Compte-rendu d’audiences correctionnelles dans un tribunal de grande intance de province à travers diverses affaires, avec leurs contextes, leurs causes, leurs conséquences, leurs acteurs, leurs dénouements.

 

Aujourd’hui : démonstration de "comment le pire (en rajouter) est l’ennemi du mal (affabuler)."


Le contexte : comment prendre la route pour aller rejoindre les copains quand on ne dispose d’aucun moyen de locomotion ? Ce garçon de 18 ans, plâtrier-peintre de son état, a rapidement résolu le problème en « empruntant » le 4X4 de son frère chez qui il est en vacances. Le temps d’embarquer à bord trois pote et voilà l’inconséquent conducteur qui sillonne nuitamment les petites routes de campagne où il perd le contrôle de l’engin, lequel se retrouve finalement dans le décor, passablement cabossé.

Dans le même temps, le frangin ayant constaté la disparition de son véhicule était allé en déclarer le vol à la gendarmerie. Quand son cadet réapparaît, c’est pour lui servir une version digne d’une série Z qu’il va néanmoins gober sans mâcher : non seulement ce sont des inconnus qui ont fait main basse sur le 4X4 mais ils l’ont molesté, séquestré et obligé à prendre le volant. Après l’accident, ces inconnus vindicatifs au possible se sont évidemment volatilisés dans la nature non sans avertir le jeune homme qu’il y aurait des représailles envers sa famille s’il ne tenait pas sa langue. Et pas de la vague mise en garde, hein ? Non, non : du sérieux, de la menace de mort comme dans les films américains !

Malgré la grosseur de la ficelle, l’aîné adhère à cette version des faits mais comme l’autre sent encore une pointe de soupçon peser sur lui, il va en rajouter une couche histoire de donner plus de crédibilité à l’aventure. Quelques jours plus tard, il déclare avoir reconnu ses agresseurs sur une fête foraine, déclenchant ainsi un déploiement d’uniformes conséquent : pas moins de cinq voitures et une vingtaine de gendarmes déboulent en trombe et investissent les lieux. Mais que ce soit dans le train fantôme ou dans les autos tamponneuses, les voleurs-ravisseurs vont une fois de plus se révéler introuvables. Et pour cause…
Finalement, ce sont les autres acteurs de la virée nocturne qui vont finir par vendre la mèche et raconter le véritable déroulement des faits.

L’audience : à la barre, le jeune plâtrier-peintre est bien seul. Ses potes, si prompts à prendre place dans la voiture volée, ne sont même pas assis sur les sièges (il est vrai moins moelleux) de la salle d’audience pour le soutenir. À lire le dossier, le président fulmine: « ça s’appelle la totale » faisant allusion au fait que l’auteur du vol et de l’accident était, ce soir-là, sérieusement alcoolisé….comme il l’était quelques semaines auparavant, déjà interpellé en état d’ébriété et conduisant sans être titulaire du permis de conduire. Une récidive d’autant plus agaçante pour le magistrat, lequel n’a guère apprécié que les affabulations du voleur n’assumant pas ses fautes engendre le déplacement des forces de gendarmerie sur la fameuse fête foraine. « Ils ont d’autres tâches à traiter que de perdre leur temps pour ce genre d’inepties ! » lance-t-il à l’affabulateur penaud dont on apprendra que c’est en voulant faire une démonstration de rodéo en milieu champêtre qu’il a fini par « planter » le pourtant robuste engin de son frère.

Un comportement face auquel le procureur réclame une peine de six mois de prison dont un ferme. Le tribunal ira au-delà, condamnant le garçon à deux mois de prison ferme plus deux autres avec sursis, le tout assorti d’une amende de 100 €. Le voleur aura en outre à verser la somme de 300 € à son frère qui s’est porté partie civile.

 

Échos de barre : en bonus, quelques phrases glanées au fil des audiences

Pirouette : à la barre, un homme qu’on sait en butte à des problèmes de santé s’adresse au président d’une manière quasiment inaudible. Le magistrat lui suggère donc de se rapprocher de lui pour se faire entendre mieux.

– Mauvaise idée : mon client est bourré ! » murmure l’avocat du prévenu à un observateur.

En l’occurrence, c’est le procureur, placé un peu plus loin et de profil, qui va émettre des doutes sur l’état de l’homme qu’on questionne :

Vous avez bu, ce matin ?

– Non, assure le prévenu d’une vois mal assurée.

J’ai pourtant des yeux pour voir et un nez pour sentir et les effluves dégagés par votre haleine m’incitent à croire le contraire.

Et c’est là qu’intervient le défenseur, celui-là même qui venait de révéler en aparté l’ivresse effective de son client, clamant à présent haut et fort et avec une assurance indignée qu’on se trompe, qu’on se méprend, et que les indices olfactifs qui laisseraient penser à quelque excès matinal de cet homme sont, en réalité, les relents tardifs de libations…datant de la veille au soir !

Bel exemple de pirouette verbale à laquelle il n’est cependant pas sûr que le tribunal ait adhéré…

Numéro perdant : soupçonné d’avoir causé un accident lors duquel il aurait embouti avec sa voiture la porte de garage d’un pavillon, l’homme avait toujours nié les faits. Devant le tribunal, il finit par les reconnaître.

Il faut dire que le fait qu’on ait retrouvé sur le place un pare-chocs et…une plaque d’immatriculation a grandement facilité le travail pour vous retrouver » concède le président