Du « nouveau » journalisme et de sa « nouvelle » ligne

Le nouveau journalisme n’est plus celui de Hunter S. Thompson ou de Tom Wolfe pour la plupart des « nouveaux journalistes », ceux de la presse en ligne. Certes, les méthodes employées n’auraient pas décoiffé leurs prédécesseurs des gazettes décrites par Balzac dans sa Monographie de la presse parisienne. Mais quand « récent » se traduit par « nouveau », toutes les illusions (et vanités) sont permises.

Le nouveau journalisme fut et reste une forme d’antijournalisme qui, à la suite des reportages antérieurs des Cendrars, Kessel, voire Lacouture et quelques autres, a fait école. Je ne m’y suis que très rarement essayé, et je ne prétends pas m’en donner les apparences les plus évidentes, qui n’étaient pas si « nouvelles » vers 1965. Mais, comme d’autres, je pratique plus librement, en ligne, l’emploi de la première personne et l’imbrication du factuel et du ressenti, du commentaire parfois tendancieux et des données recoupées.

Je vais sans doute paraître régler quelques comptes (et pourquoi pas ?) et surtout descendre de plusieurs crans (histoire de ne pas trop élever le débat et trébucher de trop haut). Qu’importe.

De presque tout temps, le journalisme a consisté, aussi, à savoir flatter son lectorat, le fidéliser. Cela s’est certes accentué avec les Lumières et l’abolition des privilèges royaux, le dépérissement de la censure. Mais avec le salutaire journalisme en ligne, qui entre péniblement dans l’âge adulte (20 et plus ans déjà, pour quelques précurseurs), des formes dérivées d’anciennes pratiques se renforcent.

Tout d’abord, ne parlons que ce que je peux connaître le mieux, depuis fin 2007, soit les sites du Post et de Come4News. En préalable, levons une ambiguïté : je ne vois plus du tout la différence entre ce que produisent certains « invités permanents » du Post ou des assidus de Come4News et ce que font actuellement une large majorité des détenteurs de cartes de presse. Tant pour le pire (auquel je n’échappe pas) que pour le meilleur. La Libye vient certes de susciter une floraison d’envoyés spéciaux mais la plupart des journalismes qui ne pratiquent pas en chambre (en desk, services) ou en proximité (au sens large) sont plutôt des exceptions que la règle. Ce qui semble avoir changé, avec la presse en ligne, et les « réseaux sociaux », c’est surtout la proximité avec le lecteur et l’instauration de relations que n’autorisaient pas les « courriers des lecteurs ».

Cette recherche de convivialité peut occasionner de singuliers mélanges des genres. Tout comme voici quelques siècles, lorsque la diffusion d’un titre se cantonnait à une zone limitée, le journaliste était aussi un animateur, retrouvant son lectorat dans des tavernes, salons, chez des chocolatiers ou des cafetiers. Il fallait divertir autant qu’instruire, et pour parfois déjouer la censure, n’évoquer par écrit que des bribes des conversations de la veille : les initiés comprenaient les allusions, le bouche-à-oreille amplifiait ensuite. À présent, c’est un peu la même chose, le journaliste (le contributeur) étant aussi un animateur, un amuseur, parfois spécialisé (merci à qui m’a communiqué récemment une « étude » sur le journalisme MDR, en anglais Lol), et l’animateur, se documentant plus aisément, pratique le journalisme. La différence est peut-être qu’il utilise la même signature, le même pseudonyme, ce qui peut avoir des conséquences : on reprochera le mélange des genres. Pourtant, quand ces messieurs du Canard se livrent à un entretien « (presque) imaginaire », on ne leur reproche pas de publier, deux ou trois pages plus loin, un article, une enquête, étayée, fondée, recoupée. Je me suis, voici peu, amusé à parodier le genre « à la manière de… » à propos des ambitions présumées de Bruno Le Maire, ministre de l’agriculture, donné impétrable au portefeuille de Michèle Alliot-Marie. Vous pouvez, si vous avez du temps à perdre, aller voir sur Le PostExclusivitéLe Post : Le Maire connait la surface d’un gaymard » : si vous êtes pressés, un gaymard, c’est 600 m², surface d’un désormais célèbre appartement de fonctions ministérielles).

C’est sans doute ce genre de confusion des genres qui vaut, de la part d’un posteur dénommé Anti Nanti, un peu ras du front (national, qui sait pourtant, lui, appliquer la formule de Barnum comme quoi « il n’y a pas de mauvaise publicité », et il, Anti Nanti, devrait me remercier), à Come4News d’être qualifié de « torchon ». Eh oui, ici comme ailleurs (Le Post, par exemple), ce n’est plus La Gazette de Renaudot qui ne traitait que d’informations officielles et de dépêches diplomatiques. Anti Nanti, comme tant d’autres, ici ou surtout ailleurs, se cantonne un peu trop à pomper les faits-divers de la presse régionale. La différence entre ici et Le Post, c’est qu’Anti Nanti se conforme servilement à la « couleur » du Post, au formatage du Post, espérant sans doute par là gagner en crédibilité. Notamment lorsqu’il ajoute son grain de sel, plutôt convenu, histoire d’attirer des réactions, d’interpeller des commentateurs, lui aussi, ailleurs. La crédibilité, sur des sites tels Le Post (ou même ici), dépend de la notoriété, l’un de ses moteurs (ce n’est pas le seul, et ce n’est pas le même moteur ici qu’ailleurs).

Notoriété, mode d’emploi : allez essaimer partout ailleurs des commentaires. Mais pas n’importe lesquels. Plutôt des commentaires sur tout et n’importe quoi, pas forcément en rapport avec le sujet. Développer l’entre soi, la connivence. Surtout, surtout, éviter de revenir au sujet avec des liens externes : le fil de discussion « appartient » à l’auteur de la contribution. C’est son apanage : vous pourriez faire fuir en mentionnant une source externe, usurper. Le summum de l’inconvenance est de mentionner un lien vers l’une de vos propres contributions. Qu’importe si elle pourrait contribuer au débat ou à l’information des autres visiteurs (voire de l’auteur principal, et même, surtout celle de l’auteur initial). Non, vous vous retrouvez traité de « morpion », de parasite accroché aux basques de la géniale « invitée permanente » (ici, sur C4N, c’est le cas de tout le monde ; là, il convient de faire la distinction en labellisant, en hiérarchisant).

La notoriété consiste aussi à se faire afficher en page d’accueil. Ici, tout passe en page d’accueil. Parfois furtivement, parfois peut-être trop durablement, mais au moins n’est-ce pas le fait du prince, mais d’un algorithme. Un ironique posteur, que je conviais à venir s’informer ici, me rétorqua que c’était lui faire trop d’honneur, de la part d’un « pape » de l’antijournalisme tel que moi (ce qui est fort flatteur pour un modeste sous-diacre), d’avoir daigné squatter son chez soi. Un autre ironisait : à peine quelques centaines de visites et même pas plus de trois réactions pour la contribution signalée. Ici, effectivement, un algorithme pointe les contributions suscitant le plus de commentaires, ce qui introduit un biais : il n’a pas été manuellement corrigé, mais des correctifs ont été apportés (par exemple, pour les contributions remarquables, distinguées mensuellement par un jury).

L’antijournalisme de sous-diacre et médialogue pas trop improvisé consiste aussi, incidemment, sciemment, à faire en sorte de ne pas passer en page d’accueil sur certains sites. Pour y parvenir, il suffit d’appliquer les recettes inverses de ce qui vous garantit, parfois assez aisément, d’y figurer. Sur le Post, ce n’est guère sorcier. Tel ou tel choix de sujet, un formatage conforme (nombre de feuillets limité, pas trop de mots compliqués, le ton Post), et suivre vaguement ce qui est indiqué par la rédaction pour accroître ses chances (le sujet est récurrent, une sorte de FAQ est fournie par Le Coach, la Marianne du Post prodigue à l’occasion des conseils). Constatation : rien, ou presque, de ce qui figure en page d’accueil du Post, sauf exclusivité patente, et encore, ne passerait en une de Mediapart ou d’Agoravox (ce qui, pour moi, s’est produit encore plus rarement que sur Le Post, soit fort peu, mais pour des raisons dont je partage la pertinence, et je ne participe pas du tout – si ce n’est par de rares commentaires – à Rue89, l’une de mes sources de prédilection).

Il faut aussi savoir jouer au chat et à la souris avec la modération (pour celle du Post, je salue amicalement au passage les Marocaines et Marocains qui doivent se faire suer à respecter des consignes absurdes). Il s’agit de trouver un juste équilibre qui, sur Mediapart, consiste à ne pas enfreindre les règles du droit de la presse et ne pas exaspérer outrancièrement les abonnés. Géraldine D. veille, avec une marge d’appréciation qui peut lui valoir des critiques, au respect d’une charte. Sur Le Post, comme sur le site du Figaro (à condition de s’abonner), la modération est à la fois en amont (moteur et liste d’expressions à bannir) et en aval : ici, elle s’assume au préalable, et bien sûr postérieurement, pour les commentaires injurieux ou autres signalés par les visiteurs.

De ce point de vue, il y effectivement un nouveau phénomène. Le filtre des secrétaires de rédaction n’est plus vraiment présent. C’est même un jury à deux étages qui, sur Agoravox, assure le filtrage (au risque, faute de participants, de poubelliser une info, fraîche lors de sa soumission, devenue, lors de la décision, trop rabâchée, comme cette histoire de Le Maire ne sachant pas estimer la surface d’un hectare ou imiter le cri du dindon, info défraîchie, reprise à l’envi et à l’identique).

Sur Le Post, j’ai renoncé à contester la modération, me contentant d’en tenir ici un trop partiel bêtisier. Le fin du fin a été atteint lorsque l’une de mes contributions a été retoquée au prétexte que le sujet avait déjà été abordé précédemment… sur Come4News (par moi-même, en d’autres termes, sous un autre angle, et en actualisant pour Le Post). On peut donc pomper toute la presse nationale et internationale, mais on ne devrait pas « piger » deux fois, comme le font nombre de pigistes de la presse traditionnelle, en variant les approches.

Rappelons qu’Hunter S. Thomson avait abordé le journalisme par le petite porte, en localier sportif, fort de lectures autodidactes autres que celle de la presse, nourri d’un passage dans l’armée où il ne distingua guère. Simplement, il a su se départir du formatage du journalisme de l’époque pour créer le « gonzo journalism ». On pouvait espérer que le nouveau-nouveau journalisme en ligne serait plus fécond. Il l’est pourtant parfois, pas forcément sur les sites les plus en vue, les plus conformes (même si je salue le professionnalisme et les innovations de Mediapart, je n’y trouve guère de souffle très nouveau : mais est-ce vraiment sa vocation de le susciter ?). Le Ouaibe laissait pourtant présager une efflorescence de vocations. J’ai surtout vu, récemment, des tweeters. Un peu court, non ?

Graphiquement, on va sans doute nous submerger d’effets 3D, un peu comme il fut abusé des ombres portées puis des effets de transparence en 2D. L’innovation, c’est aussi la mise en pages, et là, oui, j’admets, faute de moyens, de temps, Come4News est loin de Mediapart. Ce n’est pas pour autant un « torchon ». Ce qu’est, graphiquement, mais il évoluera, Le Torchon (déjà présenté ici ; sur Le Post, à quoi bon ?) : je suis tombé dessus par hasard, mais j’y ai trouvé, au moins partiellement, une forme de nouveau journalisme rafraîchissant. C’est un « fanzine ». Imprimé. Minuscule tirage. Aussi constaté : le roman-photo « sauvage » imprimé. Pas très nouveau, n’est-il pas Gotlib ? Mais il en circule d’insolites. Les fanzines sont de retour.

Ces publications sont réalisées en très restreint comité. Elles peuvent témoigner des mêmes travers que certaines publications en ligne, soit un « entre soi » parfois étouffant, mais quelques-unes démontrent une ouverture, une curiosité, un esprit de rencontre enviable.

Antijournalisme, disions-nous ? Peut-être conviendrait-il d’en inventer plusieurs. En ou hors-ligne. J’ai consulté La Plume d’Aliocha. Son blogue-notes est souvent cité sur Marianne2. Elle n’a pas tout faux. Les rédactions sont considérées en tant que variables d’ajustement, certains patrons de presse croient que des bénévoles interchangeables suffiront à drainer de la publicité. Ne serait-ce pas parce que, justement, entre ce qu’ils fournissent et ce que fournissent certaines rédactions (parfois à leur corps, voire cris, défendant), la différence n’est plus si patente ?

Aliocha cohabite, sur Marianne2, avec Slovar, qui renvoie parfois vers le blogue d’Éric Bloggeur Mulhousien (un ancien, peut-être encore sur Le Post, mais beaucoup moins enthousiaste qu’à ses débuts). Et puis, toujours sur Marianne2, il y a Sarkofrance. Par rapport à la presse papier de naguère, il pratique une sorte d’antijournalisme. Personne ne l’aurait publié : trop long. En ligne, il dépasse même, en nombre de signes, les (rares, et toujours moins fréquentes) doubles pages des éditoriaux de Jean Daniel dans le Nouvel Observateur. Il digresse, Juan Sarkofrance ; ce n’est pas trop brouillon, mais il y a parfois comme un mélange des genres, des angles. Pourtant, il est lu, et Marianne2 n’hésite pas à le mettre en valeur. Il multiplie les liens, veille à l’hypertextualité, ne recherche pas un lectorat « captif », ni à bourrer ses pages de vidéos. S’ils pompent une info, ils sourcent, et travaillent en réseau, ce qui diversifie les sources.  Ce que, finalement, d’autres sites d’info n’ont pas réussi à faire, même s’ils en donnent les apparences.

Il y a, effectivement, un nouveau journalisme, sa ligne n’est pas si nouvelle de la manière faussement évidente que certains sites recherchent (et c’est même parfois graphiquement passéiste ou presque, ou pour le moins négligé), parce que, justement, ce nouveau journalisme ne se cherche pas une ligne, mais des traverses, des tangentes, et non pas une formule. Sarkofrance a même suscité un émule anglophone, London Calling. Ah, et puis, comme le relève, sur Marianne2, Alain Bertho (anthropologe, Paris-VIII, propos recueillis par Régis Soubrouillard), au sujet des insurgés d’Égypte, Tunisie, Lybie (bientôt du Burkina, c’est à voir…), ces nouveaux journalistes sans carte de presse « ne réclament pas le pouvoir (…) il y a là une sorte de disjonction tout à fait nouvelle. ». Nouveau et intéressant, actuel… pas trop technologique, mais gai.

Auteur/autrice : Jef Tombeur

Longtemps "jack of all trades", toujours grand voyageur. Réside principalement à Paris (Xe), fréquemment ailleurs (à présent, en Europe seulement). A pratiqué le journalisme plus de sept lustres (toutes périodicités, tous postes en presse écrite), la traduction (ang.>fr. ; presse, littérature, docs techs), le transport routier (intl. et France), l'enseignement (typo, PAO, journalisme)... Congru en typo, féru d'orthotypographie. Blague favorite : – et on t'a dit que c'était drôle ? Eh bien, on t'aura menti !

4 réflexions sur « Du « nouveau » journalisme et de sa « nouvelle » ligne »

  1. Sans commentaire :
    « [i]Après lecture et analyse attentive de votre article du 27.02.11 14h07 par notre équipe de modération, celui-ci a dû être retiré de la publication en raison de sa non-conformité vis-à-vis de la charte d’utilisation du Post.fr
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    Votre article ou commentaire a été jugé contraire à la charte d’utilisation du site.
    Pour plus d’informations, merci de contacter l’équipe de modération.[/i] »

  2. Pour mémoire, cela débutait ainsi :
    « Sur Le Post, il y a deux « Post »
    Petite adresse à la rédaction et aux actionnaires du Post. Sur Le Post, il est deux Post. Les deux concourent (contribuent avec…) la rentabilité de ce… »
    Très courtois, pas agressif, disant simplement qu’il fallait laisser Le Post prospérer en laissant les posteuses et les posteurs, en catimini, développer une certaine convivialité, loin de la Une, loin des « posts repérés par la rédaction ».

  3. Beaucoup trop long ce texte et donc inconprehensible par le pekin moyen que je suis . Autant je n’aprecie pas toujours les Post du Post.fr en particulier pour leur agressivité et manque de respect , autant je commence à avoir du mal a piger les messages des post de Com4 News qui essayent d’expliquer mais qui n’expliquent pas vraiment !
    A un de ce jours
    A+

  4. Cher monsieur, vous êtes semble il très mal informé. Aucun modérateur marocain ne modère pour Le Post. Ce qui n’aurait d’ailleurs posé aucun souci tant qu’ils ont les compétences requises. Les modérateurs de Netino sont de différentes nationalités car nous modérons en 6 langues et dans certains cas 24h/24. L’équipe d’encadrement est française et basée près de Paris. Je comprends qu’ils soit vexant de voir son message retiré de la publication. Mais il est plus facile de critiquer la modération plutôt que que de se remettre en cause soi-même. Enfin, je vous laisse dire que les consignes vous paraissent absurdes – c’est votre droit – mais il convient d’ajouter dans ce cas, pour être précis, qu’une écrasante majorité de lecteur du Post trouve la modération bonne voire très bonne (résultat d’un sondage récent mis en ligne par un posteur et auquel ont participé plus de 15 000 lecteurs, ce qui est très significatif). Jérémie Mani, Netino

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