8 millions de pauvres*, mais, 64 millions d’esclaves (ne parlant que pour les français, mais tant d’autres dans le monde entier…) d’une société que nous avons nous même créée, nous, humains, dans notre soif d’évolution… et qui comme toute société qui arrive à son apogée, la décadence n’est jamais loin et "la crise" que subit le monde"développé" aujourd’hui en est probablement le premier signe…

 * J’avais commencé par commenter et répondre à l’excellent article d’Anido, "8 millions de pauvres, presque" mais vu l’ampleur et la complexité du sujet, je pense que ma vision théorique des choses mérite un article global et je prie celles et ceux qui ont commencé à lire ma prose dans l’article d’Anido de m’excuser d’en reprendre le début dans cet article…

Sans vouloir donner de leçons à quiconque, ce j’ai compris de mon côté, c’est que l’argent a été créé pour faciliter les échanges de biens et services selon les besoins des uns et des autres. le mot "besoin" est lui même très important car il faut aussi lui donner une valeur relative entre le besoin nécessaire et le besoin superflu.

Et c’est là que ça se corse car, l’économie fait aussi un détour par l’anthropologie, l’ethnologie, la philosophie et même la religion ; Mais gardons à l’esprit que l’humain n’est qu’un animal évolué qui cependant se meut par les mêmes instincts primaires que tout autre animal, la survie et la procréation.

A l’aube des temps, les besoins humains ne se bornaient quasiment qu’à se nourrir et s’abriter. De manière intrinsèque, l’humain n’a réellement pas d’autre besoin primaire pour garantir la survie de l’espèce.

C’est l’évolution de la notion du confort qui a développé la société telle que nous la connaissons aujourd’hui. Et cette notion de confort s’est développée de manière irrégulière selon les ethnies, là où certains peuples nécessitaient l’eau courante dans leur demeures (ex pour Rome), d’autres n’y voyaient aucun intérêt…

Puis les modèles sociaux ont aussi évolué, pour passer de l’état de "biens communautaires" à celui de "propriété privée" et cette dernière notion, je pense, a engendré les premiers vrais soucis d’égalité entre les uns et les autres. Cependant, toute notre société occidentale est désormais appuyée sur cette notion d’acquisition et possession.

…Possession… C’est à ce moment qu’entrent en jeu "les marchands du temple" qui ont bien compris que l’envie d’acquérir et posséder est devenue la nouvelle norme des "valeurs humaines" ; Ils ont promis le modernisme, et ils l’ont fait…
 
Pour tenter d’expliquer ma vision des choses, je vais passer par un exemple :
 
La famille Roger, paysanne typique de l’après-guerre., dans les années 60. Petite exploitation agricole, léguée par les parents, quelques têtes de bétail, un peu d’agriculture à l’ancienne, au cheval de trait, l’eau du puits, le lavoir, cuisine et chauffage à la cheminée, un costume du dimanche et la séance de cinéma 2 fois par mois… (cliché mais pas si éloigne que ça de la réalité de l’époque)
 
L’exploitation emploie 4 ou 5 ouvriers agricoles pour assurer une production modeste vendue à la coopérative locale.
 
Cette exploitation connaît "la croissance", directement liée aux besoins démographiques de la région… + de naissances = + de bouches à nourrir = +de besoins agro-alimentaires = + de production agricole.
 
La majorité des mômes étaient assurés de leur avenir par la promesse d’un emploi dans ces exploitations locales, même si la "carrière" devait commencer très jeune, souvent dès l’âge de 14 ans.
 
Jusque là, on voit l’équilibre entre les besoins et la production, pour des biens de première nécessité. Les revenus de cette activité permettent à 6 familles de vivre, certes, selon les critères de l’époque, mais dont personne ne se plaignait vraiment.
 
Puis un jour, s’installe en ville la première boutique de vente d’appareils électro-ménagers. La vitrine expose ostensiblement les mille merveilles nécessaires à l’homme moderne, du poste à transistor au réfrigérateur, passant par le lave linge jusqu’au superbe exemplaire unique du téléviseur qui trône en meilleure place. 

Comme beaucoup à l’époque, la famille Roger, après mûre réflexion, se dit que l’achat d’un lave-linge pourrait bien changer leur vie, épargner à Madame la pénibilité de cette corvée domestique, cependant, la machine vaut son pesant d’or que la famille ne possède pas…

Dans pareil cas, et durant des années, le familles telle les Roger, faisaient preuve de patience et de rigueur dans le budget matrimonial, parfois au prix de sacrifices d’économiser une séance de cinéma, faire durer un peu plus les vêtements avant de les remplacer pour épargner, au fil des mois, la somme réclamée pour acquérir le lave-linge…

C’est d’un autre âge, me direz-vous, mais, à tort ou à raison ?

Ceci étant, le commerçant, lui, avait un stock à écouler et subir le délai d’épargne des ménages ne faisait pas trop son affaire… C’est alors qu’il décida, en accord avec les fabricants, de proposer le paiement des articles "à tempérament", permettant au client de retirer les articles immédiatement et les payer en diverses échéances convenues au préalable.

Succès garanti… Et notre brave famille Roger, forte de cette facilité de paiement, court s’acheter : un frigidaire, une armoire à cuillères, un évier en fer, et un poêle à mazout… (Paroles et musique de Boris Vian : La complainte du progrés ), sans oublier le téléviseur, la boîte magique qui montre et dit (presque) tout…

Ah, qu’il fait bon vivre, soudain, dans cette humble demeure… et les 10.000 autres foyers qui ont imité les Roger "en se modernisant" ainsi… Cependant, le confort a un prix, d’ailleurs, un peu plus cher que prévu, car, pour compenser la facilité de paiement, le commerçant a dû augmenter les siens… Oh, pas beaucoup, a dire vrai, mais quand même, ça fait des remboursement qui pèsent lourd sur le budget familial…

Qu’importe, il suffit d’augmenter un peu les revenus de l’exploitation agricole en produisant un peu plus, et le tour est joué… Cependant, augmenter la production, c’est augmenter la cadence de travail, embaucher plus d’ouvriers agricoles ou alors, gagner du temps et les coûts à l’ouvrage, comme le disait le voyageur de commerce sympa de chez "Mac Fort-Nique" et acquérir le superbe tracteur multi-usages 80 chevaux avec sa belle remorque qui fait (presque) tout, et la machine à traire (presque) automatique, de nouveaux silos à grain plus vastes…

Mais, c’est que ça fait des sous, tout ça, et ça fait un peu peur… Mais, pas grave, le banquier a accepté un prêt sur 15 ans, avec intérêts, avec garantie hypothécaire sur la ferme, et, pouvant produire 10 fois plus, la coopérative a assuré qu’elle pourrait écouler la production en diffusant et commercialisant sur tout le territoire.

De toutes façons, on n’a pas le choix, il faut payer le crédit pour : le frigidaire… vous connaissez déjà la suite…

Alors, l’affaire est faite… Au revoir, Maurice, Alain, Pierre et Jean-Paul, ouvriers agricoles émérites sacrifiés à la mécanisation, qui vont aller rejoindre, au mieux, la kyrielle d’autres, comme eux, dans leur exode vers la ville et le travail à l’usine qui fabrique l’électro-ménager, ou pire, rejoindre les rangs des chômeurs qui s’accrochent à la terre de leurs ancêtres…

L’exploitation agricole Roger se porte bien, produit beaucoup, car il doit rembourser beaucoup d’argent à la banque, plus d’argent qu’au debut, d’ailleurs, car cette année, les intempéries étaient là et la production en a souffert… Comme il fallait bien manger quand même, le banquier a été gentil et a accordé un nouveau prêt…

Durant ce temps, les usines tournent à plein, et nos quatre ex-ouvriers agricoles, salariés, jeunes mariés, bientôt des enfants, cèdent à leur tour aux sirènes des vitrines des magasins, surtout que depuis, on a inventé le crédit à la consommation pour se concocter son petit nid douillet en formica et velours et se payer la renault 4 L GLX pour partir en vacances à Pornichet l’été prochain…

Le patron de l’usine, lui aussi est satisfait parce qu’il produit, beaucoup, vendant au travers ses filières commerciales, les apareils qu’achètent ses propres ouvriers… Certes, les marges bénéficiaires sont bonnes, mais, le nouveau comptable, celui qui a fait les "grandes écoles", lui, il dit que ce pourrait être mieux, dix fois mieux, qu’il est possible de vendre dans les pays voisins, "à l’exportation", selon ses termes… A condition de moderniser l’usine pour produire plus…

Celui qui a le plus grand sourire, c’est le banquier… Fichtre ! il se fait rembourser chaque mois des intérêts des cinq cent mille prêts accordés aux gentils n’ouvriers, au gentils fermiers et bientôt, aux gentils patrons, pour agrandir et moderniser leurs usines… D’ailleurs, la banque est fière d’exhiberles excellents résultats qu’elle va réaliser quand tout le monde aura remboursé ses crédits, dans 20 ou 30 ans, et les actionnaires sont heureux de percevoir les dividendes que la banque leur avance en attendant…

Bref, vous l’avez compris, la vie est belle, et tout ça grâce au frigidaire de la famille Roger…

Puis, arrive le grand jour pour la fabrique… Elle se modernise, pour le plus grand bien des ouvriers qui verront leur tâches simplifiées et moins pénibles… Du moins, pour ceux qui vont rester, car, grâce à ces machines qui poduisent beaucoup plus en moins de temps, on n’a plus besoin d’autant de personnel qu’avant et les licenciements commencent à aller bon train…

Dans le même temps,  la modernisation a coûté de l’argent, emprunté à la banque, et pour compenser, il faut augmenter le prix des appareils, que les ouvriers n’ont plus les moyens d’acheter. Qu’importe, les exportations marchent bien et les sous continuent à rentrer tout de même.

D’ailleurs, l’exploitation agricole Roger voudrait bien elle aussi augmenter ses prix mais, là, c’est l’os ! La coopérative ne veut pas payer un centime de plus à la tonne… et les Roger n’auront pas les moyens de racheter un nouveau frigo, dont le prix a nettement augmenté et vu qu’il faut rembourser les crédits…

Quant à nos quatre ex-ouvriers agricoles et ex-ouvriers d’usine, c’est la dernière année où ils ont pu voir Pornichet, ne peuvent pas réparer la voiture tombée en panne, mangent des nouilles à chaque repas pour pouvoir honorer les arrangements avec les huissiers mandatés par la banque pour le remboursement des crédits à la consommation, bref, la vie fut belle, à une époque…

La famille Roger aussi a des soucis… La baisse de la consommation fait que les prix d’achats ont sérieusement baissé… Ils ont dû vendre des terres, au début, puis des bêtes, mais, ça ne suffisait pas à rembourser le banquier qui a fini par faire saisir la ferme et tout ce qu’elle contenait…

Le patron de l’usine, plein d’orgueil, s’est confronté à la montée d’une concurrence massive, la hausse des prix du transport de ses marchandises, une baisse des acheteurs pour ses produits, la banque qui ne veut plus lui financer "un plan de relance", qui se termine en "plan social" pour tous les salariés de la boîte avant liquidation…

Reste le banquier et ses actionnaires… Pour lui, tout va bien… Bien que les remboursements de ses prêts fassent défaut, l’état est d’accord pour l’aider, pendant qu’il continue à spéculer en bourse avec des bénéfices virtuels qu’il n’a pas réalisés… Et pour que l’état trouve l’argent pour aider les banques,facile… On réduit les dépenses publiques, on augmente les prix de l’eau, du gaz, de l’électricité, on rembourse moins les soins…

Bref, avant de céder à vos envies d’un nouveau frigo à crédit, faites gaffes aux conséquences…