Tenter de s’en tenir aux seuls faits du formidable rebondissement de l’affaire DSK peut se résumer en une seule phrase : « c’est une histoire de téléphones… ». Il y en aurait à présent autant des deux côtés (DSK et Nafissatou Diallo), ce qui rétablirait l’équilibre. L’un ne se serait jamais caché d’en détenir plusieurs, l’autre aurait dissimulé qu’elle en avait sans doute autant.

Les faits sont, pour le moment, à la fois assez minces et formidablement pesants. Dominique Strauss-Kahn ne devait comparaître que le 18 juillet prochain devant la justice américaine, une audience imprévue pourrait, selon le seul New York Times, aboutir à un considérable allègement des conditions de mise sous résidence surveillée de l’ancien directeur du FMI. Initialement, le NYT avait titré « Strauss-Kahn Prosecution Said to Be Near Collapse ». Ce titre a été modifié en faveur d’un « Strauss-Kahn Case Seen as in Jeopardy ». Ce qui introduit une faible nuance, l’effondrement imminent visant l’accusation se transformant en péril pour les deux parties.

On en était en fait « dans les limbes », vendredi matin, comme l’a titré le Washington Post.
Au moment où tout l’État du Minnesota risque de se retrouver « dans le noir » (titre de l’Huffington Post), faute de liquidités tout comme en Grèce, DSK pourrait retrouver la lumière et une sorte de huis-clos avec une autre femme, Christine Lagarde : que peut-elle bien lui dire, que peut-il bien lui rétorquer ? Accessoirement, un autre, avec Martine Aubry…

Selon Vivian Norris (Huffington Post), le téléphone qu’aurait laissé DSK derrière lui dans sa chambre serait celui, sécurisé, qu’il utilisait pour joindre le FMI. Un parmi d’autres, mais plus précieux que d’autres. Celui qu’avait Nafissatou sur elle serait le moins précieux – les autres, divers, car elle aurait divers comptes chez divers opérateurs – lui permettaient de joindre des correspondants pour lesquels elle hébergeait de l’argent sale dans diverses banques. Chacun ses problèmes de paradis fiscaux, toutes choses égales par ailleurs, en quelque sorte.

« Pourquoi maintenant ? », s’interroge Vivian Norris. Au moment où l’état financier de la Grèce pourrait susciter un effet de dominos et que la solvabilité de maints États américains peut entraîner des répercussions tout aussi graves.

« Pourquoi maintenant ? », et maintenant seulement, l’accusation communique-t-elle à la défense que Nafissatou Diallo aurait téléphoné à un détenu avec lequel elle était en rapports fréquents antérieurs alors que sa conversation – incriminante – était enregistrée dès le lendemain de la comparution de DSK ?

S’il y avait « complot », on pouvait imaginer que des membres du personnel du Sofitel connaissant la réputation de DSK auraient, pour s’amuser, et sans être sûrs de la suite, expédié « la gourde », l’effacée Nafi Diallo dans la suite 2806. Mais elle aurait trompé son monde… appartiendrait au « demi-monde » bien davantage qu’au tiers-monde.

C’est ce que la défense peut soutenir à présent : relations sexuelles consenties avec une semi-professionnelle. C’est ce dont l’accusation peut convenir : même si DSK serait allé trop loin, la plupart des charges pesant contre lui s’effondreraient très probablement devant un jury.

Il est arrivé à tous les immigrés possédant un compte en banque d’être sollicités pour encaisser un chèque d’un compatriote, d’une connaissance n’en possédant pas. Mais là, le cumul des sommes suffirait à justifier une ligne subsidiaire dans les comptes du FMI : une centaine de milliers de dollars, c’est peu, comparativement, mais énorme pour une femme de ménage.

DSK aurait pris Nafi Diallo pour l’« oreiller » (ou « polochon ») habituel supplémentaire que la réception du Sofitel de Strasbourg, qui finit poursuivie pour proxénétisme, aurait été susceptible de fournir en 1974. Ou Nafi Diallo aurait spontanément interprété ce rôle d’un répertoire révolu pour les grandes chaînes hôtelières mais qui a marqué les esprits bien au-delà du siège des institutions européennes.

Évidemment, ce renversement de situation qui n’est quand même pas tout à fait un renversement des rôles (sauf à plaider un comportement lascif de la protagoniste ou on ne sait trop quoi), en implique d’autres. Les masculinistes (le pendant des feministes radicales) ne seront pas les seuls à en tirer parti. Divers autres partis (pas que politiques), aux indignations moralistes parfois sélectives (à l’encontre des Français, voire des Françaises, par exemple), et des individus (le député Bernard Debré, l’autre Luc Ferry national), vont se sentir – un temps, un temps seulement – gênés aux entournures. L’oscillation du fléau de la bascule peut aussi satisfaire celles et ceux (Borloo, Yade… et même, dans une moindre mesure, Sarkozy par exemple) qui avaient fait preuve de circonspection. Jean-François Kahn pourra redire que le président n’a pas hésité « à instrumentaliser deux mots pour assouvir jusqu’au bout une vengeance » (tel un « voyou »). Pour une fois, on reconnaîtra que Bernard-Henri Lévy s’est épargné un trop grand ridicule.

Comme l’avait rappelé Jean-Noël Cuénod (Tribune de Genève), « une indignation collective ne fait pas le printemps des peuples. ». Dans un sens, comme dans l’autre. Faire de DSK un « masque de fer », victime d’une ou de plusieurs raisons d’État(s), serait quelque peu abusif, en tout cas en l’état de ce qu’on peut encore apprendre. DSK forclos (exclu de force, déchu de ses ambitions) n’a pas déjà retrouvé son immunité.

Le New York Post, qui avait plus ou moins joué la carte de l’afrophilie contre l’europhobie, rappelle à ses lecteurs qu’il avait été le premier titre à « soulever des questions sur la crédibilité » de Nafi Diallo (avec cette histoire de logement dans un immeuble hébergeant des personnes atteintes du sida). Ce serait farce si le NYP n’insinuait pas aussi que, selon une source parisienne, les conseils de DSK auraient proposé un arrangement avec la famille de son accusatrice en Guinée.

Pour le moment, le doute dessert désormais les deux parties, dans des proportions qu’il est bien ardu de déterminer. Téléphone(s) contre téléphone(s). Voire virement(s) contre virement(s). Ce qui est sûr c’est que cette grisante affaire commence à laisser un arrière-goût de gueule de bois, voire de retour à la langue de bois…