Les stages gratuits dans les rédactions ne sont pas une spécialité de la presse française. J’ai moi-même bénéficié d’un internship à la rédaction de The Independent, mais il s’agissait d’un « stage » de pure observation. Tel n’est pas le cas de divers stages dans certains titres de presse français. Mais, là, Le Figaro vous transforme en « vrai journaliste » moyennant un abonnement « select » de huit euros mensuels. Et on vous délivre une carte de correspondant ou d’envoyé spécial permanent ? Ou de chef d’escadrille ?


La modération a posteriori des commentaires sur des sites d’information générale présente l’avantage de ne pas coûter cher aux sociétés éditrices. Il s’agit en fait d’une sorte d’autorégulation supervisée par des modérateurs rétribués qui interviennent lorsque des internautes leur signalent des contributions douteuses, susceptibles ou non d’enfreindre les lois sur la presse.

Jusqu’à peu, le site du Figaro modérait a priori, avant publication, tous les commentaires de celles et ceux s’étant inscrits ou ayant négligé de le faire mais communiquant une adresse de courriel valide. Là, n’osant sans doute déjà restreindre les commentaires aux abonnés à une version en ligne ou recevant le journal à domicile, comme le fait Le Monde, la direction du Figaro promeut son service « sélect » en proposant la publication directe des commentaires.

 

Mieux : ce 23 février 2010, on vous proposait de « publier vos propres notes comme un vrai journaliste » et de vous abonner directement au service sans même en consulter la teneur. Cliquer sur le bouton « s’abonner » ouvrait directement une page de formulaire et d’acceptation des conditions générales de vente. Certes, il doit s’agir d’un bogue temporaire : la page de sélection de l’offre ne pouvant « être trouvée » reste disponible et accessible ; il suffit de revenir en arrière pour consulter les « avantages » des services proposés.

 

Mais la dénomination « vrai journaliste » ne ressortirait-elle pas de la publicité mensongère ? En effet, dans une société éditrice répertoriée à la commission des papiers et agences de presse (aujourd’hui, la Commission paritaire des publications et agences de presse), les journalistes n’ont pas à signer de clause stipulant, comme les conditions générales du site, « ce droit  [de conservation personnelle des parutions, Ndlr.] est consenti dans le cadre d’un usage strictement personnel, privé et non collectif, toute mise en réseau, toute rediffusion ou commercialisation totale ou partielle de ce contenu, auprès des tiers, sous quelle que forme que ce soit, étant strictement interdite. ».

 

Toute reprise d’un article publié par une société éditrice tierce fait l’objet d’une rétribution de l’auteur ou, si un accord ad hoc le prévoit, toute diffusion en ligne d’un article déjà paru fait l’objet d’une rétribution forfaitaire. De plus, tout journaliste peut réunir ses chroniques et ses articles, et les faire paraître sous forme de recueil. Cela vaut d’ailleurs pour des animateurs, comme Philippe Bouvard, Pierre Bellemare, et tant d’autres. « Ce recueil est un choix parmi le millier de chroniques que Jean d’Ormesson a publiées de 1969 à aujourd’hui, » signale le prière d’insérer d’Odeur du temps, chroniques du temps qui passe, d’un certain Jean d’Ormesson. Lequel, sauf erreur de mémoire, s’est illustré surtout dans Le Figaro. Ce genre de clause a-t-elle été signée par une Anne Fulda, journaliste du Figaro, pour ne citer qu’elle ? Même pour le Talk Orange, émission vidéo qu’elle anime avec Guillaume Tabard, je serais très étonné qu’une telle clause lui ait été opposée.

 

Fournir des contenus gratuitement à un site se conçoit. Il peut s’agir d’une démarche citoyenne. Mais pour Le Monde interactif, par exemple, c’est aussi une source de revenus non négligeables. Les « chroniques d’abonnés » du Monde s’assortissent ainsi de publicité pour des services (ainsi, dernièrement pour Gymglich, une méthode de cours d’anglais ; ou encore un jeu parrainé par Damart, ou bien le site Assurland, qui se rémunère sur les contrats passés par les Internautes…). Chaque page d’abonné contient un lien vers la régie publicitaire I-Regie, qui « commercialise l’offre internet du Groupe Le Monde). Tout blogue-notes du Figaro s’accompagne de publicités (ce jour, pour Renault, ou la bagagerie Longchamp, la messagerie Fedex, &c.). De plus, la plupart des services supposent, sauf contre-indication formelle, que l’abonné reçoive des publicités et propositions commerciales à domicile ou par courriel. Bien évidemment, les listes d’abonnés y consentant sont revendues.

 

En droit des sociétés, une clause léonine « prive un associé de tout droit aux profits » et une telle clause est prohibée. Ne serait-il pas temps d’étendre aux particuliers de telles dispositions ? En tout cas, puisque la société éditrice du Figaro considère que ses abonnés sont de vrais journalistes, il lui est fait obligation de se conformer à la convention collective dont elle est signataire. Mais cela pourrait évoluer. Ainsi, les syndicats de journalistes, comme le SGJ-FO, dénoncent : « au prétexte de défendre le droit d’auteur, la loi Hadopi le remet en cause en brisant les articles du Code du travail, de la convention collective et du Code de la propriété individuelle. Les patrons pourront désormais utiliser ou reproduire les articles pour tout support multimédia en s’émancipant de l’autorisation des journalistes et du paiement pour cette reprise. » Et que l’on sache, « les droits de propriété littéraire et artistique du journaliste sur son œuvre, et notamment ceux de reproduction et de représentation, sont définis par les dispositions de la loi du 11 mars 1957, modifiées par la loi du 3 juillet 1985. ». Le principe de base, selon le SNJ, reste que « le journaliste a la totale maîtrise d’une éventuelle réutilisation de son article et doit toucher des droits d’auteur ». Tous journalistes ? Pourquoi pas ? Mais pas n’importe comment…