Démographie allemande : chiards, chaudron, chapelle

Kinder, Küche, Kirche : tout le monde à l’église, les femmes au foyer (et à l’âtre devant les casseroles, et tout plein d’enfants. Une « devise » allemande reprise par Adolf Hitler pour lequel l’univers de la femme est « son mari, sa famille, ses enfants », avec pour objectif d’en élever quatre, et de fait aussi par le cardinal-archevêque de Cologne qui vient d’encourager la natalité avec pour incidente souhaitée de faire refluer les immigrants. 

Finalement, Dominique Venner, même s’il a « profané&nbsps» Notre-Dame de Paris en s’y suicidant (notre article d’hier sur Come4News), était très en phase avec l’église catholique apostolique romaine. Pour cet ancien paramilitaire partisan des attentats de l’OAS, le mariage pour tous aurait eu pour conséquence d’affaiblir la « race » européenne en favorisant l’adoption d’enfants d’origines variées. Tel que…
Il semble que Joachim Meisner, de son état cardinal-archevêque de Cologne, ait si bien entendu le message de Dominique Venner qu’il le reprenne à son propre compte, voire en fasse la doctrine ecclésiale du Rhin à l’Oder.

Le taux de natalité allemand, le plus bas d’Europe (1,36 enfant contre 2,1 pour un renouvellement stable), n’assure plus le renouvellement des générations. Par conséquent, l’Allemagne recrute, en particulier en Europe (prospectant notamment Espagne, Portugal, Italie et Pays de l’Est). Dans un entretien avec le Stuttgarter Zeitung, le cardinal a repris à son compte le vieil adage, Kinder, Küche, Kirche, revitalisé par le régime nazi qui instaura la croix d’honneur de la mère allemande pour les femmes ayant accouché au moins quatre fois.

Professions médicales (hors subalternes), juridiques et administratives étaient interdites aux femmes allemandes et ce ne fut que lorsque le service du travail obligatoire dans les pays occupés ne suffit plus que les femmes retrouvèrent le chemin des usines sans restriction autre que mentale.
Par la suite, pour se redresser, la RDA adopta une politique inverse : les femmes au travail, les enfants en crèches, jardins d’enfants, maternelles… La RFA accorda de nouveau aux femmes le droit au travail, mais le précepte selon lequel une pieuse mère de famille se consacre d’abord à son foyer resta la norme.

Les considérations du cardinal Meisner passeraient mieux s’il s’était contenté de dire que l’un ou l’autre des parents pourrait bénéficier de soutiens pour élever plus de deux ou trois enfants, et s’il avait aussi considéré que des établissements pour la petite enfance étaient nécessaires, ne serait-ce que pour dégager un peu de temps pour du télétravail ou des activités de complément. Mais non…

Il a de même assorti son souhait de déclarations portant sur la présumée politique de soutien à l’immigration de la chancelière Merkel. Il s’agit d’immigration choisie (les recrutements portent surtout sur des professionnels de la santé et des spécialistes pour l’industrie). Charitablement, le cardinal songe au devenir de l’Espagne et du Portugal, pays privés de leurs forces vives. Il conçoit que des apprentis ou des jeunes professionnels puissent venir suppléer un temps aux manques de l’industrie allemande, se former en Allemagne, mais ils seraient plus utiles à leurs pays par la suite.
Ce n’est pas forcément critiquable, mais il se trouve que le cardinal n’a pas relevé d’autres facteurs.

Alors que l’Allemagne accorde des aides familiales plutôt généreuses pour les cadres intermédiaires, voire supérieurs (un système octroyant 65 % du salaire antérieur, avec un plafond de 1 800 euros, et non pas un montant égal pour toutes ou tous), les femmes en particulier, celles ayant entamé une carrière qui craignent un difficile retour à l’emploi, boudent ce dispositif.
Car il ne leur resterait plus que la perspective d’un tiers temps pour tenter de rester dans la course. En effet, outre le manque de structures d’accueil de la petite enfance, les cantines scolaires sont l’exception, la plupart des écoles cessent encore les cours à l’heure du déjeuner…

Annegret Laakmann, de l’association catholique Frauenwuerde (dignité pour les femmes), a considéré que l’âge canonique du cardinal (79 ans) ne l’avait guère fait croître en lucidité. Elle n’a eu qu’un enfant parce qu’elle a dû privilégier sa vie professionnelle, faute d’infrastructures adéquates ou de dispositifs pour envisager de l’interrompre. Alors qu’aux Pays-Bas les employeurs se montrent plus souples en matière de congés parentaux, ceux des pères en particulier…

En fait, le cardinal en a aussi profité pour relayer l’appel du pape François qui veut une protection pour l’embryon dès la conception, ce que prône l’église espagnole qui tente de faire restreindre la portée de la loi sur l’interruption de grossesse, mettant la pression sur le gouvernement et le Parti populaire majoritaire dans les assemblées.
Le cardinal a déploré que des hôpitaux catholiques aient refusé d’assister une victime d’un viol entraînant une grossesse, sans toutefois désavouer leurs praticiens. La victime aurait pu avoir recours à une méthode de contraception compatible avec les enseignements de l’église romaine en la matière. Confronté aux critiques, le cardinal avait évoqué une Katholikenphobie.

De ce point de vue, en raison de ce fait divers fâcheux, l’église allemande a progressé, paraît-il en accord avec le Vatican, sur la pilule du lendemain qui ne provoquerait pas un avortement car l’embryon ne serait pas encore formé. Sa fiabilité est faible passée la demi-journée suivant le rapport sexuel et pratiquement nulle après 72 heures. On ne peut pas dire que les églises catholiques romaines allemandes aient tenté d’organiser des permanences pour délivrer de telles pilules et passé le temps d’une déclaration épiscopale, la question ne fait pas vraiment l’objet de prêches fréquents. Ce revirement n’est envisagé qu’en cas de viol, ou d’égarement, l’église condamnant toujours toute forme de contraception artificielle pour les couples mariés.

Un cardinal est certes un citoyen comme un autre, la dénatalité allemande porte en germe – saufs apports migratoires – une récession de la population (d’environ un demi-million par année en moyenne si l’on en croit les projections : de 83 à 70 millions à l’horizon 2050), et on ne voit pas pourquoi émettre une telle opinion serait en soi scandaleuse. Hormis le fait qu’elle est très restrictive, que favoriser la compétitivité et l’innovation dans les pays du sud (en formant en Allemagne de futurs professionnels) ne leur assure pas automatiquement des débouchés, et que les jeunes Allemandes n’adhèrent pas trop spontanément au modèle préconisé.

C’est aussi faire l’impasse sur ce que cela supposerait pour la population mondiale. Ce qui s’appliquerait à l’Allemagne est tout aussi envisageable pour des pays comme la Chine, l’Inde, le Nigéria (qui comptera bientôt 175 millions d’âmes, pour nombre d’entre elles musulmanes ou chrétiennes sauce évangélique), et que 90 millions d’Allemands en 2050 suppose, à ce train, près de 10 milliards d’humains au tournant du demi-siècle (contre près de 8 d’ici peu).

On comprend bien que plus de 600 millions de fidèles présumés majoritairement catholiques du Mexique à la Terre de Feu en incluant les Antilles forment une perspective alléchante pour le Vatican. Mais sans nouveau châtiment de dieu, genre peste, ou conflits généralisés, qui fourniraient des âmes aux limbes, en enfer et au paradis du cardinal, cet horizon semble davantage inquiétant que rassurant.

Pour le moment, les projections envisagent 8 milliards en 2050 (contre antérieurement 10,1 milliards en 2100), et une décroissance lente pour la seconde moitié du siècle, si l’assez forte diminution globale des naissances se poursuit. Certes, cela suppose aussi que peu d’actifs devront subvenir aux besoins de seniors qui ne pourront pas tous être productifs au-delà de 70 ans, comme l’appréhension actuelle du devenir des systèmes de retraite le laisse supposer.

Les « jeunes » arrière-grands-mères allemandes souhaitées par le cardinal, dotées chacune de 32 petits-enfants ou davantage, pourront-elles vraiment envisager un retour à la vie professionnelle ? Un peu trop âgé pour donner l’exemple en prenant femme féconde à présent, le cardinal ne fréquente que trop peu sa cuisine pour concocter des recettes à base d’insectes, voire des hosties  à forte teneur en scarabées.

En 2007, le cardinal-prêtre de Santa Pudenziana (titre surtout honorifique), considérait que l’art moderne ou contemporain, en se détachant du « lien inaliénable entre la culture et le culte », se dénaturait. « Quand la culture est déconnectée de Dieu, le culte devient rituel et la culture est dégénérée, » estimait-il. Certes un bel oratorio-rock-métal, pourquoi pas ? Au final, le cardinal a évoqué un « malentendu » et qu’il ne se référait pas à l’entartete Kunst (art dégénéré) de la période hitlérienne.

Son « Drei, vier Kinder » lui a valu quelques critiques du SPD et des Verts, l’assimilant à une « provokante Aussagen » (déclaration provocatrice). Il a été relevé que « dans la France voisine, le temps où un cardinal pouvait prescrire leur conduite à des femmes est révolu… ». Pas si sûr… Une entrepreneuse à considéré ses propos absurdes car les femmes actives sont vitales pour l’économie allemande, beaucoup ont repris le thème d’un kinderfreundliche Arbeitswelt (un environnement au travail adapté pour assurer le bien-être des enfants).

Logiquement, la meilleure mesure allant dans le sens des souhaits du cardinal consisterait à doubler, tripler, quadrupler le salaire des hommes en fonction de leur nombre d’enfants. Il n’est cependant pas sûr que cela contribuerait prioritairement à assurer le bien-être des mères et des enfants (sauf en cas de divorce, à condition que le père de famille ne soit pas tenté de se rendre insolvable). En fait, la vision du cardinal reste liée à une conception patriarcale de la famille, pour laquelle les enfants, à l’issue d’un long apprentissage dont les rémunérations allaient au père de famille, ou qui aidaient à faire prospérer son entreprise, faisaient engranger plus de bénéfices qu’ils n’impliquaient de dépenses.

Par ailleurs, le cardinal, dans sa catéchèse, se réfère un peu trop à « l’Occident » et à une conception de l’humanité créée à l’image de son dieu, qui n’a pas trop daigné envoyer des fils ou des prophètes, de rois mages, aux Aborigènes, aux Pygmées ou aux Tibétains. En sus, il n’est pas certain que les rois mages se soient ensuite convertis au christianisme… Sur la question du voile musulman, il estimait : « par toute notre culture, nous sommes un peuple empreint de christianisme et il faut avoir un comportement sensible à l’égard de nos symboles chrétiens. ».

À parité avec les églises protestantes, l’église catholique romaine allemande est le second employeur du pays, après la fonction publique. De quoi donner l’exemple au patronat pour favoriser l’emploi aménagé des mères de famille…

En Suisse, les milieux conservateurs voient, à l’inverse, dans le travail des femmes une solution pouvant contribuer « à faire baisser en Suisse la demande de forces de travail étrangères », mais une initiative consistant à accorder des déductions fiscales pour les parents gardant eux-mêmes leurs enfants avait été combattue par le Conseil fédéral et il avait été estimé que la déduction serait appliquée très prioritairement aux revenus du père de famille qui en dispose à sa guise.

Il n’est pas sûr que le « femme aux fourneaux, femme à marmots » du cardinal soit fort bien reçu dans une Allemagne dont l’église catholique romaine est de plus en plus désertée car l’adage « homme à calotte, homme à jeunes fiottes » y a gagné en popularité, comme en Belgique, en raison de trop fréquents scandales de pédophilie masculine dans les milieux cléricaux.

Auteur/autrice : Jef Tombeur

Longtemps "jack of all trades", toujours grand voyageur. Réside principalement à Paris (Xe), fréquemment ailleurs (à présent, en Europe seulement). A pratiqué le journalisme plus de sept lustres (toutes périodicités, tous postes en presse écrite), la traduction (ang.>fr. ; presse, littérature, docs techs), le transport routier (intl. et France), l'enseignement (typo, PAO, journalisme)... Congru en typo, féru d'orthotypographie. Blague favorite : – et on t'a dit que c'était drôle ? Eh bien, on t'aura menti !