On l’oublie un peu trop : la démocratie athénienne était « directe », mais les esclaves et les métèques pouvaient toujours pétitionner en chapelles, ils n’avaient pas accès à l’« église » (ecclesia). Dans nos démocraties européennes, hormis la Suisse qui organise des votations, le principe du « cause toujours » s’applique plus ou moins aux « citoyens ». Mais le gouvernement de sa gracieuse majesté la reine britannique semble vouloir réellement « changer tout cela » en permettant à tout un chacun de lancer des e-petitions. Il faudra voir à l’usage.

Ah, ces Britanniques ! Les Anglais furent les premiers des Temps modernes européens à se doter d’un parlement, les voilà prenant au sérieux la vox populi via un site dédié aux pétitions en ligne. 100 000 signatures, et la résolution proposée sera soumise à la chambre basse (les Commons) qui en fera ce qu’elle voudra (soit que, selon l’affluence en séance, quelques-uns décideront pour « so many »).

Je relevais récemment que le groupe de pression Compass (boussole), proche des travaillistes, avait lancé l’idée d’un jury populaire, composé d’un millier de citoyens tirés au sort, pour imposer que des sujets de politique générale (ou autres) soient débattus.  Ce serait sans doute moins lourd que l’application de la loi sur les référendums populaires français qui attendent toujours qu’un décret les instaure. Ce qui fait d’ailleurs l’objet d’une pétition. Fin 2010, une première initiative citoyenne européenne, portant sur les OGM, a été déposée. On verra ce qu’il en adviendra, aux « calendes grecques » ou plus avant (Pâques ou Trinité 2012).

Mais c’est ce jour qu’est apparu en ligne le site du gouvernement britannique consignant pendant un an (le temps d’atteindre ou dépasser cent mille signatures) les projets des sujets de sa majesté. Première candidate probable : une proposition de rétablissement de la peine capitale pour les crimes « odieux » ou visant des policiers.

Bye-bye Europa!

Cela rappelle fortement le programme du Front national, les déclarations d’élus de la Droite populaire (UMP), et de quelques partis nationalistes européens : la peine de mort doit être restaurée, les guillotines et les gibets réalimentés au plus vite.

C’est d’ailleurs la très forte probabilité que la nébuleuse des partis de droite nationaliste dite « extrême » du royaume, appuyés par des députés conservateurs, fasse signer une telle pétition qui vole la vedette, dans la presse britannique, à l’ensemble du dispositif.

Le rétablissement de la peine capitale, abolie en 1965, avait déjà été débattu par le parlement britannique (et rejeté avec 158 voix d’avance) en 1998. On en reparlera donc sans doute, au pied de Big Ben, fin 2012 ou début 2013.

Phillip Davies, député conservateur, voudrait d’ailleurs que la pétition étende la sanction ultime à tous les crimes et assassinats. Pourquoi pas ? D’ailleurs, a priori, une pétition faisant fi de l’habeas corpus et instaurant la loi du lynch est aussi envisageable. L’ennui, c’est que cela serait irrecevable en raison de la législation européenne. Par conséquent, il conviendrait d’abord de pétitionner pour le retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne. On y viendra sans aucun doute.

Un parlement renforcé, à plein temps

Instaurer un tel système en France pourrait imposer d’au moins doubler le nombre des parlementaires, d’imposer un quota de présents en séance votant réellement en personne, et la suppression des vacances parlementaires (prises en rotation au long de l’année, à moins d’instaurer une « carte parlementaire » à l’image de la carte scolaire).

Je n’éprouve pas de prévention à l’encontre des divers systèmes de représentation populaire directe, mais je trouve cocasse que la page d’accueil du Daily Mail Online « monte » la question de la peine capitale en tête tandis que deux informations « subsidiaires » cohabitent en pied de page.

Il s’agit d’une part des rémunérations des huissiers et attachés parlementaires ou fonctionnaires de la questure (+10 % d’employés pour les Commons depuis 2006, progression globale égale pour les rémunérations, avec certains plus égaux que d’autres). D’autre part, une Luc Ferry anglaise, chargée d’un autre comité Bidule, une « quangocrat », prend sa retraite dotée d’un parachute doré. Le montant ?  11 000 livres  par mois (pour deux ans de présence : 225 000 £) : juteux.

Prévoir aussi une Haute Autorité à la démocratie populaire, un Conseil supérieur des pétitions en ligne, des locaux (loyers), des secrétariats, des chauffeurs, des frais de bouche (l’essentiel ou presque du budget du conseil Machin présidé par Luc Ferry).

À la suite d’une pétition, il sera sans doute plus facile de faire débattre du rétablissement de la peine capitale que du plafonnement des rétributions des parlementaires à cinq fois le montant du Smic local. Avec peut-être un sort différent : voter la remise en fonction de la guillotine n’engage à pas grand’ chose (sauf à quitter l’UE), plafonner les ressources des parlementaires serait applicable sans délai (si le gouvernement consentait à promulguer un décret les jours suivants).

Vaste programme…

La réplique du général De Gaulle à un manifestant voulant la mort pour tous les c… ne manquait pas d’à propos. D’un autre côté, quand je vois Bernard-Henri Lévy qualifier de propos « du café du Commerce » les doutes de ceux qui s’interrogent sur la poursuite des opérations de guerre en Libye, je me dis qu’un peu de démocratie populaire ne serait pas superflue. Pendant que la polémique sur la peine de mort (applicable à ceux qui maltraitent les animaux aussi) enflerait, on pourrait continuer en toute quiétude de massacrer en Libye et ailleurs…

Évacuez la complexité, répandez des idées simples énoncées clairement, faites fi des effets pervers, et le « yaka-faukon » s’impose telle une « évidence ». Faire travailler plus les parlementaires pour gagner moins semblerait pourtant un bon moyen de les sensibiliser au sort de la plupart de leurs électeurs. Croulant sous les pétitions, harcelés, ils se sentiraient vite en empathie avec les cadres de France Télécom, de la Fnac, &c., les policiers en butte à de petits chefs exigeant du chiffre, les fins de droits en butte aux créanciers… et nous les verrions peut-être bientôt chaparder du « rab » dans les poubelles de leurs cantines. Leurs décisions s’en ressentiraient et cela permettrai peut-être de ralentir le rythme des dépôts de pétitions, allez savoir…

Plus démocrate que moi…

« Tumeur » : le mot fut appliqué au Front national, aux populismes (pas encore à Mélenchon, mais cela ne saurait tarder). Ils n’ont pas tort de s’en offusquer. Quand Compass propose des jurés tirés au sort, je suis séduit. Quand Phillip Davies (voir supra) veut rétablir la pendaison pour tous les criminels, je me dis que les galères suivront pour tous les délinquants, le bagne pour tous les contrevenants (qui, par exemple, dépassent les limitations de vitesse, fraudent le fisc). Pourquoi pas, d’ailleurs ?  La construction de prisons privées, de bagnes flottants, serait bonne pour les chantiers navals, le BTP, l’emploi (des détenus), et quand le bâtiment va, tout va !

Sir George Young, qui préside les Commons, n’a pas tout faux : « À quoi donc est voué le Parlement ? Les gens ont des opinions bien arrêtées et ce n’est pas bien servir la démocratie que de les ignorer ou prétendre que leurs vues n’ont pas de réalité. ». L’objection, votre Honneur, c’est ce que rétorque Gollnisch (FN) à propos du carnage de Norvège. Les partis sont destinés à canaliser les mécontentements populaires, à servir d’antidote aux comportements extrêmes. Je ne doute pas trop que des intellectuels soient sincèrement décidés à se dessaisir de leurs rôles de mentors au profit de jurés, à redevenir des orateurs haranguant les forums, je reste circonspect quand des tribuns politiques proclament être disposés à faire de même. Il doit y avoir un « loup ».

La « naïveté » dont se gausse Jean-Marie Le Pen (celle de la majorité parlementaire norvégienne) est parfois bien partagée. Un peu de candeur ne nuit pourtant pas systématiquement, et même provenant d’un gouvernement libéral-conservateur, l’initiative britannique, si elle ne finit pas en trompe-l’œil, mérite d’être saluée. D’autant qu’elle concerne tous les résidents du Royaume-Uni (oui, même les binationaux, même les étrangers disposant d’un titre de séjour).

Oui, même aux métèques. Marine Le Pen peut en prendre de la graine.

Le saviez-vous ? Le Royaume-Uni a aussi réformé son système d’attributions des décorations. Ce sont désormais des « personnalités indépendantes » et qualifiées (dans leurs domaines, agriculture, éducation, défense, culture…) qui président les comités proposant des « honours ». Les équivalents des  palmes et du « poireau » ne sont plus attribués à la discrétion d’un ministre, fusse-t-il le Prime. Les anoblissements ressortissent toujours de la House of Lords, mais c’est un début.

Allez, je passe la Manche, dans l’espoir que mes « distingués services » de lanceur de pétitions soient un jour reconnus et me valent une nomination dans un ordre quelconque. Si j’obtiens que ma pétition pour l’extinction du paupérisme au crépuscule soit débattue aux Commons, promis, juré, vous serez les premiers informés.