Comme tout un chacun dominant un peu la langue anglaise, j’ai lu très attentivement les pages d’Edward J. Epstein dans The New York Review. J’en retiens trois choses : des éléments connus de l’accusation ont tardé à sortir, personne ne peut dire vraiment ce qui s’est réellement passé dans la chambre du Sofitel et Epstein ne soutient pas que Nafissatou Diallo ait menti. Le reste…

Si cela n’avait pas été l’affaire Nafissatou Diallo, celle du Carlton de Lille serait sortie de toute façon avant le vrai début (retardé le plus tard possible par Nicolas Sarkozy) de la campagne présidentielle.
Diallo a constitué une véritable aubaine.Oui.
Mais pour qui vraiment au juste ?

Quoi que puisse en dire le groupe Accor, il est bien évident qu’une partie de son personnel avait toute raison de se réjouir de voir Strauss-Kahn se retrouver avec une sale affaire sur les bras.

Le groupe, présent partout dans le monde, ou ses principales filiales, avait, au moins un temps, su recruter ou offrir des fonctions à des politiques devant pantoufler pour un moment.

 

Ce qui n’est pas un si mauvais investissement, surtout si ces personnalités avaient su garder des contacts dans les pays ou des implantations étaient envisagées.

 

De plus, pour des services de renseignement, il n’est pas indifférent de savoir que tel ou tel dirigeant, haut-fonctionnaire, militaire ou personnage d’influence, se trouve à tel ou tel endroit, si un homologue ou contact lui envoie une voiture officielle ou non, et de disposer d’indices sur les déplacements et activités de gens importants.

Il est tout aussi évident qu’il s’est bien trouvé, au groupe Accor, des gens pour faire grise mine en apprenant que DSK se retrouvait « pincé » par la justice américaine.

Laquelle, tout comme d’ailleurs les avocats de Dominique Strauss-Kahn, a reçu des documents sur les liens existant entre le groupe dans son ensemble, et certains de ses cadres, avec divers ministères français. L’article d’Epstein le confirme.

On se demande pourquoi DSK a commis la relative imprudence de descendre dans un hôtel du groupe. D’un côté, il pouvait bénéficier d’une certaine considération (si ce n’est complaisance à l’égard de visiteuses), de l’autre, il devait bien se douter qu’il serait plus ou moins surveillé.

Si complot il y avait, il se fonderait sur le fait de lui avoir expédié Nafissatou Diallo plutôt qu’une autre, ce qui relèverait d’un pari. Il y a aussi bien sûr les réactions d’une partie du personnel d’encadrement, lequel aurait pu conseiller à Nafissatou Diallo d’éviter de porter plainte si « vite » (ce qui est tout relatif).

Démentis

Bien sûr, Accor ou l’UMP ont beau jeu de traiter Epstein avec un certain détachement. Certes le journaliste a déclaré au Journal du dimanche ne pas avoir cité d’autres relevés téléphoniques « faute d’espace et de temps ». Mais son titre n’est pas « DSK framed » ou « le complot contre DSK ». Y compris dans ses déclarations ultérieures, il s’en tient à un plausible « on peut se poser des questions ».
Sa seule source, c’est une personne ayant eu accès à l’ensemble des documents en la possession du bureau du procureur. Ces éléments lui ont permis de les mettre sous le nez de témoins ou protagonistes qui ont accepté ou non de les commenter. Point.

Personnellement, si j’avais appris pratiquement avant tout le monde ce qui arrivait à DSK, j’aurais sans doute été un moment ébahi, mais je ne peux pas affirmer que j’aurais pu avoir une réaction surprenante, comme de me taper sur les cuisses : non pas que DSK m’ait été antipathique ou moins sympathique que, par exemple, Nicolas Sarkozy, mais, interloqué à ce point, on peut réagir très diversement, prêter le flanc à toutes sortes d’interprétations.

L’histoire est initialement tout simplement trop énorme. Pour Epstein, Nafissatou Diallo « n’y est pour rien. ». Manipulée, peut-être, connue pour être susceptible de se livrer, si sollicitée, à des « extras », allez savoir… Pour partie victime d’elle-même tout autant que DSK de lui-même, c’est une supputation : tout le monde a dit tout et son contraire à un moment où un autre…

Pour le moment, le groupe Accor peut fort bien soutenir que le moment d’hilarité de ses deux employés « ait quelque lien que ce soit avec Monsieur Strauss-Kahn ». Et tant bien même…

Complot, évidemment

S’il y a complot, il ne semble ni antérieur (dans l’affaire du Carlton, DSK n’a pas un rôle de nature criminelle, sauf aux États-Unis, s’il avait été établi qu’il faisait venir des prostituées en connaissance de cause), ni vraiment simultané.
Pourtant, un ancien employeur de Nafi Diallo entretenait des liens étroits avec certains gradés de la police de New-York, lesquels en entretenaient d’autres avec des homologues français (nos précédents articles sur l’affaire, et la presse américaine). Certes.

Mais Epstein de revient pas sur cet aspect, il dédouane Diallo. Si complot il y avait, il faudrait supputer que le NYPD ait été fortement incité à produire DSK menottes aux poignets. Mais de toute façon, l’affaire du Carlton attendait DSK en France. Bien sûr, elle est moins dommageable. Du moins le semble-t-il, à première vue (recevoir des dames défrayées par Eiffage, ou quiconque en mesure de solliciter des faveurs ultérieures d’ordre financier, par exemple, n’est guère reluisant).

De la part de l’UMP, faire mousser les affaires Strauss-Kahn est parfaitement dans l’air du temps. Imaginez, rue Solférino, au siège du PS, que soit appris quelque chose de vaguement similaire qui viserait Nicolas Sarkozy ou Carla Bruni en goguette. Genre relaxation sur une plage lointaine en compagnie de diverses Amy Winehouse, éméchées et dénudées, et des Memphis Slim (jazzman autre fois réputé pour se produire fortement imprégné) pour chevaliers servants. Mousseux ! Voire champagne !

Que dit Epstein au Parisien : « Je ne pense pas que ces mêmes personnes ont provoqué cette affaire d’agression sexuelle, mais tout indique qu’ils ont essayé d’en tirer partie dans le but de lui nuire… ». Soit cela ne vise qu’à le mettre à l’abri de poursuites en diffamation, soit ce qu’il déclare est d’une parfaite banalité. Car tirer partie d’un fait pour nuire « encore davantage », dans un tel contexte, malheureusement, c’est du domaine du courant.

Blackberrygate et Watergate

Beaucoup plus gênante pour l’entourage de la présidence française, l’éventualité d’un tripatouillage électronique du téléphone portable de DSK ne grandirait pas l’appréciation que se fait l’électorat des officines employées par le pouvoir. Mettre le directeur du FMI, opposant politique de surcroît, sur écoutes, c’est grave.
D’autant qu’il aurait alors été possible de « faire écrire » à DSK quelque chose qui l’aurait mis dans un fort embarras, pour le moins. Un courriel du type « surtout, gardez-le pour vous, mais… » peut provoquer de fort remous. Surtout si un destinataire disposé à faire fuiter l’info se retrouvait « par erreur » dans la liste d’expédition en copie…

Fort d’une majorité socialiste au Sénat, le « Club DSK », soit Antonio Duarte, Gilles Saulière, et d’autres personnes n’apparaissant pas (amis ou connaissances personnelles du couple Anne Sinclair-DSK), ainsi qu’un peu plus de 2000 « adhérents », réclame à présent une enquête parlementaire.

Pour le moment, l’UMP ne clame pas que Clémence D. ou Véronique B. aurait pu être une « taupe » infiltrée par l’équipe de campagne de DSK au siège de l’UMP. Ce serait soit l’une, soit l’autre, qui aurait informé DSK, deux heures avant s rencontre avec Diallo, que son Blackberry était piraté. DSK aurait donc voulu faire expertiser cet appareil très peu de temps avant l’affaire.

DSK se refuse à tout commentaire, mais son conseil, William Taylor, affirme « on doit à présent se demander si l’hôtel et gouvernement français disent bien la vérité. ».

Cui bono ? À qui profite…

N’empêche, la thèse du complot se répand. Ce serait parce que le FMI allait demander aux créanciers de l’Irlande d’abandonner partie (les deux-tiers) de leurs créances que…, ai-je pu lire. Car il n’y aurait plus de réserves d’or à Fort Knox et que DSK allait cracher le morceau, dit-on ailleurs. C’était pour éviter que la pression soit mise sur les banques de l’Union européenne afin qu’elles mettent au pot, comme DSK s’apprêtait à le suggérer, affirme-t-on aussi.
En Afrique, d’autres raisons liées aux dettes des États africains, sont invoquées, de même que le projet de dinar or de Kadhafi. Bref, vu du pourtour de l’Hexagone, soit DSK est présenté comme l’homme à abattre, soit, au contraire, parce qu’il n’avait pas les intentions qu’on lui prête ailleurs, et qu’il restait un partisan de la mondialisation, du gouvernement par la finance internationale, cette histoire de complot est absurde.

Vu de Landernau, les mêmes hypothèses sont parfois évoquées, mais la tonalité générale est plus nombriliste : c’est surtout l’opposant à Sarkozy qu’il fallait éliminer de la course à la présidence française. À l’inverse, il est allégué que Esptein est surtout un ami de Michel Taubmann, qui va sortir un livre favorable à DSK, et qu’il n’en a fait que soutenir les ventes.

Et de citer abondamment Rémi Duchemin, d’Europe 1 : « Sauf que Michel Taubmann, le biographe officiel de Dominique Strauss-Kahn, parlait du journaliste américain comme d’un “ami” dans France Soir, en août 2011. ».

Le Financial Times a repris l’article d’Epstein, et sa rédaction évoquait hier « les deux heures qui ont coulé Strauss-Kahn ». Les commentaires sont partagés : « Sarkozy n’a quand même pas forcé DSK a lutiner Nafi Diallo », remarquent les uns. « Une conspiration de type pot de miel », soutiennent d’autres (Diallo étant bien sûr le mielleux appât). Le nom de Boris Roque-Rougery, qui aurait été embauché au Sofitel grâce à des recommandations de l’UMP, peut-être de l’un des fils Sarkozy dont il était le condisciple à… l’Institut Saint-Dominique (si) de Neuilly, remonte à la surface.

Selon La Voix du Nord, c’est sous le régime de la garde à vue que DSK sera entendu à Lille sur le volet Carlton de ses relations. Alors que sa désignation en tant que témoin assisté lui aurait permis de prendre connaissance de l’ensemble du dossier.

Cela reste-t-il une supputation (de la Voix du Nord, désinformée ?) ou un fait ? On ne voit plus l’intérêt de déstabiliser quelque peu davantage DSK, dont la plupart des appuis ont rejoint Hollande.

Qu’il y ait eu piège ou complot, soit, admettons pour les besoins de la démonstration. Mais c’était vraiment prématuré de le déclencher avant les primaires du Parti socialiste. Ne valait-il pas mieux attendre que DSK soit désigné candidat officiel du PS ?
Ou alors, il faudrait vraiment croire que c’était le directeur du FMI et non le candidat socialiste qui était prioritairement visé… et poussé au faux-pas fatal.
Ce qui reste à démontrer précisément.

P.-S. – dernier point subsidiaire : pour désactiver un Blackberry, il suffit d’en lire le mode d’emploi. « Pour désactiver la technologie GPS, définissez le champ Services de localisation sur Localisation désactivée». Ce n’est pas du tout aussi compliqué qu’Epstein fait semblant de le croire. En revanche, qui veut croire qu’à Lille, dans le Nord, à Bruxelles ou en Belgique, DSK n’était pas « pisté » d’une manière ou d’une autre ?

N.-B. – Largement souri en voyant le dessin d’un caricaturiste campant Nicolas Sarkozy tout attendri devant le berceau de Giulia Sarkozy-Bruni.
Le berceau est surmonté d’un mobile avec pour « personnage » un Blackberry aux initiales de DSK.