Compte-rendu d’audiences correctionnelles dans un tribunal de grande intance de province à travers diverses affaires, avec leurs contextes, leurs causes, leurs conséquences, leurs acteurs, leurs dénouements.

 

Aujourd’hui : comment, le jour de son mariage, banqueter sans banquer et faire bonne chère pour pas cher mais recevoir des dragées en retour.

 

Le contexte :ce sont des choses qui arrivent : un jour de noces, les fins de banquet revêtent parfois des aspects navrants. Dans le meilleur des cas, c’est le tonton Fernand qui n’en finit plus d’assommer l’assemblée avec ses blagues imbuvables ou la mémé Yvette qui se la joue karaoké avec les tubes de Berthe Sylva. Ou encore la mariée qui nous pique un coup de blues alimenté par les bulles champenoise, voire les beaux-frères chargés de quelques grammes qui s’empoignent pour vider une vielle rancoeur. Mais dans le cas qui nous intéresse, l’affaire a pris des proportions qui dépassent la mesure admise.

Pour marquer comme il se doit ce qui est censé être le plus beau jour de sa vie, ce maçon de 37 ans a choisi pour cadre de son repas de noces un petit restaurant dont le tenancier officie également derrière les fourneaux.

Le jour venu, la fête se déroule dans une forte ambiance et se prolonge dans la soirée. Jusqu’au moment de régler l’addition. Dès lors, les convives commencent à se défiler les uns après les autres, y compris le jeune marié dont on peut imaginer qu’il lui revient de régler la note, laquelle s’élève à quelque 1.600 €. Or, voilà que celui-ci se refuse à aligner la monnaie, informant même le restaurateur qu’il n’a pas l’intention de lui payer quoi que ce soit. Un acte de grivèlerie manifeste visiblement prémédité puisque le maçon pense détenir un argument face auquel le cuisinier n’aura qu’à s’incliner et rester coi. Et l’on remonte alors à la véritable origine de l’affaire sans savoir s’il s’agit d’un énorme malentendu ou d’une attitude malhonnête réciproque.
La genèse de l’histoire se situe en fait au moment où, en passant devant le restaurant quelques semaines auparavant, une jeune femme reconnaît une automobile garée : il s’agit de la sienne ou plutôt de son ancienne voiture, vendue pour être envoyée à la casse. De quoi s’étonner de la voir là, en effet, et en état de circuler, visiblement. Sa réflexion met la puce à l’oreille de son fiancé, lequel ira s’enquérir de la provenance du véhicule dont il s’avérera qu’il a bel et bien été retapé alors qu’il était classé comme épave. Une "résurrection" pas très légale sur laquelle le maçon va s’appuyer afin d’en tirer avantage. Et c’est à partir de cet instant que les versions divergent fortement. A priori, le restaurateur aurait convié son "maître chanteur" à venir manger gracieusement en échange de sa discrétion mais celui-ci aurait pris l’invitation à la lettre majuscule, estimant qu’elle serait valable pour…les 56 convives de son repas de noces. Copieux malentendu s’il en est ! Ou alors, pantagruélique mauvaise foi réciproque !

Toujours est-il que les choses en sont là, au terme des agapes : le cuistot veut l’oseille et le maçon bétonne. Forcément, on hausse le ton de part et d’autre ; s’ensuit une solide échauffourée au terme de laquelle les locaux sont saccagés par les quelques invités restants. Après la pièce montée, la pièce démontée, en quelques sorte.

Le patron ne trouve alors d’autre moyen que sortir son fusil (l‘arme, s‘entend, et non pas l‘outil à aiguiser les couteaux…), arborant par ailleurs un pistolet à la ceinture. Il va même envoyer la sauce, le cuisinier, faisant feu à trois reprises, envoyant des balles en plastique dans les jambes du marié et du beau-frère de celui-ci. De quoi donner en l’occurrence, toute leur acuité aux expressions « coup de fusil » et « douloureuse ».

L’audience : devant le tribunal, c’est un salmigondis d’explications qui sera servi, chacun se cramponnant évidemment à sa version, le maçon persistant à prétendre qu’il avait table ouverte gratuitement, le restaurateur reconnaissant avoir refait une voiture avec deux véhicules voués à la casse mais refusant d’admettre qu’il avait été convenu avec son interlocuteur de lui offrir son repas de noces. « Nous avions même négocié le prix de la prestation  » assure-t-il sans pouvoir cependant présenter un document certifiant cet accord.

Dans l’enceinte de la salle d’audience, la tension est palpable, électrique. Le ton monte. À tel point qu’il est besoin de faire venir des renforts policiers pour parer à toute nouvelle empoignade entre les deux clans en présence.

À ce sujet, on apprendra au fil des déclarations qu’une algarade « préalable » s’était produite entre commensaux, durant le repas, quand une dame âgée avait été prise à partie, puis que le patron, avant de sortir l’arsenal, avait été roué de coups mais aussi qu’il y était allé d‘un coup de crosse envers son « client », ensuite séquestré jusqu’à l’arrivée des gendarmes.

Les avocats des deux parties auront beau jeu de plaider la légitime défense, le conseil du tenancier faisant notamment valoir que les dégradations se sont déroulées avant les coups de feu et son confrère faisant remarquer qu’une cartouche truffée de plombs taille 4 a été retrouvée non percutée dans le fusil.

Le procureur, de son côté, n’avait pas manqué de remarquer que le maçon comptait pas moins de seize condamnations à son actif, réclamant à son endroit deux mois de prison avec sursis et 500 € d’amende. À l’encontre du restaurateur preste à la détente, il demandera une peine d’un mois de prison ferme.

Face à la situation encore électrique, le tribunal s’octroiera le temps d’une longue réflexion et ne rendra son verdict que plusieurs semaines plus tard, infligeant un mois avec sursis au tireur et la même chose assortie d’une amende de 300 € au marié.

Echos de barre : en bonus quelques petites phrases captées au fil des audiences

Carton roseVous avez le permis depuis quand ?

                   – Je n’ai pas le permis.

                    – Ha oui, c’est vrai : vous comparaissez aussi pour ça…

Dans le panneau :  – Je ne me suis pas rappelé que cette rue était en sens interdit.

                            – Il n’est pas besoin de s’en souvenir : il suffit de regarder le panneau, fait remarquer le procureur.

 

 Une chose après l’autre :   Pourquoi n’avez-vous jamais passé le permis?

            – Je n’en ai pas les moyens.

            – Vous avez pourtant les moyens de vous acheter une voiture.. Vous mettez la charrue avant les bœufs…

            – On me le dit souvent.