Cet Amis privés, de Norbert Dekeister et Charles Duchêne chez BTF Concept éditions, est à la fois comique et sans. On entre un peu poussivement dedans, mais la sortie se fait sur les chapeaux de roue. Sur l’idée qu’il faudrait cesser de nous pousser dans le décor à orties. Pastiche d’Ennemis publics (autre échange de courriels entre plumitifs), ce livre d’amis se voue à la propagation entre amis d’amis, de proches en moins lointains déjà.

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Je vous écris d’un antre dont l’huis (vx ou littér.) supporte (spécialt. > assumer) un autocollant blanc au noir « ban comic sans » portant cette mention en bas de casse. J’avais un jour (ATypI-Rome 2002 ?) rencontré un Vincent Connare rigolard qui serait sans doute hilare s’il prenait en mains cet Amis privés. C’est total composé avec dedans, et on peut en réserver autant de sa chienne (tiens, voilà que le style des auteurs m’a contaminé) à Charles Duchêne, multirécidiviste. En effet, il lui avait été charitablement signalé cet impair après la sortie de son Chacun pour soi, lequel « remastérisé » par ses « soins », soit augmenté plus que revu, conserve la même ignominieuse – pour cet usage (et c’est moi qui souligne) – police de caractères. C’est un multirécidiviste, donc.

La Comic Sans MS serait-elle magique ? Police de lettrage et titrage, inspirée des phylactères de Dave Gibbons, cette rigolote destinée aux bulles ferait-elle le succès des ouvrages l’employant ? Allez savoir. En tout cas, si je souhaite le champagne aux deux compères, Norbert Dekeister et Charles Duchêne, qui nous gratifient de leurs aphorismes et calembours avec cet Amis choisis, je considère que leur pochade est à la grande correspondance épistolière littéraire ce que le Champomy™ (boisson carbonatée) est au Dom Ruinart 1998. Fallait pas m’envoyer une invitation de trop à chroniquer en Comic Sans MS. Ou alors, ou alors…

Serait-ce un très mauvais pastiche d’Ennemis publics (330 p., Flammarion & Grasset, 20 €) de Houellebecq et BHV (dit l’hôtelier Urbain-le-fenestré par la multitude servile) ? Mauvais car largement supérieur à l’original par moments mais s’efforçant d’être aussi insignifiant pour en conserver le fil rouge sous forme de ruban raplapla (BHV le fit accorder à son père, voulait en faire retirer la rosette à Poutine, et par Sarkoutine, ce qui est très fort ; il finira bien par l’obtenir, cette légion-là, à Houellebecq) ? Je doute.

Je me suis dispensé de la lecture attentive des Ennemis, pas de celle des Amis, et si Norbert Dekeister a pour le « Bazar de l’Hôtel des Livres »  (N.K.) l’estime que je porte à mon BHV du Qui a tué Daniel Pearl ? cela ne nous rapproche guère. Il sera donc écrit que cet article n’est pas totalement de complaisance.
 
Jusqu’à la page 64 (sur 224), hormis lors d’un passage assez savoureux permettant à  Norbert Dekeister de se distancier des blaireaux genre Houellebecq se « ressourçant » à l’île Maurice, je me suis un poil ennuyé. Savoir, à longueur(s) d’échanges de courriels, que l’ordinaire de Charles Duchêne est de retrouver des potes sur des salons du Livre de chefs-lieux de canton, de sous-préfectures ou de départements, ne m’a pas franchement ravi.

Il est vrai que je n’en ignorais rien. Si je vous informe que je dois un bon repas à Charles Duchêne, pour vous, ce n’est pas une redite. Si Charles Duchêne m’indiquait de nouveau qu’il est assez souvent voisin de stand de Joseph Joffo, ce ne serait pas, pour moi, une information. Celle-là est exclusive, car elle ne figure pas dans ce bouquin, mais dans un courriel de Charly à mon intention. Et très franchement, vous pouvez me l’écrire en commentaire, vous en avez très peu à faire. Sauf que…

Il n’est pas totalement superflu ou inintéressant d’effleurer ainsi le vécu de deux auteurs étant, de par leurs tirages, de seconde ou troisième zone ; et puis, je vous l’avoue franchement, question vacheries, ces deux kiriphiles en pantalons mais mentalement sans culottes m’en remontrent. J’aurais aimé avoir trouvé ce « bidon d’Arielle » (D. K.) pour désigner mon BHV. Le problème, pour ce premier tiers un peu trop provisionnel des deux autres, plus costauds, de la pagination, c’est qu’à trop bien jouer les bons Monsieur Loyal passant les relevés à son conteur d’ami, Charly (C. D.) s’affadit quelque peu.


Il aurait sans doute convenu d’élaguer le sous-bois Duchêne pour mieux dégager les fûts de l’auteur des Histoires de France à lire en mangeant du saucisson, de La Norblégie et des Recettes de Bonheur ou comment travailler et néanmoins vivre à moins de 1 200 euros par mois (BTF Concept éds aussi pour ce dernier). Évidemment, le côté ping-pong censé imiter le modèle inamical en eut souffert, et peut-être aurait-il mieux fallu réécrire totalement des courriels avec des contenus de champs « objet » tels que « Houellebecq à Esquelbecq (le salon) ? » (allitération assortie du calembour approprié au sujet de la « littérature » alimentaire, genre « ouskonbecte ? », qui est assez récurrent dans ce type d’ouvrage n’ayant pas plus peur d’affronter la facilité que les « Ennemis » patentés et peu tentants, voire timorés face à l’aisance réelle).

Ces deux compères se retrouvent donc, en bons Nordistes, sur des salons, lieux propices à s’envoyer des bières et tremper la frite dans la mayo. Ils ont lu assidûment Delfeil de Ton et quelques autres, nous servent un condensé de Canard enchaîné fourré Vermot avec un semis de Hérisson (autre publication satirique prématurément disparue) à la remorque (le hérisson à la remorque est un peu comme le homard à la nage, mais plus accessible aux impécunieux n’ayant su suivre les puissantes injonctions industrimaso-acheteuses, voire oiseuses mais anti-oisives, de Sarkoutine). Je ne sais si toutes et tous se souviennent d’une époque où, sur le mode de la « croissanterie », la plus quelconque boutique, la plus humble échoppe devenait une « -erie » prétentieuse. Ainsi des meubleries, chaussureries, cheveuleries et autres quincailleries… (ah, ben non, comme pour la braderie, cette dernière était déjà ainsi formée). Il y a un côté biffin de la Toutà-z-unfranc-terie du jeux de mots oiseux chez ces deux bougres, ou un penchant bidasse arrageois du double entendre (en ang., si vous le voulez bien) chez nos lurons (pas ceux de la patrie du sapeur Camembert).


Comme quoi, à malins, coquin et d’un entier, car nous serons, au moins ici, trois, et ce n’est pas forcément le plus futé qui l’emportera. Ils ont au moins mis en bière les jardineries du persiflage frelaté en y jetant quelques pierres, et offert des jardinières de bons ou moins bons mots qui ne flattent pas l’air du temps au fallacieux prétexte de le dénoncer.Cet Amis privés n’est peut-être pas l’anti-Ennemis publics nº 1, mais, faute d’en trouver de plus mordant encore, celui-là nous va tout à fait.Question emportements, il en est de salutaires, et nos lascars n’en manquent pas ; mais, même avec un welsh pour la route (qui est, pour D.K., tel « le sac de sable à l’avant de la Dauphine » pour ne la point quitter et percuter des pommiers normands ou dauphinois, et pour d’autres un « teupant » en-cas à base de fromage à pâte dure et de bière), ce n’est pas Amis privés que j’emporterai à par devers soi seul sur une île, quant à elle, aride, possible, impossible, là n’est plus la question.

Se remémorer, en mâchant le dernier tendon de la dernière haridelle insulaire, qu’en 1966, Leprince-Ringuet (sentencieux chantre du nucléaire), prévoyait pour 1986 que les Françaises et Français ne paieraient pratiquement plus rien pour se chauffer ou s’éclairer à l’électricité, comme ils le font dans Amis privés, fort peu pour moi. Imaginez-vous en Bonaparte à Sainte-Hélène lisant des trucs sur « l’ampleur de la lampe au néon » et la « pelle à tarte » ! Si, si, hélas, C.D. l’osa, page 76. Affligeant ! Comparez avec La Poursuite du bonheur (de Houellebecq, réédité chez Librio en 92 minces pages), et souffrez que je me morfonde, sur l’île à fossettes traitresses (pour les chevilles), à me lamenter sur la nature « laide, ennuyeuse et hostile [qui n’a] aucun message à transmettre aux humains. » (M.H. scripsit). Tel un Chateaubriand sans tournedos, en ces désespérées circonstances, face à la mer en furie, je préférerai prendre une douche de sinistrose avant de m’effondrer dans les flots de la délivrance.


Tandis que ces Amis privés me rattacheraient au terre à terre, au plancher des « vachardises » qu’entre potes on s’envoie, telles des gourmandises, entre les stations La Boétie et Montaigne, histoire d’attirer l’attention des gourgandines du banc d’en face. C’est de l’humour aisé, et question style relâché, il conviendrait de dire à D.K. et C.D. que « anti-sarkozysme primaire » est une redondance quasi pléonasthmatique.L’ennui, avec ces gens-là, c’est que, quand vous survolez leurs ouvrages (sur le site de Houellebecq, l’onglet intitule les siens « œuvres »),  ils sont capables de vous rappeler, comme D.K. l’a fait à André Rollin (qui l’avoua imprudemment), du Canard, page 95, que les feuilleter seulement est quelque peu désinvolte. Et comme D.K. est de surcroît le père d’un champion de Kung-Fu (voir Sur la piste du kung fu, de Luke & Charly, BTF Concept éds), même avec un Goupil entarteur pour garde du corps, on hésite à dire trop de mal de leur bouquin.
Mais pour l’emploi, ou plutôt le contre-emploi, de la Comic Sans MS, de Vincent Connare, je ne retire rien !
D’autant qu’il faut doublement se méfier. Ils ont, telle une grande maison d’édition,  déjà prévu les produits dérivés, notamment des cartes postales qui peuvent vous parvenir affranchies, tout à fait oblitéramment par La Poste, du dessin de Sarkoutine en C.R.S. maniant le bidule, lequel crobard, dû à Delambre, illustre la couverture de Chacun pour soi.

 

Et si, au lieu de tirer sur des ambulances, on canardait une future Panzerdivision de l’édition ? Et si, bientôt, au vu du succès des Amis privés, des Flammarion-Grasset (sans Fasquelle, heureusement !), exigeaient des futurs Houellebecq ou « bidon d’Arielle » de faire à la manière de C.D. et D.K. et imposaient aux graphistes metteurs en page l’usage de la Comic Sans MS ? Et pourquoi pas des phrases longues, à incises et digressions, à verbe antéposé du sujet, à la mézigue ? Faut pas rêver.
Ni se prendre, tel Frédéric Huet, pour Hyppoulaine Nothomb. Laquelle, pour Paris-Normandie, récemment, l’a classé, Huet, dans les « pauvres gens ». Benoit Vochelet, un poil flagorneur, ayant oublié de citer nominativement
Frédéric Huet et les éditions Anabet dans sa question à ce propos pour susciter ceux d’Hyppoulaine, je complémente – tel l’indigent de service – au passage. Fin, provisoire, de la digression.

C’est donc en toute indépendance que, passée la page 101, après la mise en jambes, on finirait presque par vraiment s’attacher à la prose de C.D. et D.K., même quand, comme d’autres suscités (BHV et M.H.), ils n’ont pas vraiment grand’ chose à dire ou narrer. Arrivés à la page 107, et donc au second dessin de Jean-Marie Polet (le précédent m’avait laissé froid, et j’allais éluder que c’est un livre illustré… chichement), un « le peuple est bourrin même si les Français sont dévots » vous semble tout naturel, comme si vous lisiez le « tube digestif inerte et végétatif » de la Métaphysique. Hyppoulaine serait-elle aussi question d’habitude ?

La digression supra n’en est pas une si l’on considère que, tel un Frédéric Huet invectivant les auteures à succès, Duchêne, Charly, interpelle Saint-Bris, Gonzague, sur les petitesses de la gendelettres. Joseph Joffo n’est pas visé… enfin, cette fois. Pas plus qu’Érik Orsenna pour lequel les auteurs avouent un faible (on ne peut être constamment méchants). Mais la suite nous éloigne de la sphère littéraire pour se rapprocher de la musique de la (sphère, ou maboule) politique. C’est là que Charly donne sa meilleure mesure, dans les croches décochées à Sarkoutine. Dekeister n’est pas en reste.


Ils finissent par poser des questions à la mord-moi la main et garde l’autre pour demain, des interpellations de gens qui ont faim, et se demandent qui, lorsque le Sarkoutine va jouer à l’ouvrier démolisseur de mur à Berlin, règle l’addition. C’était quoi déjà, le tarif horaire du marteleur Sarközy rythmant, comme l’a titré pertinemment le Canard, « Ich bin ein Bara-ti-neur », sur le mur des vopos ? C’est le baron Seillière qui a payé les heures sup’ ? Ou Denis Kessler ? C’est bas, c’est vil, de ramener le débat politique à ce niveau, je trouve. Soit à l’étiage où tant se terrent, où ceux qui débattent hautement vous ont déposés, si ce n’est précipités, sans même s’inquiéter des conséquences, assurés qu’ils étaient d’être épargnés d’un tel sort.

 

On sort de ce « Voyage avec Charly » (non point celui de Steinbeck) vers la Creuse, où Dekeister réside dans une caravane, et retour, par courriels ou véhicules essoufflés qui coltinent des bouquins vers divers salons « littéraires », plus férus qu’auparavant de garde de momie du château-musée de Boulogne sous la vigilance du concierge du lieu. Si ! Authentique. Au cas où le gardien de momie voudrait la bouloter en douce, il est supervisé. Il y a de telles anecdotes vécues dans ce bouquin, si véridiques qu’on les voudrait inventées. Mais ne sont-elles pas prémonitoires ?

Se demande-t-on, comme les auteurs, si, bientôt, certains se seront tellement gavés en gaspillant qu’il faudra créer des RSA troisième et quatrième âge, des emplois « très grand âge », pour vieillards miséreux. Ils garderont des momies, mais les déficits seront si forts qu’il sera craint, vu les rétributions misérables accordées, qu’ils ne bouffent les bandelettes. Alors on paiera un peu plus cher un superviseur, un sous-Sarkoutine assermenté, un concierge de faction. Pour préserver l’embaumée en état au cas où un Jean ou Pierre Sarkoutine ait envie de voir une momie « pour de vrai ». Bah, les Charly ou Norbert ou les autres, ils l’auront bien mérité, ils n’avaient qu’à faire un autre métier, genre sénateur en Argentine ou juge anticorruption en Roumanie (pour qu’ils ne soient pas corrompus, on les paye dix, vingt fois les émoluments d’un petit fonctionnaire, ou au moins celui d’un chef de groupe parlementaire).

Vers la fin du bouquin, on apprend que le fils de John Kenneth Galbraith, donc de l’auteur de L’Art d’ignorer les pauvres, a trouvé l’oreille attentive de Charly Duchêne ; Bertrand de Ruyver aussi, et les deux (Galbraith, de Ruyver, personnages évoqués page 200 et suivantes) ont peut-être davantage en exceptionnel ce qu’ont Sarkoutine et Berlusconubu en mal commun, et il faut le souhaiter : ni Duchêne, ni Dekeiste ne veulent durablement désespérer.

Mais si cela devait empirer, on ne pourra pas dire qu’ils ne nous auront pas prévenus. Car nous avons aussi, en matière de décroissance, besoin d’une sérieuse mise en examens. Bon, allez, ce n’est pas tout cela, il faut savoir rendre sa copie. Et conclure qu’un bouquin dont la dédicace, pour ses remerciements, aligne quelque 240 prénoms, en spécifiant que le concierge du château-musée de Boulogne s’en est de lui-même exclu ne peut pas être, Comic Sans MS nonobstant, tout à fait mauvais.

 

Amis privés, Dekeister, Norbert & Duchêne, Charles, 220 p., nov. 2009, éds BTF Concept, IBSN 978-2-917878-07-1, 12 euros, vente en librairies, chez l’auteur (C.D.), sur salons, &c.