Le Bild n’y va pas par quatre chemins : « Grande-Bretagne, États-Unis et reste de l’Europe : tout le monde veut notre argent ! ». Entendez le « mark », enfin, les avoirs allemands en euros. Sauf que, cette fois, ces avoirs semblent soit douteux, soit trop peu attractifs aux yeux des marchés. C’est en fait l’euro qui semble déprécié, ce qui augure mal d’une sortie de la crise par la création d’eurobonds.

Le gouvernement allemand voulait emprunter six milliards d’euros sur dix ans.
Son emprunt, au taux de 1,98 %, a fait un flop : seuls 3,644 milliards d’obligations (bunds) ont trouvé preneur…

Un fort mauvais signe.

Le 18 dernier, soit voici six jours, avec la presse britannique et bien avant la presse française, nous titrions (déjà) :
« Eurozone : l’Allemagne a son tour dans la tourmente ».
Hormis Mediapart, personne, dans la presse française, ne s’est vraiment empressé de relayer (non pas C4N, mais les analyses de la presse anglophone).

Aujourd’hui encore, alors que The Wall Street Journal titre « German Bond Auction Falls Flat », il n’y a guère que Mediapart et Come4News à réagir : faits-divers sanglants, brouilles PS-Verts, petites phrases, il faut croire qu’il n’y a pas le feu au lac pour la presse française généraliste dite « mainstream »).

La différence, cette fois, c’est que la presse économique ne camoufle pas la situation. Pour le quotidien La Tribune, l’émission obligataire allemande, c’est « un désastre absolu », selon l’expression de Marc Oswald, de Monument Securities London.
Interrogé par La Tribune, Achilleas Georgolopoulos, de la Lloyds, veut croire que les bunds (obligations allemandes) perdent de leur attrait par ce que les marchés attendent des émissions d’eurobonds. Rien n’est moins sûr.

Les Échos préfèrent titrer sur « L’Italie appelle à un geste citoyen pour la dette » (les banques italiennes renoncent à leurs commissions sur les achats de titres du Trésor italien ou sur le second marché, pour soutenir les grosses PME). Ou, de manière optimiste, sur les eurobonds : « Barroso estime que le “non” allemand n’est pas définitif ».

La réalité, c’est que, pour garantir des eurobonds, il faut des liquidités, pas uniquement des garanties. Ces liquidités que l’Allemagne n’a pas réussi à lever alors que les banques allemandes (Deutsche Bank ou Commmerzbank en particulier) manquent de fonds propres.

Taux peu attractif

Bien sûr, à 1,98 %, le rendement de l’emprunt allemand est faible. Peut-être trop faible. Mais cela n’explique pas tout. En fait, les marchés peuvent estimer que l’Allemagne est, elle aussi, plombée. Par son appartenance à la zone Euro, l’Eurozone. De même, les emprunts du Trésor U.S. sont boudés, les indicateurs économiques ne sont pas bons, le taux est faible (similaire à l’allemand).

Dexia plombe aussi le crédit accordé à la France et à la Belgique, qui ne peuvent pas jurer que l’Allemagne viendra encore une fois de plus à la rescousse pour sauver les économies européennes les plus faibles, ou du moins, les laisser souffler, par un biais ou un autre (la Banque centrale européenne, un fonds d’investissement qui peine à se concrétiser, ou la création d’eurobonds).

La France doit emprunter encore un peu plus cher qu’hier, la Belgique de même, l’Italie et l’Espagne bien davantage. Les emprunts belges lancés dans cinq jours, les français qui seront émis le 1er décembre, vont-ils trouver preneurs, et à quels taux ? Certes, ils seront plus élevés que ceux des allemands (passant à 2 %, en légère hausse), mais la question, c’est la capacité de rembourser.

Contagion

Jérôme Cahuzac, interrogé par Ruth Elkrief hier soir, n’a pas voulu reprendre à son compte l’estimation de François Hollande selon laquelle le triple A de la France est virtuel. En fait, tout le monde pense de même. Le triple A de l’Autriche n’est pas en meilleure posture. L’Autriche est plombée par la Hongrie, principalement. Mais ses banques sont aussi engagées en Bulgarie et Roumanie, moins exposées, mais dont la croissance stagne.

Du coup, l’euro fléchit devant le dollar. Pas assez pour favoriser les exportations, suffisamment pour détourner des investisseurs. Et l’or grimpe encore (+1,1 %).

Non seulement il n’est pas tout à fait sûr que l’émission d’eurobonds soit approuvée par l’Allemagne, car la BdB (fédération bancaire) est contre. Pour le patron de la BdB, « aucun des modèles présentés » par la Commission européenne ne peut convenir. Seule la discipline budgétaire la plus stricte, qui peut peser sur la croissance, est valide aux yeux des banquiers allemands.

Or, la Commission a fait un pas de plus, envisageant le remplacement total de toutes les obligations nationales par des euro-obligations, ces fameux eurobonds.

Ce seraient des « junk bonds », des obligations pourries, selon des analystes, sauf à renforcer l’austérité. Le ministre des Finances des Pays-Bas, Jan Kees de Jager, et celui des Affaires européennes, Ben Knapen, veulent mettre le contrôle budgétaire avant l’émission d’eurobonds. L’axe Paris-Berlin est désormais, sur la question, remplacé par un autre, La Hague-Berlin-Helsinki.

Angela Merkel vient aussi de rappeler que les ressources étaient limitées. Elle s’entretiendra dimanche avec Nicolas Sarkozy et Mario Monti, mais tiendra sans doute le même langage.

Larguer la Grèce

Selon Reuters, qui a consulté divers experts, une majorité se dégage pour exclure la Grèce de l’euro, ce qui enfoncerait encore ce pays dans la crise. Et de toute façon, rien, si ce n’est une harmonisation fiscale accélérée, ne pourra convaincre. François Bourguignon, ancien économiste de la Banque mondiale, rejoint l’appréciation de l’axe La Hague-Berlin-Helsinki : intégration fiscale, contrôles accrus, avant de penser à émettre des eurobonds.

Pour James K. Galbraith, les dirigeants européens doivent songer à l’ensemble et ne plus chercher d’abord à sauver leurs banques nationales. Daniel Gros (Centre européen d’études politiques), rappelle que des mesures décisives, d’urgence, doivent être prises.

Olli Rehn, le commissaire européen, plaide désormais pour qu’un panel d’experts, indépendants des gouvernements, se penche sur la formation d’un fonds d’amortissement de la dette mutualisant les dettes des divers pays.

Bruxelles, dès le 13 décembre, entend imposer des contrôles plus rigoureux sur les États. Ce que la Montréal Gazette traduit par « L’UE demande le droit de dicter les budgets nationaux ». Ce qui implique un contrôle fiscal centralisé aussi.

Mais dans toute l’Eurozone, la croissance est bloquée. « Le pire reste à venir, » estime l’institut Markit Economics. La croissance est quasi-nulle en Allemagne : « le malaise de la périphérie s’est propagé au cœur de l’Eurozone ».

Dans ces conditions, l’agence de notation Fitch a lancé ce mercredi un nouvel avertissement à la France. Bref, un troisième plan de rigueur s’impose.

Nicolas Sarkozy voudra-t-il tenter de sauver sa réélection ou plutôt protéger ses riches amis en faisant une fois de plus faire peser la rigueur sur les mêmes, quitte à se faire bouter hors de l’Élysée ? C’est désormais sa seule alternative.