Drogue et blanchiment (II) : les juteuses affaires des El Maleh

Ne revenons pas sur le volet Florence Lamblin (traité ici avant-hier) de l’affaire de blanchiment des recettes du trafic de stupéfiants provenant du Maroc et ayant arrosé une large partie de la banlieue parisienne.

Mais intéressons-nous plutôt au clan El Maleh, représenté en France par Mardoché, et en Suisse par quatre personnes…
Les fraudeurs fiscaux français consentaient une commission de 8 % au circuit leur fournissant des liquidités issus de comptes en Suisse. Ils seraient, selon le JDD, une trentaine au total.
Mais l’affaire secoue surtout la place suisse et peut-être bientôt le Maroc : l’enquête consiste à présent surtout à remonter aux destinataires finaux du trafic qui pouvaient puiser dans le ou les comptes HSBC de la City de Londres. 

Le Square Mile, la City de Londres, ne s’inquiète pas déjà de l’enquête interne menée au siège genevois d’HSBC. Cela viendra sans doute…
C’est là que travaillaient deux membres de la famille El Maleh dont Nessim, frère de Meyer El Maleh, qui a repris l’affaire de son beau-père et monté GPF SA, société de gestion et promotion financière que nous mentionnions dans notre article du 12 oct. (voir « Blanchiment et drogue : bobos chics, bobos chocs »).

Meyer (ou Meir) El Maleh, détenu à la prison de Champ-Dollon, près de Genève, qui réside à Conches où un million de CHF et pas moins de 160 montres de luxe, serait, selon son avocate Me Stikel-Cicurel, blanc comme neige, et non brun comme du cannabis. Soit que, tout comme à Paris pour Florence Lamblin, on ne pourrait lui reprocher que d’avoir facilité l’évasion fiscale de certains clients français, et puis, « c’est un collectionneur de montres de luxe, et s’il a envie de mettre son argent liquide chez lui, il est libre, non ? », résume son avocate.

Âgé de 48 ans, binational marocain et suisse, père de trois enfants, il ne passerait pour « le cerveau présumé » du système, comme le titre La Tribune de Genève, que du fait de sa position d’aîné. Il faut croire que, tout comme son frère cadet Nessim, qui a aussi travaillé, tout comme un ou une parente, à la HSBC à Genève, il aurait trompé, à l’insu de leur plein gré, par le benjamin, Mardoché, qui collectait l’argent de la vente de cannabis à travers toute la grande banlieue parisienne. Lequel Mardoché soignait aussi sa sœur, Fanny, qui disposait d’un coffre pour abriter des fonds en France.

Blanchiment aggravé

Ils risquent gros, selon Le Matin, car percevoir des commissions (le parquet français avance le taux de 8 %) constitue, en Suisse, « du blanchiment aggravé ». Mais de toute façon, l’aide à l’évasion fiscale, si formellement avérée, est aussi, désormais, passible de poursuites en Suisse.

Parmi les fraudeurs fiscaux français figurerait Me Robert Sellam, 56 ans, dont le cabinet de l’avenue Montaigne à Paris compte parmi ses clients d’anciens dignitaires du régime malgache déchumais aussi d’autres personnalités internationales, et qui dirige par ailleurs la SCI Johalex Montaigne (et gère aussi une société d’investissements pétroliers, selon le JDD). Était-ce la « personne de toute confiance » qui aurait conseillé Florence Lamblin qui dit être tombée des nues en apprenant que les billets qu’elle croyait retirés de son compte en Suisse provenait en fait des transactions en banlieue parisienne. La naïveté n’est pas forcément criminelle, mais lorsqu’on exerce la profession d’avocat, on est censé se méfier davantage.
Il y aurait en France une trentaine de personnes répertoriées qui auraient bénéficié des conseils et prestations de GPF SA, société genevoise de gestion et promotion financière (mais aussi agence de change). Sans, on peut s’en douter, compter les autres, qui n’ont pas été aperçues au contact de Mardoché El Maleh qui n’a filoché que depuis février dernier. Pour le moment, il n’y a eu que 17 mises en examen d’évadés fiscaux. Les premiers clients de GPF SA de ce type se seraient manifestés à partir de 2009, selon les éléments actuels du dossier.

GPF SA aurait monté, selon la justice suisse, deux sociétés fictives à Londres, une autre à Madrid et une troisième au Panama. L’argent ainsi récolté, blanchi via HSBC, dont le rôle est incertain, était ensuite réinvesti dans des affaires immobilières, au Maroc, en Espagne, dans les Émirats.

Cinq contacts de Mardoché El Maleh, chargés d’écouler les stupéfiants, ont aussi été arrêtés. Mais ce ne sont pas eux qui permettront de remonter jusqu’aux véritables organisateurs et principaux bénéficiaires du trafic.

En connaissait-on vraiment l’identité à GPF SA ? Les enquêteurs suisses vont sans doute interroger l’ensemble des collaborateurs, passés (comme Raoul Oberson) ou actuels, tels Ernest Sasson, et surtout Carole El Maleh-Sasson, qui a été remise en liberté mais placée sous contrôle. La famille Sasson est à l’origine de la création de la société. D’autres personnes étaient autorisées à cosigner pour la société. Nominalement, la société reste présidée par un avocat genevois, Me Bernard Haissly, du cabinet Mayor, qui compte six autres avocats.

GPF SA semblait au-dessus de tout soupçon. Ernest Sasson, époux de Claude Sasson-Perline, à présent décédée, était et reste honorablement connu, d’autant que Claude Sasson était active au centre des jeunes de la Communauté israélite de Genève, animait le club sportif Maccabi, ainsi que le Centre genevois du volontariat, domicilié, comme la société, à la « Maison des Paons », immeuble de prestige art nouveau de la ville, tout récemment rénové.
Le renom de la famille fondatrice, domiciliée dans le très chic quartier de Chêne-Bougerie, a certainement pu rassurer la filiale locale de la Britannique HSBC…

En tout cas, selon Le Matin, « une source proche de la banque HSBC ne s’explique pas comment un tel manège a pu se dérouler en son sein sans éveiller les soupçons. ». Comme l’expliquait l’avocat de Florence Lamblin, elle croyait traiter avec « une personne de confiance ». Les El Maleh suisses avaient tout pour inspirer confiance, et même sérénité.
Comme l’avait révélé Le Temps dès le 11 dernier, la société GPF SA avait vraiment « pignon sur rue ». Dans la banlieue parisienne, c’était plutôt hall d’immeubles et terrains vagues. 

Pour sa part, Yabiladi (Maroc) rappelle qu’il s’agit de la troisième affaire de drogue entre le Maroc et l’Europe « à faire la une de la presse, en moins d’un mois ». D’autres affaires importantes ont fait aussi les unes de la presse algérienne car le pays voisin du Maroc voit de plus en plus des cargaisons transiter par son territoire. Citant des statistiques parlementaires, le site marocain révèle que « un million de Marocains vivraient de la culture du kif. ». 17 000 Marocains seraient détenus et 40 000 autres recherchés. Les prix versés aux producteurs oscillent entre 1 200 et 1 500 dirhams le kilo (env. 122 euros en moyenne). Mais les prix grimpent très vite à destination. La culture, si elle était de nouveau légalisée, rapporterait au Maroc des recettes qui « dépasseraient de loin celles du tourisme, même au mieux de sa forme. ». Au vu des profits dégagés par de « simples » intermédiaires tels les El Maleh, ont peut très aisément le croire.

Auteur/autrice : Jef Tombeur

Longtemps "jack of all trades", toujours grand voyageur. Réside principalement à Paris (Xe), fréquemment ailleurs (à présent, en Europe seulement). A pratiqué le journalisme plus de sept lustres (toutes périodicités, tous postes en presse écrite), la traduction (ang.>fr. ; presse, littérature, docs techs), le transport routier (intl. et France), l'enseignement (typo, PAO, journalisme)... Congru en typo, féru d'orthotypographie. Blague favorite : – et on t'a dit que c'était drôle ? Eh bien, on t'aura menti !

5 réflexions sur « Drogue et blanchiment (II) : les juteuses affaires des El Maleh »

  1. Ce jour, l’UMP semble avoir mis un bémol à ses critiques à l’endroit de Florence Lamblin, des Verts, de la gauche en général.
    Peut-être serait-ce lié au fait que les familles Sasson et El Maleh étaient bien connues des résidents français en Suisse, lesquels avaient été fort sollicités par l’UMP lors des deux dernières campagnes présidentielles ?
    En tout cas, on voit que l’efficacité d’Éric Woerth dans la chasse aux évadés fiscaux n’était pas tip-top. Une Florence en évoque une autre… Florence Woerth était parfois à demeure à Genève. Les agences n’ont pas encore retrouvé dans leurs archives des photos de Madame accompagnée lors de réunions UMP en Suisse.

  2. Une affaire ….énorme aux ramifications …énormes….

    Lamblin, n’est que la pointe de l’iceberg….

  3. Quelques précisions concernant les divers liens.
    La famille Elmaleh a un lien avec la famille Sasson. Le cadre inculpé Meyer, travaillant chez GPF, est le mari de Carole Sasson, secrétaire dans cette même société.

    Voilà pourquoi ils ont pu avoir facilement accès à la HSBC genève car le frère Aîné Elmaleh est cadre directeur dans cette même banque, de même que le frère cadet Nissim aussi inculpé.

    Affaire très familiale qui leur évite non seulement des contrôles mais aussi un acquis de confiance

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