Elle fume pas, elle boit pas, elle drague pas mais elle cause. Non point Annie Girardot dans le film d’Audiard, mais Nafissatou Diallo qui soutient sa cause contre Dominique Strauss-Kahn dans les médias, à visage découvert. Son entretien avec Newsweek est le plus détaillé, elle s’est aussi exprimé pour ABC News qui diffuse ce lundi en boucle…

Aubaine pour la Carmen de Georges Bizet d’après Prosper Mérimée et l’Opéra-comique. Sans doute davantage pour la version Céline Dion (Milva) ou d’autres (La Habanera). « L’une parle bien, l’autre se tait / et c’est l’autre que je préfère : il n’a rien dit, mais il me plait… ». L’hôtel Sofitel Magique (version Dion) « tra fuochi e artiglierie », va faire s’égosiller le chœur : « Prends garde à toi, DSK ! ».

Combien de fois ai-je pu lire, sous diverses plumes, qu’il était « interdit » à Dominique Strauss-Kahn de s’exprimer sur ce qui se serait (le conditionnel s’impose) déroulé dans la suite 2806 du Sofitel de New York ? Que nenni ! Hormis la ligne de défense, à la Maginot, de ses avocats, rien n’empêche DSK de franchir la distance le séparant des micros et des enregistreurs.

Je déteste faire allusion au physique des personnes lambda (pour les publiques, par exemple, les talonnettes de Sarkozy, ou les bandes constrictives qu’il s’impose à présent aux chevilles, sont bien commodes) mais bien évidemment, à voir Nafissatou Diallo sur ABC News, le commentaire des avocats de DSK revient aux mémoires. À moins que Nafi Diallo ait eu une réaction boulimique ultérieure due à l’angoisse, on l’imag(in)era telle qu’elle paraît sur les écrans au moment de franchir le seuil de la suite de DSK au Sofitel. Elle présente la carrure d’épaules de celles qui soulèvent ces véritables masses que sont les matelas des hôtels de luxe et correspond plus ou moins au qualificatif de la défense de DSK : « unattractive » (au physique quelconque, voire ingrat).
On en pensera ce qu’on voudra : RMC avait estimé que cette apparence pouvait servir la défense (Benjamin Brafman et William Taylor se sont refusés à tout commentaire sur ce point), d’autres ont soutenu exactement le contraire. « La défense se penche sur la personnalité et la vie de la victime présumée pour tenter de prouver qu’elle aurait eu un intérêt matériel à se présenter en tant que telle. Les avocats auraient été surpris, lors de la comparution, de voir arriver une jeune femme très peu séduisante. » (RMC, 16 mai 2011).

Elle est comme ceci, comme cela, c’est bien la preuve que… ou de l’inverse. C’est donc reparti pour un tour depuis que Nafissatou Diallo s’est confiée à Newsweek et à Robin Roberts, d’ABC News. Non, selon ses dires, Nafi Diallo n’avait aucune notion de l’importance de DSK. Oui, c’est totalement désemparée qu’elle s’est agenouillée pour complaire aux insistances de l’hôte de la suite 2806.

Taylor et Brafman ont immédiatement réagi : « Ms. Diallo est historiquement la première à mener une campagne médiatique pour persuader un procureur de maintenir les charges pesant sur une personne dont elle espère de l’argent. ». Et de poursuivre en s’en prenant aux conseils de la partie adverse, en s’appuyant sur la déontologie, dénonçant cet attitude consistant à « enflammer l’opinion publique ».
Ce en orchestrant un « cirque indécent » (médiatique) en dépit du « nombre des mensonges et dépositions douteuses » de leur clientes.

L’indécence (unseemly circus) ne semble pas devoir être partagée, jusqu’à nouvel ordre, DSK ne répliquera pas, c’est son choix, celui conseillé de nouveau par Taylor, Brafman & Co.

« Dieu m’en est témoin, je dis la vérité. Du fond de mon cœur. Dieu le sait. Il le sait ! », reprendront sans doute en boucle, après Good Morning America, les radios et les télévisions. Elle le veut « en prison ». Elle a commis des « impairs » (mistakes) mais cela ne doit pas suspendre le bras de la justice, donc, dans un premier temps, celui du procureur Cyrus Vance Jr. Elle se doit de parler à présent, « je dois dire la vérité. ». L’enquête se poursuit, a fait savoir le parquet de New York, se refusant à tout commentaire pour protéger « les droits de la victime, et les droits de l’accusé. ».

La couverture de Newsweek, édition nord-américaine, évoque fort le montage du Figaro confrontant François Hollande à Tristane Banon. Trois-quarts (DSK) contre profil de médaillon (Nafi Diallo). Le dossier de Christopher Dickey (il fallait l’oser, s’il s’agit d’un pseudonyme, car « dick » peut se traduire par trique), et John Solomon (le bien nommé en matière judiciaire : le judicieux biblique jugement de Salomon étant légendaire) s’étale en cahier central.
« À présent, elle donne sa version », proclame la une de couv’.

« Et tout à coup, un homme nu aux cheveux blancs… ». Ainsi les journalistes résument-ils le début de l’entretien accordé, trois heures durant, dans les bureaux du cabinet Thompson Wigdor, qui défend Nafi Diallo.

Elle s’est laissé persuader d’ouvrir des comptes bancaires et de servir de prête-nom contre « six ou sept » copies de sacs griffés « pas de très bonne qualité » qu’un homme en lequel « elle avait autrefois confiance » lui avait remis.

C’est fortuitement, à la faveur du congé de maternité d’une collègue, qu’elle se voit confier l’étage 28 et non plus 14 chambres réparties sur divers étages. L’entretien est ponctué de pleurs. Elle est veuve d’une fillette en bas âge, fut violée à Conakry par deux soldats lui reprochant de n’avoir pas respecté le couvre-feu, elle a réussi à obtenir l’asile aux États-Unis.

DSK lui aurait saisi les seins immédiatement avant de claquer la porte de sa suite. Il l’aurait entraînée sur le lit en lui assurant qu’elle ne risquait pas de perdre son emploi. Elle se défend maladroitement car elle ne veut pas blesser un client et se faire renvoyer.
« Suce ma… » : elle s’exécute ou DSK éjacule subitement, on ne sait. Elle se réfugie dans le couloir, DSK finit par sortir et prendre l’ascenseur en lui jetant un regard terne. L’agression présumée n’aurait duré qu’approximativement huit minutes car DSK a (pas de conditionnel ici) téléphoné à sa fille environ neuf minutes après que Nafi Diallo ait pénétré dans la suite…

Moins d’un quart d’heure se passe entre l’entrée de Nafi Diallo dans la suite et la sortie de DSK qui s’est rhabillé, a bouclé ses bagages, descend à la réception.

Les médecins ayant examiné la femme de ménage auraient bien constaté ce qui a pu filtrer dans la presse (rougeur persistante de la zone génitale) et confirmé ultérieurement que Nafi Diallo souffrirait de la déchirure d’un ligament à l’épaule.

William Taylor, informé par Newsweek, évoque « le théâtre de boulevard » et une mauvaise pièce concoctée par la partie civile. Nafi Diallo en appelle à la justice américaine : « il y a des endroits où vous ne pouvez pas jouer de votre pouvoir, vous ne pouvez pas vous servir de votre argent. ».

Newsweek revient sur la conversation qu’elle a menée en langue peule avec Amara Tarawally en juillet.
La phrase incriminante – « cet homme est plein aux as » – aurait été sortie du contexte d’une seconde conversation téléphonique, et non pas de la première.

L’enquête, selon Newsweek, ne laisse pas supputer que DSK aurait été victime d’un coup prémédité. En tout cas, selon l’enquête, s’il y a eu complot, ce ne serait pas avec les comparses habituels de Nafissatou Diallo, il aurait été totalement improvisé. La « piste Sofitel » semble abandonnée, il se peut qu’elle ait pu être considérée, mais rien dans le dossier de Newsweek ne permet de l’imaginer.

Nafissatou Diallo « brise le silence », titre Le Point… Le reste de la presse titre à l’avenant, plutôt factuel. Mais France-Soir (Sandrine Briclot) donne la parole à David Koubbi : « j’ai rencontré Nafissatou Diallo ».

Selon l’avocat de Tristane Banon, Nafi Diallo parait « sincère » et serait « une ombre ». Elle en est sortie.
Il commente la robuste stature de la Guinéenne : « le même argument existe à l’inverse pour ma cliente au physique frêle : si DSK avait vraiment tenté de la violer, il y serait parvenu. Si ce sont là les axes de défense qui nous sont opposés, la partie sera plus facile que prévue. Nafissatou Diallo a un physique qui est le sien, elle n’est ni repoussante, ni particulièrement imposante. ».

« Quand on voit le profil de maritorne de la “victime”, putaing, ça te coupe directo l’envie », commente à chaud Negavesque, blogueur hébergé par le Nouvel Observateur. Les traces de semence, « des excoriations éventuellement auto-infligées », ne prouvent strictement rien d’autre qu’un rapport sexuel.

Peu de téléspectateurs français captent les chaînes américaines, mais l’estimation « à la tête du client » (DSK ou Nafissatou Diallo, ici), ira bon train ce jour, avec des « conclusions » radicalement opposées.
Seneweb relève : « C’est en regardant la télévision qu’elle apprend le nom du client de la suite 2806 et elle panique : “ Ils disaient qu’il allait être président de la France et j’ai pensé, ils vont me tuer.” ». D’autres estimeront toujours que Nafissatou Diallo ne peut être crédible, qu’elle savait à l’avance, du moins en prenant son service.

Beaucoup ont pensé qu’une telle femme, de par ses origines, sa situation sociale, se serait tue si elle avait été véritablement victime de l’agression dont elle fait état. Et bien, elle se serait tue. Ou du moins, de ce qu’il ressort de ses dires, elle aurait laissé ses employeurs décider de la suite. Elle aurait indiqué tout d’abord à sa première interlocutrice : « et s’il arrivait que… ». Par la suite, ce ne sont pas forcément des employés français, et apparemment pas la hiérarchie la plus haut placée, qui l’auraient convaincue de porter finalement plainte. Tout comme Tristane Banon, elle aurait pesé le pour et le contre. Ce n’est pas indifférent de faire ce rapprochement, qui restera, quoi qu’on fasse ou dise, controversé.

 

Sincère, forcément sincère, ou affabulatrice, forcément affabulatrice… La réalité, selon ses options ou convictions, fait du sur-place après l’apparition publique de Nafissatou Diallo. Mais l’hypothèse d’un complot soigneusement orchestré semble avoir perdu des points.
Peut-être pas sur les planches du « Boulevard du crime » et pour la mise en scène que dénoncent les défenseurs de DSK.

L’hypothèse inverse, celle d’un DSK une fois de trop (il aurait eu trois rapports sexuels, avec trois femmes différentes, dans les 24 heures précédant sa rencontre fortuite avec Nafi Diallo), « victime de lui-même », voire d’une maîtresse-chanteuse d’occasion, selon les versions, regagne du terrain du côté des scénaristes. Car Nafi Diallo n’a pas l’étoffe de la cigarière de Mérimée ou Bizet, et à peine celle d’une Mata-Hari, qui fut, en son temps, diabolisée bien au-delà de la réalité, transformée en coupable effroyable pour des broutilles.
Seule certitude : les spécialistes de la distribution, de la recherche d’actrices, ont déjà commencé à faire des recherches dans leurs archives, comparant des photos. La Casta consentirait-elle à prendre du poids et supporter un maquillage complexe pour interpréter Nafi Diallo ? Le rôle n’était pas pour Mimie Mathy (sauf improbable version burlesque). Jean-Pierre Castaldi ferait-il un bon DSK, un peu « gorille » dans son interprétation ? On ne sait toujours pas si DSK ira ou non jusqu’au banc des accusés, mais divers saltimbanques sont déjà sur les rangs, et les scénaristes revoient leurs copies…