Selon un sondage dont les résultats s’expliquent fort bien (pour une fois), une majorité de Françaises et Français croient que Dominique Strauss-Kahn a été « piégé ». Il est surtout de plus en plus ridiculisé. Car l’opinion s’est retournée : la divulgation d’éléments sur la personnalité de la victime, la remontée d’incidents sinon similaires, du moins dépeignant un homme dépendant et harceleur, changent la perception de l’affaire.

On peut le prendre à la légère, en témoigne un jeu en ligne d’un goût un peu douteux : DSK doit attraper des « chambermaids ».
Presque rien du sort de l’un des hommes les plus en vue de la planète ne sera laissé dans l’ombre. Au fait, si vous voulez lui envoyer de l’argent, il suffit de cliquer au bas de sa fiche de détention en ligne (sur le site de l’administration pénitentiaire de New York).

Coïncidence temporelle, une jeune femme se disant harcelée au travail (par un petit patron) se confiait hier soir à un groupe d’amis.
Elle s’était tue longtemps, beaucoup trop, cela devient insupportable : insomnies fréquentes, inattentions récurrentes, véritable angoisse.
Cas classique : elle est lourdement sollicitée, sa charge de travail est alourdie, ordres et contre-ordres se succèdent, car il faut qu’elle cède. En Suisse, 28 % des femmes et 10 % des hommes interrogés pour une enquête aussi exhaustive que possible (du Bureau fédéral de l’égalité et d’un autre organisme gouvernemental) se sont déclarés avoir été sexuellement harcelés sur leur lieu de travail (par des collègues, supérieurs, clients…). Cela dépasse parfois le cadre du lieu de travail et je me souviens du cas d’un jeune homme, poursuivi jusqu’à son domicile par un supérieur, qui s’est formé une maladie incapacitante durable : la somatisation a entraîné une véritable affection invalidante.

S’il y a eu complot, l’appât, la « chèvre » (terme policier) a été particulièrement bien choisie. Une jeune veuve, élevant seule une adolescente, d’origine d’Afrique de l’Ouest… Passons sur le fait qu’elle-même ou son entourage serait présumé(s) atteintes du sida selon la presse américaine. Il faudrait imaginer qu’untel, présumé être quelqu’un du groupe Accor, ait pensé que DSK, incité, par ses penchants, et non par la victime, allait s’en prendre à la première personne de sexe féminin qu’on lui envoyait dans sa chambre. Dans ce scénario fantaisiste, DSK est d’abord « victime » de lui-même, le coup est parfait. J’imagine que si un sondage voisin de celui du CSA était refait demain dans les mêmes conditions, les résultats seraient sans doute inverses : une majorité de sondés estimant que, « non, probablement pas », Dominique Strauss-Kahn n’a pas été victime d’un complot, même si la mise en scène habituelle de la police de New-York peut troubler certains répondants.

De l’autre côté, on voit à présent un certain Benjamin « Ben » Fulford, qui rédige une sorte de lettre confidentielle en ligne, soutient sans le moindre commencement de preuve que Strauss-Kahn aurait été piégé parce qu’il voulait soutenir l’euro aux dépens du Trésor étasunien. Comme par hasard, ses sources très floues seraient issues du cercle familial des Rothschild. Ce conspirationniste est fort imaginatif. Nombreuses et nombreux sont ceux, en France particulièrement, passé le coup de massue de l’annonce de l’arrestation de DSK et la phase « stupeur et tremblement », se sont dits : ce n’est pas possible, il n’a pas pu faire cela. J’admets fort volontiers avoir spontanément, instinctivement, émis, parmi d’autres, cette hypothèse d’un coup tordu, avec tous les conditionnels d’usage. Et les bémols s’imposant : eh oui, le « plus c’est gros, mieux cela passe » est contrebalancé par la réalité dépassant la fiction. Quiconque ayant traité, depuis quatre décennies, de tant et tant d’affaires politiques, financières, industrielles, françaises, sait aussi que ce qui a le goût, la couleur, l’odeur d’une machination n’en est pas forcément une (et inversement, tout ce qui semble limpide mérite souvent d’être fouillé, soupesé, pondéré…). Un exemple ? L’affaire de l’ex-avocate Marie-Élizabeth Cons-Boutboul, condamnée pour avoir commandité l’assassinat de son gendre, Jacques Perrot. Elle n’a jamais avoué…

J’écrivais hier que diverses choses allaient certainement remonter sur le compte de DSK. Cela n’a pas traîné… Une certaine « Martina » a confié au Times de Londres qu’elle avait été très, très lourdement sollicitée par DSK. Elle participe à une sorte d’entretien collectif avec DSK. Selon elle, il la remarque, se débrouille « peut-être via l’Institut culturel français » pour obtenir son téléphone, sa localisation. « Au téléphone, il me suppliait presque d’accepter » (un rendez-vous). Ce sera non. C’est deux ans plus tard, en novembre dernier, que DSK serait revenu à la charge, très lourdement, proposant un entretien exclusif, à Paris ou en France : « il a suggéré de manière pratiquement explicite que je devrai coucher avec lui pour réaliser cet entretien. ». Certes, The Times, passé dans l’escarcelle de Murdoch, n’est plus tout à fait ce qu’il était, mais il n’a pas « fabriqué » cette « Marina » qui a dû étayer ses dires d’éléments matériels.

Or donc, la page Facebook « Supports Nafissatou Diallo (DSK’s sex assault) » vient d’être créée. De Guinéenne, puis Sénégalaise, l’employée du Sofitel est redevenue Guinéenne. Plus on sait qu’il s’agit d’une Peule originaire de Labé, qu’elle a un frère restaurateur, mais aussi une sœur, et un cousin, Mamadou Chérif Diallo, &c., moins la thèse d’une victime manipulée (sans mauvais jeu de mot) à son insu tiendra la route. D’autre part, son avocat pourra contrer toutes les tentatives de minoration des faits reprochés en expliquant que sa cliente était, par exemple, « tétanisée ».

Personne d’autre que DSK et « Nafi » (le diminutif est repris par la presse anglophone, hispanophone, germanophone, italienne, et bien sûr francophone), ne savent ce qui s’est produit dans la suite 28-06 mais déjà des photos souriantes d’une jeune femme amène (qu’il y ait ou non méprise sur la personne) vont modifier la perception générale des faits.

« La seule chose sur laquelle tout le monde s’accorde, c’est son côté lisse et sans histoire… » relève à juste titre 20 minutes. Slate.fr et Éric Lesser ont opté pour mettre en évidence ce que la presse peut savoir de l’employée pour mettre fin « à la théorie du complot » et « aux fausses accusations visant la victime… » (déclaration à l’Atlantic Wire). C’est ce qui s’appelle l’ébauche d’un retournement d’opinion, ou plutôt d’un glissement de la perplexité au sentiment que le doute doit plutôt profiter à la victime qu’à l’accusé.

En sus, les autorités locales en rajoutent un peu dans un sens (DSK traité comme un banal droit commun) et dans l’autre (faire libérer toute une aile et 13 cellules pour lui éviter la promiscuité des autres détenus) qui abonde finalement pour en revenir au même : Ophelia-David contre DSK-Goliath, et l’opinion, l’État de droit, pour Ophelia-Nafi. Cela vaut aussi pour son conseil, Jeffrey Shapiro, qui passe pour un avocat de quartier affrontant deux ténors du barreau. Il décrit sa cliente comme étant « extrêmement vulnérable ». La police de New York laisse entendre ce jour que « plus d’une femme » s’est adressée à elle pour désigner des comportements similaires de DSK. Le Daily Mail évoque un autre incident avec « une femme de chambre mexicaine ». Ce serait une certaine « Cassandre », présumée être une ex-collaboratrice de DSK, qui, dans un livre bien connu publié chez Plon en 2010, DSK, les secrets d’un présidentiable, évoque l’anecdote.
Les faits étaient bien connus en France. Oui, mais, la presse internationale les ressort à la surface, avec El Universal (Mexique), le Corriere della Sera, alors même que The New Yorker, déniche de nouveau sa traduction des passages les plus explicites du texte quant à la réputation de DSK.
Peu avant qu’un grand jury soit réuni, cela ne plaide guère pour DSK. « Se le imputan 6 delitos sexuales ; enfrenta otra posible demanda », titre El Universal. L’espagnol est aussi beaucoup parlé à New York. El Diario (de Nueva York) n’est pas très tendre pour celui qui passe déjà pour l’ex-directeur général du FMI. Même si l’opinion française lui conservait le bénéfice du doute, majoritairement, c’est subsidiaire. Et même, de quelconque façon et d’une manière certaine, cela peut irriter un jury nord-américain…
L’ex-directeur général du FMI depuis jeudi matin passe, aux yeux de l’opinion, pour ce dont, imprudemment, Jean-François Kahn l’a qualifié : un « trousseur de bonniches ».
DSK, avec des journalistes, des élues éventuellement, sait s’arrêter, mais pas lorsqu’il s’agit du petit personnel, qui ne saurait faire entendre un « non », ou dont l’assentiment est dispensable : tel est le nouveau portrait qui en est dressé. Georges Simenon avait cette réputation qu’il ne transposait pas dans son commissaire Maigret. Le personnage de Frédéric Dard, le commissaire San Antonio, grand séducteur, s’attirait bien des sympathies. La France est bonne fille, comme on dit. Mais les privautés non sollicitées qu’autorise La Madelon s’arrêtent au menton. DSK redevient un simple caporal, et se fait épingler.