« Partout, il faut faire à deux ce qui se faisait à trois, » résume Frédéric Pons, de Valeurs actuelles, qui indique que le moral des militaires français serait à l’inquiétude. À la bataille d’Azincourt (Agincourt), en 1415, le rapport des forces était d’un (Anglais) contre cinq (Français), tout comme auparavant, en 1346, à Crécy. La suite est connue : le ratio des pertes françaises (plus de dix à un) sera inversement proportionnel à celui des forces engagées. Toute similitude avec la disproportion des puissances de feu en Afghanistan ou en Libye serait bien sûr hasardeuse.

Selon les chercheurs des Royal Armouries de Leeds, l’un des musées militaires britanniques, les victoires anglaises de Crécy et d’« Agincourt » ne seraient pas dues qu’aux types d’armes en présence (pour résumer, archers contre piquiers), mais surtout, surtout, au terrain (au sens large), et aux types d’équipements (lourdes armures face à des troupes plus mobiles et moins harnachées). C’est épuisées, essoufflées, trop lourdement chargées, se croyant pourtant supérieurement protégées, que les troupes françaises furent bien davantage que décimées, anéanties, alors que les pertes anglaises restèrent limitées à une ou trois centaines de morts (contre 6 000, Crécy, ou 10 000, Azincourt).

Le fantassin français « félin » (fantassin à équipement et liaisons intégrées) sera équipé pour environ 23 000 euros d’un nouveau fusil d’assaut (dérivé du prototype Papop, ou Poly Arme Poly Projectiles, remplaçant le Famas) et d’un « barda » électronique d’une quarantaine de kilos. Le nouveau fusil ne permettra pas de « tirer dans les coins » mais, grâce à sa lunette, de visionner sur un écran si le terrain est dégagé ou non. Il suffit de consulter les forums des futurs utilisateurs pour se rendre compte que, forts de leurs expériences d’expérimentations diverses en matière d’armement individuel, les opinions sont très partagées. Selon le ministère de la Défense, ce Félin « améliorera de façon significative les capacités et la réactivité du fantassin dans l’exécution de ses actes réflexes. ». C’est joliment exprimé.

Pendant ce temps, en Afghanistan, la CIA arme et entraîne des milices afghanes largement autonomes, très mobiles, si autonomes que les conflits entre elles ou avec d’autres autorités afghanes (ou pakistanaises si elles opèrent dans les zones tribales), suscitent des incidents meurtriers. Ces milices pourraient d’ailleurs, au gré de changements d’alliances locales, changer de camp. Donc affronter des troupes étrangères supérieurement équipées.

Dans leur blogue spécialisé « Défense », Richard Norton-Taylor et Nick Hopkins, du Guardian, relèvent qu’à Laskhar Gah (province d’Hemland), des gamins se sont confectionnés des lance-pierres capables d’endommager les vitres renforcées de véhicules blindés tels le Husky (un véhicule de soutien aux Cougar et Grizzly à tourelles armées de canons et mitrailleuses). Il n’est quasiment plus d’heure, sur l’ensemble du territoire afghan, sans que des attentats ou des mesures de représailles ne fassent des morts civils, des tués parmi les milices locales ou les forces supplétives « civiles » étasuniennes, ou des soldats de l’ISAF tués au combat ou « au contact » des populations.

Les camarades des sept derniers soldats français morts le reconnaissent : les talibans, mobiles, peu saisissables, ou leurs alliés locaux d’occasion ou durables, sont de très redoutables adversaires, en dépit d’un équipement largement inférieur la plupart du temps.

Le contre-amiral Christophe Prazuck, commandant les fusiliers marins, a relevé dans une tribune libre du Monde a relevé à juste titre qu’« un militaire français qui meurt au combat meurt toujours pour la France (…) la valeur de son sacrifice n’est pas liée aux objectifs politiques poursuivis (…) n’a pas de relation avec la victoire ou la défaite (…) que mes concitoyens honorent le sacrifice de mes camarades pour ce qu’il est et ne le jugent pas pour les fins qu’il sert. ».

Ce n’est pas minorer la valeur des sacrifices des militaires et de leurs familles, qu’ils tombent au combat ou reviennent mutilés et durablement diminués, que de s’interroger. À mesure que les objectifs politiques sont moins compris par l’opinion, la volonté de limiter les pertes en mission s’impose : que dirait-on si, comme l’a estimé l’opinion britannique au sujet de l’équipement de ses soldats, ils ne bénéficiaient pas des meilleures protections, des meilleurs équipements ?

Les premiers contingents rejoignant l’ISAF et la province de Kapisa s’équipaient parfois à leurs propres frais en équipements estimés mieux adaptés que ceux de leur dotation de combat. On veut espérer que cet état de fait ne perdure pas. Relevons que, judicieusement, le détachement des gendarmes français stationné en Afghanistan a été doté d’un fusil d’assaut allemand de préférence au Famas moins adapté à leurs missions…

Mais alors que les dépenses militaires générales pèsent sur l’entraînement, l’entretien des matériels, éventuellement allongent les rotations (ce qui vaut désormais sans doute pour les pilotes de chasseurs et hélicoptères engagés en Libye et les marins restant jusqu’à 200 jours en mer), il reste légitime de s’interroger sur la nature des missions et des moyens alloués pour les mener.

Qu’allait faire un fusilier-marin, tireur d’élite de précision, aux côtés de policiers afghans ? Était-ce bien conforme à la nature de l’entraînement reçu ? Il serait mort d’un tir direct dont les circonstances restent inconnues, en dépit de son équipement de protection. Ce n’est certes pas manquer de considération à l’égard des militaires que de poser ce type de questions. C’est bien parce que leur mort ne nous indiffère pas que la question des conditions de leur engagement se pose.

L’amiral Guillaud a émis le souhait que « les gens vont réfléchir sur la nécessité d’un effort de défense pour leur pays. ». Quel effort pour quelles missions dans quelles conditions ? Le budget global des forces royales à Crécy ou Azincourt était peut-être supérieur à celui des troupes anglaises. L’artillerie (des bombardes) inopérante car inadaptée au terrain, n’a sans doute pas été employée à Crécy et les cordes détrempées des arbalètes françaises n’avaient pas la puissance de celle des « simples » longs arcs anglais. Les serpentines ou couleuvrines françaises (à long tube) n’ont pas produit les effets espérés lors d’Azincourt, soit qu’elles aient été mal employées, soit qu’elles n’aient pu l’être efficacement.

Les opérations en Libye montrent les limites de l’emploi de l’arme aérienne et si les porte-avions coalisés n’ont pas subi de dégâts autres que dus à l’usure, ce n’est pas qu’en raison de leur invulnérabilité supposée.

La capacité de défense est aussi fonction des marchés potentiels extérieurs, et l’on a vu récemment la RAF vanter à l’Inde la supériorité opérationnelle des Typhoon Eurofighter sur les Rafale Dassault en Libye, ce qui peut se discuter longuement.

Mais le débat de fond appartient aux politiques : rester une puissance globale est-il possible, que ce soit avec l’Otan ou une incertaine défense européenne, indépendamment des États-Unis ou non, etc. ? Convient-il d’en faire la douteuse démonstration en participant à des opérations sur des fronts aussi peu maîtrisables que celui d’Afghanistan ? Le retrait total de la présence militaire au Tchad doit-il être poursuivi dans d’autres pays africains ?

Les arbitrages sont aussi industriels. Même si le pouvoir politique se plie aux intérêts économiques, il lui reste son mot à dire. Un exemple ? Si les chars allemands Panther avaient été étroitement conçus et réalisés par des industriels européens majoritairement allemands et français, Paris aurait-il eu son mot à dire sur des marchés d’exportation vers des pays avec lesquels la France serait en délicatesse ? Même remarque, inverse, pour les marchés à l’export des chars Leclerc.

Ces questions, alors que la compagne des présidentielles 2012 s’entame, ne devraient pas laisser indifférents les électrices et électeurs. Encore faudrait-il qu’au-delà de l’hommage de la Nation aux militaires morts en opérations extérieures, le corps électoral s’en empare. Ce serait sans doute le meilleur témoignage de respect à l’égard de celles et ceux qui servent sous les drapeaux.