François Fillon pouvait ou non avoir raison : une intervention musclée rapide aurait pu faire s’enfuir le clan Kadhafi. C’est peut-être oublier que Nicolas Sarkozy (ou David Cameron) n’en avait peut-être pas la capacité militaire et politique, tant à l’intérieur qu’à l’international. Ou que le clan Kadhafi ne se réduit peut-être pas à une seule famille…

Ce ne sont pas les dires de Saïf Al-Islam, dévoilant en partie le « secret » que détenait (ou détiendrait) son père sur Nicolas Sarkozy, qui auraient pu ou pourraient freiner Nicolas Sarkozy d’intervenir en Libye. Le fils de Mouammar Kadhafi a déclaré en substance : Sarkozy doit rendre l’argent que nous lui avons fourni pour financer sa campagne électorale.

Oui, et alors ? Déjà, son père peut traiter Sarkozy de dément, les Françaises et les Français lui répondent que ce n’est plus une révélation ou haussent les épaules. Des guerres ont été déclenchées pour moins que cela (coup d’éventail du Dey d’Alger, dépêche d’Ems de Bismark, pour ne pas remonter trop loin). Le réflexe « cocorico », qui aurait suscité une sorte d’union sacrée temporaire, n’a pas joué : Sarkozy n’est pas De Gaulle, ni même Pompidou ou Giscard. Et tant bien même…

Lu sur le site Armees.com : « aucun parti, aucun candidat au monde n’aurait l’immense stupidité de se fournir chez un dictateur, Kadhafi en l’occurrence… ». Allons donc. Il est vrai que Ghulam Ishaq Khan (Karachigate) auquel étaient reprochés des problèmes de financement de sa propre campagne électorale, a « emporté ses lourds secrets dans sa tombe » (nécrologie du Guardian), n’était pas, sauf peut-être aux yeux de Pakistanais, un dictateur. Laurent Gbagbo, en Côte d’Ivoire, non plus, d’octobre 2000 à… nouvel ordre. Mais les autres, tous les autres, en Afrique, voire ailleurs ? Le statut de dictateur de Ben Ali est fort récent. Mais c’est malheureusement accessoire.

Ce n’est pas ce qui fragilise Nicolas Sarkozy. L’Afghanistan, « passe encore »… C’est loin, les États-Unis et l’Otan sont impliqués. Le 38e crash d’un Mirage 2000 (cette fois, un 2000N, le premier mars dernier), officiellement en mission « nucléaire », n’a évoqué l’opération El Dorado Canyon (1986, raids sur Tripoli) qu’à de rares observateurs (voir AgoraVox). L’opération américaine se solda par la perte d’un F-111 sur 18, et on peut penser qu’elle était plus risquée qu’une réplique depuis la France. N’empêche : la famille Khadafi en fuite, et après ? Nicolas Sarkozy, chef des Armées, était-il si, tant militairement que politiquement, en position d’assurer la suite ?

On oublie un peu trop vite que la Cyrénaïque (Tobrouk, Benghazi…) a fourni de forts contingents de djihadistes à l’opposition irakienne et pakistanaise. Certes, les enthousiasmes se sont taris, et la Cyrénaïque n’est plus sans doute un bastion islamiste. Mais en cas de complications, les Françaises et les Français auraient pu estimer que Nicolas Sarkozy les aurait plongés dans un conflit pour se conférer une aura personnelle et se rallier un… Bernard-Henri Lévy. Un BHL dont on peut mettre en doute, en dépit des apparences, la réelle proximité avec telle ou telle composante du Conseil nationale de transition de Benghazi. La Cyrénaïque n’est pas la Libye, et le Fezzan et la Tripolitaine, avec ou sans les Kadhafi, sont tout aussi vastes. L’Égypte ne se résume pas non plus à l’axe Le Caire-Suez, mais elle était relativement plus « gérable »… Suez…

Militairement, l’opération Mousquetaire (Musketeer) fut un succès. Il lui fallut cependant, d’août à octobre 1956, quelques bonnes semaines de préparation. L’opération suivante (Amilcar, Hamilcar), tout autant (dix Français, 22 Britanniques tués… « seulement »). Mais le 27 novembre, l’Onu prend la suite, la coalition franco-britannique a tiré les marrons du feu pour, au final, Israël et les États-Unis. C’est vite écrit, ce fut beaucoup plus complexe ; l’Union soviétique (qui menaçait d’une guerre nucléaire) et les États-Unis (qui s’attaquèrent à la livre sterling et interposèrent des unités navales) avaient des intérêts antagonistes, le Royaume-Uni et la France divorcèrent.

À présent, la France a rejoint l’Otan. La crise de Suez l’en avait éloignée. Même si c’était le cas, personne ou presque, et surtout pas la Russie ou la Chine, n’accrédite que l’opération franco-britannique envisagée n’avait que des objectifs humanitaires. Pour le moment, on n’a pas trop vu en quoi la France de Nicolas Sarkozy, qui fournit la Russie en armements, avait réussi à imposer aux États, aux nations, les vues de son président. La Géorgie est amputée, la finance mondiale se rit de ses propositions, la Côte d’Ivoire est au bord de la guerre civile, Merkel tient le haut du pavé européen, &c.

Si une armée peu puissante a pu contribuer à renverser Ben Ali en Tunisie, il n’est pas du tout sûr que l’armée libyenne, même minée par de très nombreuses défections (voici peu massives), même privée d’un Kadhafi (pas forcément de tous les Kadhafi), ne dispose plus d’éléments redoutables, qu’ils soient ou non appuyés par des unités d’aviation. Il faudra plus d’un BHL, et plus que des BHL, pour convaincre les Françaises et les Français qu’il faut, comme pour l’Afghanistan, laisser carte blanche à Nicolas Sarkozy. On peut le déplorer ou non, l’opinion française verrait davantage volontiers son armée s’impliquer massivement au Japon, pour en renforcer la protection civile, qu’en Libye pour en protéger les populations menacées d’extermination. Alors, à cette heure où le général libyen Suleiman vient de déclarer que « c’est foutu, Kadhafi l’emporte », alors qu’Obama semble conforter le sultan du Bahreïn, que le Canada ne veut pas se brouiller avec la Russie, Sarkozy, ses frais de campagne, ses velléités de se hausser du col, d’aller en taxi et fanfare se faire acclamer à Tobrouk, c’est vraiment très secondaire…

Abdul-Fattah Younis, le plus haut gradé des militaires du Conseil provisoire, vient de déclarer que ses forces allaient attaquer Syrte, l’un des bastions de celles des Kadhafi, et de manière peut-être incantatoire, estimer qu’il tombera. Aussi que Kadhafi se rendra ou se suicidera. Allez savoir… C’est d’un autre général Younis, Abu-Bakr, dont Adbdul-Fattah Younis ne sait pas s’il est mort, détenu par les Kadhafi, ou réticent à reprendre son commandement, que, peut-être, le sort de Syrte (et donc soit de Tripoli, soit de Benghazi), dépendra. De lui ou d’un autre haut gradé, bien davantage que de la communauté internationale ? On peut, ce 16 mars, le penser. Pour le moment, on ne sait trop ce que décideront les pays du Golfe et l’Égypte, mais le constat est net : les volontaires égyptiens n’affluent pas, en taxi ou autrement, à Tobrouk. En France, Suez ressurgit des mémoires…