Quelque peu agacé par les mots anglais qui polluent régulièrement et de plus en plus fréquemment nos programmes télévisés, un matin, je me décide à prendre des notes.

Je me contenterai des « pub » et, plutôt que d’attendre qu’elles ne s’achèvent en allant à la cuisine me faire un café ou en me rendant aux toilettes, je décide de les regarder attentivement, pendant trois jours et d’écrire.

Je note donc tout ce que je ne comprends pas « automatiquement », ce qui est quand même le comble pour des messages publicitaires qui sont sensés « cibler » leurs acheteurs potentiels.

Et encore, j’ai quelques notions d’anglais ; qu’en est-il du téléspectateur qui n’a pas « fait d’études » ?

 Pendant trois jours, je regarde donc la « télé », un peu le midi et de vingt heures à vingt deux, vingt trois heures, calepin et stylo en main ! Un écran publicitaire McDonald me fait immédiatement penser à mes séjours au Québec. Quand vous entrez dans un des nombreux « fast food » de la Belle Province, l’ensemble des menus et promotions qui vous sont proposés, sont écrits, intégralement, en Français : c’est la loi.

La pub télévisée française, qui incite les enfants à manger McDo, en insérant un jouet dans le menu « Happy Meal », aurait vraisemblablement trouvé un autre slogan, comme « le joyeux repas McDonald », à l’image du « Coca Cola Light » français qui s’appelle là-bas « Coca Cola Diet ».

Les bouteilles de Coca portaient d’ailleurs récemment sur leurs capsules la mention « Always » en France, alors que les Québécois avaient pris la précaution de la traduction : « Coca Cola Toujours » ! McDo : « I’m loving it » ! Dans ce domaine, la France est une sorte de pain béni pour les Américains qui n’ont même pas à prendre le soin de traduire les images de leurs publicités télévisées : il leur suffit de prévoir une « post synchronisation » française sur les montages images strictement identiques à celles diffusés dans leur pays.

D’autres sociétés étrangères ne prennent même pas ce soin. Ils se contentent de sous-titrer la publicité d’origine, comme celles de « Foof Locker » et de « Calvin Klein ».

Ces démarches peuvent néanmoins paraître économiquement compréhensibles, puisqu’il s’agit de promotions adaptées à la France, pour des produits d’origine étrangère. Mais, que dire des marques françaises qui utilisent la langue anglaise pour baptiser leurs produits et, quelquefois même, pour leurs slogans ? Que penser des motivations de Monsieur Afflelou ? Quand il vente ses produits « Nextyear », comme étant des lunettes plus facile à payer. Garantit-il le paiement « un an plus tard » ou utilise-t-il simplement la formule « Nextyear » comme un slogan imprécis ?

Avec son « e-forty », ces lunettes qui permettent de « voir net du clavier jusqu’à l’écran d’ordinateur », le mystère s’épaissit : la publicité nous montre une boîte et essaie de nous faire deviner ce que c’est ; ce n’est pas un portable, ce n’est pas un lecteur MP3, ce n’est pas un disque dur, c’est une innovation technologique !

 C’est la solution pour les presbytes qui ont besoin de « voir net de 30 cm jusqu’à un mètre », alors que « forty » signifie 40 et non 30 ! 

 L’utilisation de l’anglais permettrait-elle, faute de cartes, de brouiller les verres ? Quittons les lunettes Afflelou pour poser une loupe sur les produits SFR, autre marque bien française. Ecoutons attentivement la promotion du « Windows Phone ». Ce « téléphone fenêtre » (traduction littérale) n’est rien d’autre qu’un « Smartphone » !

Cette expression qui signifie « téléphone chic » est traduite par « téléphone intelligent », comme si le fait d’être d’une bonne apparence suffisait pour garantir une réelle intelligence ! En fait, un « Smartphone » est un téléphone mobile couplé à un PDA (Personal Digital Assistant, que l’on peut traduire par « assistant numérique personnel » ou encore « organiseur »).

Il fournit des fonctionnalités d’agenda, de calendrier, de navigation sur l’Internet, de consultation de courrier, de messagerie instantanée et de GPS (Global Positioning System, que l’on peut traduire par « système de positionnement mondial »).

Alors, pourquoi ne pas le dire de façon compréhensible par tous… même ceux qui ne maîtrisent pas l’anglais ? Pourquoi affirmer qu’avec le « Smartphone », on peut envoyer et recevoir des « e-mail », alors que l’on peut s’en servir pour échanger des courriers électroniques ou plus simplement des courriels ?

ça ferait moins « chic » ?  

oursuivons notre revue des sociétés françaises et rendons visite à « L’Oréal ». Nous y découvrons « Age Re-Perfect » et sa gamme de soins « Pro-calcium » reconstituants profonds anti-affaissement, anti-fragilisation des peaux très matures.

 Il y a aussi le « Casting crème gloss », coloration sans ammoniaque avec « miels glossy » (miels glacés) et le « Roll-On », fond de teint à texture extensible, associé au slogan « accord parfait ».

Il ne faut surtout pas oublier, ni la collection « Spicy », épicée, relevée, piquante et corsée, la coloration qui rend les cheveux plus forts, ni le « Total Repair 5 » : cinq problèmes, une seule solution.

Dans le même esprit, j’allais passer sous silence le « Roll’on yeux » de Garnier, pour le contour des yeux, intraduisible ! Comme aurait dit Raymond Devos : « c’est bête ! » L’Oréal nous a apporté les soins capillaires et de peau. Il est temps de se brosser les dents avec « Signal » et sa brosse « Style Tech », innovante, au cœur en métal et aux courbes élégantes.

Je pourrais alors, sans crainte, déguster des « Pringles » de chez Procter & Gambel, d’autant plus diététiquement que j’aurais pris, au paravent, la précaution « pro activ » de chez Fruit d’Or et de ses stérols végétaux !

Alors, en route pour Center Parcs et mon « cottage » haut de gamme (cabanon ou petite maison, aurait fait moins classe !), à bord de ma Nissan : « Welcome to simplicity » ! Au fait, puisque j’évoque l’automobile, il faut vous dire Monsieur, que j’ai été assez surpris par la nouvelle signature publicitaire de Volkswagen : « Das Auto ». Une manière probablement, pour la marque, de rappeler ses origines germaniques et d’y associer encore plus fortement sa réputation de qualité, de construction, de performance et de style. La « vraie » voiture est donc allemande, sachez-le ! Mais, pendant cet intermède, me voilà arrivé dans mon « cottage » : j’allume la télé et je « zappe ». Sur Direct 8, Jean-Marc Morandini nous propose « l’actu », les « news » et nous invite à envoyer des « mails » ;

je « zappe » : une chaîne du service public… ouf ! Henri Sannier présente le « mag » de « tout le sport ».

 Je « zappe » : sur Canal +, c’est le « match of ze day »… je « zappe »…

 TF1 me propose « 50 minutes inside », « l’actu people » et le « People police » : je retrouve avec bonheur tous les potins de la planète ! Heureusement, après le « Spécial one » de Canal + Foot, je tombe enfin sur un programme publicitaire ! Je découvre la « technologie Flashsmart », et « Teach Smart » de HP, la « Pulse perception » de Gemey Maybelline, les chaussures « Earthkeepers » et je « Feel the differents » de Ford, en hésitant avec le « Cross Over » de Nissan Kaskaï !

Je ne me serais pratiquement pas arrêté sur « Energy Spray » de chez Javel, si mon attention n’avait pas été attirée par un test de grossesse « Clearblue » qui propose une gamme de tests pouvant dire à ma femme « si elle attend ou non un enfant » (pour un test de grossesse, c’est la moindre des choses… non ?).

C’est à peine si je me demande pourquoi mon chewing gum « five » ne s’appelle pas « cinq »

 Et, tout cela en trois jours, en regardant très peu le petit écran : je jure que je n’ai pas triché. Ce regard, temporairement plus attentif, porté à nos medias, ne fait que confirmer ce que je présumais : elles s’anglicisent. Que de mots anglais utilisés au lieu et place d’une expression française qui exprimerait la même idée ou (et) lui apporterait une précision supplémentaire. Quand un journaliste parle du « leader » du championnat de basket, oubliant les expressions « premier » ou « en tête », quand un autre propose les « pin’s » d’une chaîne de télé, alors que nos cousins québécois vendent depuis longtemps déjà des « broches » et des « épinglettes », quand la présentatrice d’une émission de variété baptisée « Flashback » (ça commence mal !), nous entraîne aux « States » (et oui, ça fait « branché ») et que, suivant un autre professionnel francophone, le championnat de France de cyclo-cross est « open », c’est à dire ouvert aux amateurs, on ne peut que constater qu’il serait plus simple d’employer avantageusement les expressions françaises correspondantes. Et la loi « Toubon » a été votée ! Et nous avons cru qu’elle allait être efficace !

 Une quinzaine d’années plus tard, qu’en est-il ? Aucune amélioration n’a pu être constatée et la situation s’est même très sensiblement dégradée, en dépit d’une loi qui existe et ne semble pas appliquée.

Diantre, pourquoi ? Pour parvenir à une approche de réponse, faisons un petit détour par une expression apparue il y a quelque temps à la télévision : « à très vite ! ». Celle-ci, employée un jour par un journaliste « averti », est reprise depuis, de plus en plus souvent.

Auparavant, nous disions : « à bientôt ! ». Pourquoi avoir remplacé le mont « bientôt » par « vite » ? Cela signifierait-il « à très bientôt ! », pour exprimer le fait que la personne va revenir très rapidement ? Si nous y regardons de plus prêt, le mot « vite » étant un adjectif, ne peut en aucune façon être associé à l’expression « à très », qui exige l’existence d’un adverbe comme « bientôt », que l’on pourrait traduire par : « dans peu de temps » ou que l’on pourrait remplacer par « prochainement ».

Donc, on peut affirmer que cette expression n’est pas « française ». Pour éviter de tomber dans un académisme qui pourrait paraître stérile, demandons-nous si l’invention de cette expression peut enrichir le message, auquel cas il serait peut-être bon de favoriser cet enrichissement en ne faisant alors que peu de cas de la structure linguistique.

 Force est de constater que cette nouveauté n’apporte rien : « à très bientôt ! » ayant la même signification, quant au sens, offre l’avantage d’être une expression correcte.

 Alors, pourquoi le journaliste auteur de cette « invention » s’est-il permis, un beau matin, de la « lancer » ?

La seule réponse qui me vient à l’esprit est l’envie d’être original. Rien de grave à tout cela, si cette originalité n’avait pas été reprise par d’autres, pour devenir une sorte de mode. « Etre branché », voilà certainement la motivation de toute ces personnes qui, inconsciemment ou non, lance des expressions qui par mimétisme seront reprises par le plus grand nombre, avec la seule motivation d’être « fashion » !

 Le pouvoir journalistique devient alors un pouvoir destructeur de culture ! Car il s’agit bien de cela : notre « culture francophone » ! Dans un contexte de débat sur « l’identité nationale », ne devrions-nous pas parler « d’identité francophone » ? Nos cousins québécois ne seraient-ils pas plus Français que nous ? Pourquoi ne pas entraîner nos concitoyens sur cette piste positive, plutôt que de brandir d’autres périls présentés comme imminents, comme le péril musulman ?

Qu’adviendra-t-il de notre identité quand nos habitudes auront définitivement cédé aux sirènes de la mode anglophone ? Ou de la mode tout court, pour paraître « dans le vent » ?

Le « paraître » deviendra-t-il la base culturelle de notre identité ? Prenons le risque de vivre en faisant vivre notre langue, pour faire survivre notre francophonie et l’enrichir. Arrêtons d’envoyer et de recevoir des « mails », soyons persuadé que ce n’est pas le « must », cessons de regarder les « news » sans réagir, préoccupons-nous de la vie quotidienne courante plutôt que de celle des « people »… la solution se trouve probablement dans chacune de nos attitudes individuelles ! Nos élus ont le pouvoir de nous aider dans cette voie en légiférant pour « cadrer » l’utilisation de la langue anglaise et favoriser la langue française. Les journalistes ont le devoir de réfléchir à leur pouvoir en parlant un français impeccable. Les deux démarches seront relayées par le petit écran : bienvenue à la télévision française !