Voici deux-trois jours, l’affaire DSK, c’était téléphones contre téléphones (les deux protagonistes en avaient autant), mais à présent, ce n’est plus seulement parole contre parole, mais sordide contre sordide. Nafissatou Diallo michetonnait, Dominique Strauss-Kahn écorniflait.

Dernière version en date du New York Post : c’est parce qu’il aurait refusé de payer ses services « extra » hôteliers que Nafissatou Diallo aurait fini par décider de faire cracher Dominique Strauss-Kahn au bassinet.
Je vous épargne les détails que vous retrouverez consignés dans les deux précédentes contributions (DSK : téléphones contre téléphones ; DSK : la putain irrespectueuse…) ou leurs commentaires d’actualisation.

Dans la série « DSK, saison II » (titre bien trouvé de Libération), il y a deux feuilletons, deux intrigues qui s’entrecroisent. Le feuilleton des faits, qui laisse désormais penser que le groupe Accor avait des pratiques de recrutement peu rigoureuses ou que l’éthique de certain·e·s de ses employé·e·s laisserait à désirer. L’intrigue, au deux sens du mot, des commentaires. Les sérieux, les bouffons.
En demi-teinte, j’ai déniché une très insolite contribution d’une israélite américaine sur un site confessionnel et communautaire de Los Angeles : fornicateurs israélites contre adultérins gentils. Trois partout avec les cas DSK, Spitzer, Weiner d’un côté, Edwards, Sanford, Schwarzenegger de l’autre. Peu importe, c’est du sensationnalisme essentialiste, le même qui veut que DSK incarnerait la France et je ne sais trop qui les All American virtues.

Attendez-vous à savoir, comme débutait le billet de JPLT007 sur ComeNews (« Rebondissement DSK » ; qui tente avec succès d’élever le débat quand d’autres, comme moi, restent le nez dans le guidon de l’actu fraîche), que le débat pourrait – encore – déraper. À peu près la moitié des Françaises et Français seraient pour un retour de DSK à la vie politique en France, l’autre moitié approximative du sondage dominical du Parisiense prononçant contre. Un mauvais payeur rechignant à rétribuer une michetonneuse et s’en débarrassant à la hussarde pourrait-il gouverner la France ?Arf ! Kolossale question qui découle des dernières révélations du New York Post.

Le Figaro résume : l’hypothèse de l’appartenance de Nafissatou Diallo « à un réseau de prostitution en provenance de Guinée » est avancée. Le groupe Accor infiltré, via le Sofital New York, par un gang africain ? L’ex-patron du FMI refusant son petit cadeau à une travailleuse guinéenne ? Mais la cave se rebiffe ? Cela tourne au grand guignol et la Fifth Avenue, bordée par « l’architecture de calcaire et de verre » (d’opacité et de transparence) du Sofitel, devient un boulevard du crime !

À qui profite-t-il, le crime, ou plutôt l’infraction de troisième catégorie entraînant une peine de trois mois d’emprisonnement ? Rien n’empêche une prostituée de devenir plaignante du fait d’un comportement déplacé lors d’un rapport sexuel tarifé consenti. Si le client soutient que cela découle, tout comme son refus de rétribution de la prestation, d’un comportement indélicat, c’est bien parole contre parole. Mais l’intérêt de DSK est de conserver le silence et de laisser la suspicion peser sur Nafissatou Diallo.

Laquelle conserve quelques partisans s’exprimant dans la presse internationale. Mais Bernard-Henri Lévy peut pavoiser. Maureen Dowd peut, dans le Sydney Morning Herald et le New York Times, s’interroger : « La gauche française avait peut-être encore une fois raison… ». Je ne vois pas trop ce que la gauche française peut bien avoir de raisons de se féliciter. Certes, Élizabeth Guigou a épargné aux mis en examen français le fameux « perp walk » étasunien, mais au-delà, l’attitude du PS sur la Libye n’est pas plus limpide qu’elle le fut sur l’Irak (le vieux contentieux franco-américain rappelé par Maureen Dowd).

Les derniers rebondissements peuvent encore donner matière à penser aux féministes, aux masculinistes, à qui le voudra. Si Nafi Diallo se livrait à la prostitution hôtelière, on relèvera qu’aucun de ses clients n’a eu le cran d’en témoigner. Les rares femmes ayant dit publiquement que DSK était un séducteur pas vraiment déplaisant ont fait preuve d’un comportement fortement « burné » de leurs gonades, non ? Bref, qui veut conforter ses préjugés en se raccrochant aux branches ou clamer qu’il avait tout compris dès le départ a toujours de quoi se « justifier ».

Ce que je trouve limite sordide, c’est que les rédactions en chef font monter leurs chroniqueuses au créneau pour dénoncer le sectarisme des « idéologues » féministes. Elles auraient joué contre le camp des femmes, et celui des féministes modérées parmi elles. C’est ce que je conclus de la chronique d’Emma-Kate Symons (dans The Australian), mais aussi de contributions d’autres chroniqueuses anglophones en divers titres. Maureen Dowd, contrainte à procéder à une prudente volte-face sans trop se déjuger, se fait allumer par Emma-Kate Symons et d’autres. Il y a comme du crêpage de chignons dans l’air et les très confraternels confrères jouent les Ponce Pilate : laissons les consœurs se bisbiller. Attendez-vous à savoir que le thème du « féminisme à la française » contre « à l’américaine » n’est pas épuisé.

Ce que je ne trouve pas vraiment sordide, c’est la remarque de Rachel Marsden dans Human Events. « Si j’arrangeais un dîner avec Dominique Strauss-Kahn en vue de lui donner un coup de pied dans les testicules, pourrais-je arguer devant les autorités qu’il a un lourd passé évident avec les femmes et que son récit de l’incident ne peut par conséquent être crédible ? ». Cela vaut bien sûr aussi pour Nafi Diallo dont le lourd passé qui émerge peut – ou non – faire penser qu’elle ment systématiquement. Ce qui influe sur le cours de la justice américaine qui pourrait préférer que la vérité des événements soit définitivement enfouie à la défaite devant un jury dans une affaire sensible. Justice et vérité ne sont pas de parfaits synonymes.

Le « Britannique » Times (du groupe international Murdoch) se demande encore, si « le chimpanzé en rut » peut redevenir un candidat à la présidence française. DSK reste aussi un harceleur aux yeux de diverses chroniqueuses tandis que Barbara Kay, dans le canadien National Post, étend le cas de Nafi Diallo à celui de toutes les femmes traînant des hommes devant les tribunaux en racontant des craques : « les femmes mentent aussi, » titre-t-elle. Oui, mais ces cas sont très rares, rétorquent des féministes françaises en s’appuyant sur des statistiques (discutables, sans doute, mais toutes le sont).

Sordide ou non, cette révélation tardive rapportée par le Daily Mail ? La police de New York avait placé Nafi Diallo dans un hôtel de Brooklyn mais libre de recevoir des visiteurs. Elle en aurait profité pour faire des passes. Bref, hébergée gratuitement, avec gîte et couvert, après deux semaines sous intense surveillance, elle aurait commencé à arrondir son ordinaire, avec d’anciens clients du Sofitel qui avaient conservé son numéro de téléphone, avec des chauffeurs de taxi, des marchands ambulants. Le New York Post a obtenu une semi confirmation d’une source officielle : « je ne peux dire à cent pour cent que c’est faux, » a déclaré un procureur.

Sordide, Alain Lipietz, député Vert, qui s’interroge sur les déclarations de personnalités socialistes en faveur de DSK ? Alain Lipietz relève : « On n’a pas découvert par exemple que le sperme trouvé sur le chemisier d’Ophelia n’était pas de DSK, et la défense à d’ailleurs abandonné la ligne comique des premiers jours (“il ne s’est rien passé car cette femme n’est guère attirante”, tiens oui, on attend toujours sa photo !) Mais la ligne de défense actuelle “OK, il y a eu sexe, mais elle était consentante” n’a reçu aucune confirmation des révélations d’hier. ». Ce n’est pas faux. Ajouter que « les cris de triomphe du PS (…) compréhensibles au nom de l’amitié (…) relèvent de la manipulation de l’opinion » est quelque peu osé. Il considère en substance que l’accusation ne s’est pas effondrée. C’est un fait, si elle s’effondre, ce sera de celui d’un procureur ne voulant pas risquer d’être désavoué par un jury.

Sordide ou toute naturelle, cette décision du groupe Accor d’alerter vers minuit Nicolas Sarkozy à propos de la toute récente arrestation de Dominique Strauss-Kahn ? Sordide la déclaration de François Loncle (PS) qui évoque l’hypothèse de connections entre le groupe Accor et « certaines officines françaises » ? On sait que le groupe Accor est l’un des hébergeurs des étrangers expulsés de France… L’Élysée et Matignon se refusent à tout commentaire. Marc Dugain, dans le JDD, pose la question de la réaction de la direction du Sofitel : « A-t-elle encouragé la plaignante dans sa démarche accusatoire uniquement pour complaire aux règles morales ou a-t-elle agi sur ordre ? Dans tous les cas, l’affaire existait et on ne peut pas suspecter l’hôtel de l’avoir créée de toutes pièces. ». Créée, non. Sauf à s’imaginer que DSK aurait été prévenu de l’arrivée d’un « compliment de la direction », soit d’une gracieuseté s’ajoutant au surclassement, cette fois sous la forme d’une employée rétribuée pour d’autres services que le simple nettoyage de la chambre. Avec laquelle user à sa guise. C’est peu crédible. DSK est peut-être naïf, sûr de ses prérogatives, mais à ce point ?

Ce qui tourne au simple fait divers pour les uns, reste une affaire majeure aux multiples aspects pour d’autres, avec des dessous sordides quel que soit le scénario.

Nafissatou Diallo est peut-être vouée à retrouver un passé matériellement « sordide » (« renvoyez-là dans sa boue, en Afrique ! » vocifèrent des commentateurs). Dominique Strauss-Kahn est sans doute destiné à recouvrir un avenir qui l’est, d’une certaine manière, autrement. Ce n’est sans doute pas le FMI qui « fabrique » des Nafissatou attirées par les fastes, à présent retrouvés, des DSK-Sinclair. Les Nafissatou s’en chargent elles-mêmes. Elles spéculent sur ce qui se trouve à leur portée comme d’autres sur le marché de l’art. Question d’opportunités. Les unes de grimper dans l’échelle sociale, d’autres de loger à l’Élysée. Enfin, en tout cas, si on le voit ainsi, le sordide est fort partagé…

N.-B. – l’illustration est de Bruce Kluger, de l’Huffington Post (avec les compliments du NYP) ; pas mal vu du tout. Les révélations sur le passé de Nafissatou Diallo peuvent mener à… on ne sait plus trop quoi.