (épuisé), Femmes et métiers du Livre, l’éditeur (ici la défunte maison Talus d’approche), ne se donne même pas la peine de procéder à un retirage d’une cinquantaine d’exemplaires et oublie de vous signaler qu’il est passé à tout autre chose… Soit son ou ses petits derniers.

Vos relations sont bonnes, il vous expliquera franchement ce qu’il en est si vous le sollicitez. Vous retrouvez l’intégralité de vos droits. Libre à vous de vous adresser à un autre éditeur, de commercialiser vous-même votre œuvre, en PDF, e-book, en « dur » (imprimé à compte d’auteur ou en véritable autoédition). Elles sont maussades, et il vous faudra établir que votre ouvrage est à présent indisponible… Cela revient au même… Retour à la case départ : jouer à la marchande…

D’où mes réticences et ma procrastination : lancer le projet d’une seconde édition revue et augmentée de mon étude qui ne se vendra au mieux qu’à 200 ou 300 exemplaires en deux ou trois ans me pèse.

Mais si vous aviez prévu le coup, et disposiez d’un peu de liquidités, vous avez commandé à l’éditeur autant d’exemplaires d’auteur que possible (en fonction de vos disponibilités, au sens large). Ils vous reviennent à un montant calculé sur le prix hors-taxe, inférieur au prix public.

C’est sans doute son petit stock subsistant qui permet à Brigitte Brami de signaler à la cantonade que son titre risquerait d’être « indisponible temporairement chez l’éditeur ». Tant bien même si, à l’en croire, La Prison ruinée se serait vendue déjà à plus de 4 000 exemplaires, ce qui est remarquable pour un premier livre (même un roman vaguement lancé peut peiner à frôler le millier). Or donc, pour un temps limité, vous pouvez vous procurer un exemplaire d’auteur contre 4,50 euros, le chèque devant être libellé au nom de l’auteure et posté à l’adresse 1, rue Vidal-de-la-Blache, 75020. C’est un peu moins cher qu’un achat en ligne d’exemplaires encore disponibles, les sites marchands (Fnac, Amazon), chargeant les frais de port à près de trois euros pour un prix public identique.

Il semblerait que le texte restera par ailleurs disponible au prix de 1,5 euro en version e-book « dans les librairies proposant ce service » (lu sur le site de l’éditeur).

Indigène, en dépit du succès du Hessel, reste une petite maison qui semble éprouver des difficultés à tenir correctement à jour son site et aussi à mettre en valeur tous les ouvrages publiés.

Brigitte Brami s’est démultipliée en participant à pratiquement tous les débats sur le thème de la détention qu’elle a pu localiser, par exemple. Avec ses exemplaires « sous le bras » pour les vendre en direct.

Vu le format, elle n’a pratiquement aucune chance de retrouver un éditeur, si ce n’est dans le cadre de la publication d’une anthologie thématique réunissant des textes d’auteurs divers. Il lui restera donc, si Indigène la rétablit dans l’intégralité de ses droits, et cesse de retirer, la possibilité de se trouver un imprimeur pour se reconstituer un stock. Cela lui sera aisé car son 40 pages petit format, à raison de retirages de 50 exemplaires chacun, ne nécessite pas un coûteux investissement.

Sachez cependant que pour un titre ne se vendant pas tout seul (cas d’ouvrages très spécialisés trouvant automatiquement des amateurs), d’un auteur inconnu, d’environ 120 pages, le « prix psychologique » à la vente doit rester inférieur à neuf euros. Il vous faudra donc placer environ la moitié de votre commande (soit plus d’une vingtaine d’ouvrages) pour rentrer dans vos frais. Le reste, eh bien, vous restera sur les bras (et finira éparpillé gracieusement au gré de vos rencontres nouvelles, sachant que vous avez déjà offert votre bouquin à la plupart de vos fidèles amis).

Le jeu en vaut-il la chandelle ?

Pour la plupart des essais et des romans, ne comptez absolument plus sur les libraires indépendants (s’ils n’appartiennent pas à votre proche entourage, ils ne mouilleront pas la chemise). Les microéditeurs qui s’échinent à être présents sur divers salons ne rentrent pas toujours à coup dans leurs frais (transport, location du stand, logement) et ils placeront plus volontiers les ouvrages des auteurs présents (donc prévoir le budget transport, voire logement, pour être au contact) en dédicace que les autres.

En vous autoéditant, vous éprouverez de sérieuses difficultés à obtenir un (premier ou second pour une réédition augmentée) numéro ISBN. Pas de numéro ISBN, moins de visibilité, aucune chance que, aussi sérieux et précieux que soit votre titre, sauf faramineuse exception, vous obteniez la moindre commande d’une bibliothèque (ce qui génère de très maigres droits annuels de reprographie au titre de la taxe sur les photocopies, de l’ordre d’une cinquantaine d’euros).

Vendre un bouquin par soi-même, c’est, sur quelques mois, l’équivalent d’un boulot à mi-temps.

Cela étant, tout peut finir par se vendre… petitement. Je me souviens du cas d’un polar plutôt mal ficelé – que je m’étais refusé à chroniquer en dépit de mon amitié à l’égard de l’éditeur –, qui, premier livre du genre de l’auteur, marche encore un peu : le prétexte régional (l’action se situe dans une grande ville) joue encore ; il part à raison d’une dizaine d’exemplaires mensuellement (moyenne annuelle) au mieux.

Si j’étais encore journaliste actif et chercheur universitaire, je me lancerais peut-être dans un sujet sur la durée de (sur)vie des microéditeurs : il s’en crée chaque année, autant si ce n’est davantage, disparaissent… au bout d’un nombre incertain d’années (cinq-six ans, crois-je pouvoir avancer, pour les plus fragiles).

L’autoédition est très difficile à cerner : l’album de photos familial tiré à n exemplaires est comptabilisé de la même manière que le livre de souvenirs destiné aux seuls petits-enfants. En tirages, elle a déjà dépassé l’édition traditionnelle aux États-Unis. Selon un sondage IFOP/Le Figaro, 6 % des Françaises et des Français auraient produit un manuscrit et souhaiteraient le publier. Perso, j’en ai un total inédit en rade que je me demande vraiment s’il vaut la peine de ne pas rester oublié (un truc voulu pourtant vaguement « commercial » dès le départ).

Plus de 4 000 exemplaires vendus « en un peu plus de quatre mois » et cela « uniquement » grâce « à votre bouche et à vos oreilles », qu’elle dit, Brigitte Brami. Voui, mais sa Prison ruinée a bénéficié d’une mise en place chez les libraires. C’est combien déjà, les droits sur le prix hors-taxe : 8 à 10 % ?

Vue la manière avec laquelle Brigitte Brami s’est démenée, je n’ose vous donner un ordre d’idée de ses gains horaires, franchement dérisoires, à la décimale d’euro près.

Mais elle écrira certainement un autre livre. Cette fois… Peut-être… En capitalisant sur le succès du premier… Courage !