Compte-rendu d’audiences correctionnelles dans un tribunal de grande intance de province à travers diverses affaires, avec leurs contextes, leurs causes, leurs conséquences, leurs acteurs, leurs dénouements.
Aujourd’hui : le pouvoir des petits chefs mis à nu.
Le contexte : elles sont très tendance, ces méthodes de management qui veulent qu’au sein d’une entreprise et notamment parmi les cadres, on apprenne à se mieux connaître hors du cadre professionnel, histoire de mieux cerner la personnalité et les capacités des autres. Et vas-y donc qu’on se disperse dans des courses d’orientation, qu’on s’élance dans le vide avec un élastique aux chevilles ou qu’on goûte aux émotions du canyoning pour vérifier que tout le monde pagaie dans le même sens. Et puis, le temps d’un week-end loin des murs du bureau ou de l’atelier, les rapports entre individus perdent de leur rigidité, les barrières hiérarchiques s’amenuisent et la convivialité donne du moelleux aux échanges, tout ceci étant censé apporter cohésion et dynamisme aux équipes.
C‘est dans un contexte analogue qu’un groupe issu du comité d’entreprise d’une PME s’est retrouvé à quelques centaines de kilomètres de ses bases pour un mini séjour au programme duquel était inscrite une compétition inter-établissements. L’idée consistait donc à défendre les couleurs de sa boîte en donnant le meilleur de soi-même lors des divers exercices imposés.
Parmi ceux-ci, l’interprétation de sketchs dont l’un d’eux exigeait la prise d’une photo collective. Les participants s’alignent donc sagement en rang d’oignon, se fendent d’un « cheese » de circonstance et s’apprêtent à voir sortir le petit oiseau. En fait, au moment du déclic, un membre du groupe soulève par surprise le T-shirt de sa voisine dont il avait noté qu’elle ne portait pas de soutien-gorge. Et voilà l’infortunée soumise non seulement aux regards des personne présente autres mais immortalisée, poitrine nue, pour la postérité. Sur le coup, décontenancée, elle feindra de prendre à la légère ce qui pourrait apparaître pour une gaudriole insignifiante. Mais au fond d’elle, cette mère de famille, épouse aimante, est traumatisée. Ce qui ajoute à son désarroi, c’est que l’affaire avait été préméditée entre le « souleveur » de T-shirt et celui qui tenait l’appareil : deux frères qui, au sein de l’entreprise, dépassent les fonctions de responsables d’ateliers qui leur sont officiellement attribuées.
Il apparaît qu’en plus de leurs attributions respectives, ils seraient les yeux et les oreilles de la direction, exécuteurs de basses œuvres, porteurs de valises. Bref de quoi leur forger parmi le personnel une réputation où la crainte, la méfiance et le rejet se mêlent confusément ; de quoi aussi renforcer le sentiment d’humiliation ressenti au tréfonds d’elle-même par cette femme bafouée.
D’autant plus que de victime, elle va subrepticement glisser vers le statut de gêneuse, de retour au travail, et subir de multiples pressions. Remarques répétées, convocations injustifiées auprès de la direction, changement de poste, regards en coin, chuchotements sur son passage : elle verra son état de santé psychique se dégrader au point de plus pouvoir se rendre au travail et finalement se retrouver en invalidité.
L’audience : à la barre, c’est dans une cascade de sanglots que la victime relate les faits. Un douloureux souvenir qu’elle a mis des mois à rapporter à son mari, lequel est depuis particulièrement « remonté » envers les deux auteurs de cette très mauvaise farce. « Simple plaisanterie » font pourtant valoir les frangins, appuyant leurs dires sur la réaction amusée de la dame, au moment des faits.
Sauf que l‘intéressée n‘a pas du tout pris la chose à la rigolade. « J’en étais arrivée à avoir peur d’aller à l’usine » raconte-t-elle, dévoilant également les gestes déplacés du patron lui-même, qui aurait tenté de lui voler un baiser;
Au-delà de la blague de potache, c’est en quelque sorte le pouvoir des petits chefs qui est mis sur la sellette, la toute puissance sous-jacente de ces hobereaux d’ateliers qui gagnent leurs galons en marchant sur la tête de ceux et celles qui étaient autrefois leurs égaux et auprès de qui ils pensent ensuite avoir la capacité de se montrer exigeants, voire, pourquoi pas ? exercer un droit de cuissage.
Les témoins confirmeront la connivence évidente qui existait entre leurs deux frères au moment de commettre leur « attentat photographique », donc la préméditation.
Pour le procureur, les faits sont graves et relèvent de l’acharnement.
L’avocat des prévenus, de son côté, plaide la relaxe, estimant qu’on a exagéré les choses et met par ailleurs en avant certains points de procédure invalides.
La victime, quant à elle, réclame…des excuses qui lui seront délivrées du bout des lèvres.
Le tribunal, enfin, prononcera une peine de 1.000 € d’amende pour chacun des deux frères et relaxera le patron.
Échos de barre : en bonus, quelques petites phrases glanées au fil des audiences.
Tondu : Le président : vous êtes agriculteur ?
Le prévenu : boafff ! Pour passer le temps : je fais dans le mouton mais avec les frais, il ne me reste plus rien.
– On vous tond la laine sur le dos, c’est ça ?
Connais toi toi-même : Excédé de se voir énumérer la longue liste de ses précédentes incartades, le prévenu interrompt le président : mon passé, je le connais !
Il est sympa mais… : moi-même, à entendre l’énoncé de mon casier judiciaire, j’ai peur. Je suis pourtant quelqu’un de gentil…
Les échos de prétoire, toujours délicieux. Ce que j’aime le plus, ce sont les réflexions cynique des présidents de cour.
A croire que c’est ce qu’ion enseigne à la magistrature. ;D